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Coronavirus : la polémique sur le Covid-Organics, le remède malgache, devient politique

Alors que les messages de mise en garde se multiplient, une partie de l'Afrique soutient Madagascar et son président, Andry Rajoelina.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le président de Madagascar, Andry Rajoelina, préside la cérémonie de lancement du Covid-Organics, le 20 avril 2020, à Antananarivo. Le remède conçu sur l'île permettrait, selon ses concepteurs, de se protéger du virus Covid-19. (RIJASOLO / AFP)

Le président de Madagascar poursuit la promotion du remède local mis au point par un centre de recherche malgache, l'Institut malgache de recherche appliquée (IMRA). Le produit baptisé CVO pour Covid-Organics est distribué dans toute l'île et intéresse déjà d'autres pays africains. Dans sa composition (tenue secrète), on trouve une plante, l'artémisia, utilisée notamment dans le traitement du paludisme.

Pour la communauté scientifique, les vertus curatives de la plante ne sont pas prouvées, voire sans fondement. Pourtant, Andry Rajoelina persiste. Il a même révélé le 3 mai dernier le passage à une étape supérieure, une étude clinique sur le traitement par injection des patients. Jusqu'à présent, le remède est proposé sous forme de sirop, notamment aux écoliers. Le président annonce dans le même temps l'installation "d'une usine pharmaceutique afin d'augmenter la capacité de production du Covid-Organics".

Engouement pour l'artémisia

Personne, y compris le chef de l'Etat malgache, ne peut prouver pour l'heure l'efficacité du remède. Mais cette affaire a déclenché un véritable engouement pour les plantes médicinales et en particulier l'artémisia. Un engouement qui inquiète, au point que les messages d'alerte émanant des autorités sanitaires se multiplient.

Un champ expérimental d'artémisia près d'Adzope en Côte d'Ivoire. Certains lui prêtent des vertus dans le traitement de la malaria. Photo réalisée en 2019. (SIA KAMBOU / AFP)

Ainsi en France, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) vient de publier une mise en garde quant à l'achat sur internet de produits à base d'artémisia "présents en grand nombre". Des produits à l'origine douteuse. Mais surtout, elle dénie toute vertu thérapeutique à la plante. "Ces allégations sont fausses et dangereuses : elles pourraient retarder une prise en charge médicale nécessaire en cas d’infection confirmée. En effet, les produits à base d’Artemisia annua n’ont jusqu’alors pas fait la preuve de quelconques vertus thérapeutiques."

Le bureau Afrique de l'OMS lui aussi douche les plus optimistes. "L'utilisation de produits destinés au traitement de la COVID-19, mais qui n’ont pas fait l’objet d’investigations strictes, peut mettre les populations en danger... (...) Des plantes médicinales telles que l’Artemisia annua sont considérées comme des traitements possibles du COVID-19, mais des essais devraient être réalisés pour évaluer leur efficacité et déterminer leurs effets indésirables."

Le débat se politise

Une prudence toute diplomatique, car le débat quitte la sphère médicale pour devenir plus politique. Tout en réclamant que cessent les critiques sur l'efficacité du remède, le président malgache joue sur la solidarité africaine et offre ce remède à 15 pays de la Cédéao. On n'en connaît pas les quantités, mais l'objectif est atteint : fédérer autour de lui les pays africains.

Plusieurs chefs d'Etat du continent l'ont rejoint sans préciser leurs motivations, réelle conviction ou opportunisme politique. Le Sénégal, la Guinée équatoriale, le Congo, entre autres, ont reçu leurs lots de Covid-Organics.

Sur les réseaux sociaux, certains ont vite embrayé. Le produit malgache illustre le "made in Africa" dénigré par les pays développés, car il est une menace pour l'industrie pharmaceutique internationale. Plus largement, d'autres y voient la capacité africaine à inventer et découvrir, un talent pris de haut par le monde occidental.

Aussi, l'OMS prend garde de ne froisser aucune susceptibilité et rappelle qu'elle "soutient une médecine traditionnelle reposant sur des éléments scientifiques probants". Pour preuve, elle affirme avoir aidé ainsi des essais cliniques pour "89 produits issus de la pharmacopée traditionnelle". 43 ont été reconnus suffisamment efficaces pour être prescrits. Le Covid-Organics devra se soumettre à ces essais.

L’Union africaine a adopté une position identique. Elle ne se prononcera sur la pertinence du produit qu'à l'issue d'un examen précis et scientifique. Bref, elle attend plus de science et moins de certitudes.

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