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Abiy Ahmed, Premier ministre de l'Ethiopie, un prix Nobel de la paix dont la cote pâlit

Le Premier ministre éthiopien recevait le 10 décembre 2019 sa distinction. Il a assuré le service minimum, dans un environnement médiatique qui s'est assombri pour lui.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3min
Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali reçoit le prix Nobel des mains de la présidente du Comité Nobel, Berit Reiss-Andersen, lors de la cérémonie à Oslo en Norvège, le 10 décembre 2019. (TERJE BENDIKSBY / NTB SCANPIX)

Pour la réception de son prix, Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien, a réduit à son plus strict minimum les obligations protocolaires. Il ne reste qu’un jour et demi à Oslo et surtout, aucun contact avec la presse n’est prévu. Pas de conférence de presse avant la cérémonie, ni après l’entretien avec son homologue norvégienne, Erna Solberg.

Une attitude qui commence à faire grincer des dents, y compris au sein du comité Nobel. "Hautement problématique", a déploré le directeur de l'Institut Nobel, Olav Njølstad, interrogé par l'AFP. "Aux yeux du comité, une presse libre et la liberté d'expression sont dans une démocratie des conditions essentielles pour une paix durable, et il est donc étrange qu'un lauréat du prix de la paix ne veuille pas parler avec la presse."

Une cérémonie trop mondaine

Que craint donc Abiy Ahmed ? Officiellement, sa modestie pentecôtiste lui interdit de se mettre en avant. "Sur le plan personnel, l'humilité du Premier ministre enracinée dans notre culture n'est guère compatible avec la nature très publique du prix Nobel", a expliqué son attachée de presse, Billene Seyoum. Les services du Premier ministre ont également précisé qu'en raison de la situation dans le pays, il ne pouvait s’absenter trop longtemps d’Addis Abeba.

Et c’est justement la situation interne qui commence à poser problème. Ces derniers mois, des manifestations en Ethiopie ont débouché sur des affrontements ethniques qui ont provoqué la mort de 86 personnes. Or, dès le 11 octobre 2019, jour de l’annonce de sa distinction, l’ONG Human Rights Watch (HRW) écrivait à propos de l’obtention du prix par Abiy Ahmed : "Une information au goût amer pour beaucoup en Ethiopie et dans les pays voisins."

Paix fragile

Que lui reproche l’ONG ? "Les conflits ethniques se sont multipliés et l'ordre public a reculé dans une grande partie de l’Ethiopie. Le gouvernement d’Abiy aurait dû en faire plus pour résoudre ces problèmes ethniques."

Son action précédente semble bien loin. Pourtant, il a fait la paix avec l’Erythrée, mettant fin à un conflit vieux de vingt ans. Mais cette paix est fragile et l'Erythrée n'ouvre toujours pas ses frontières. Sur le plan intérieur, il a aussi fortement démocratisé le pays, libérant des dizaines de milliers de prisonniers politiques.

C'est aussi l’impact de ce prix sur la situation en Erythrée qui pose problème aux yeux de certains observateurs. En clair, "ils ont signé un accord de paix mais la vie n'a pas changé pour les Erythréens", explique Selam Kidane, directrice de Release Eritrea, un mouvement qui fait campagne pour la liberté religieuse dans le pays. "Ce prix fait blanchir l'image d'un oppresseur, Isaias Afwerki", explique-t-elle à Al Jazeera. Service militaire à vie, parti unique, rien n'a en effet bougé à Asmara la capitale du pays.

Garantir les réformes

Et désormais, sur le plan intérieur, Abiy doit tenir ses promesses. Des élections générales sont prévues pour le mois de mai 2020. Or, les violences communautaires menacent la tenue de ces élections et les repousser serait un aveu d’échec pour le Premier ministre. Le mot de la fin revient sans doute à HRW. Le prix Nobel "devrait également servir d'appel à l'action à Abiy et à son gouvernement pour redoubler d'efforts pour garantir que les réformes aient un impact significatif et durable."

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