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Déportés négro-mauritaniens: «Nous sommes les Palestiniens de l’Afrique»

C’est une tragédie dont on parle peu. Celle des déportés négro-mauritaniens chassés de leurs terres il y a bientôt 30 ans. Ils sont des milliers au Sénégal à rêver d’un retour au pays natal. Aldiouma Cissoko est de ceux-là. Depuis son exil sénégalais, il dénonce le sort réservé à ses compatriotes qu’il considère comme «les Palestiniens de l’Afrique de l’Ouest». Il s'est confié à Géopolis.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des réfugiés négro-mauritaniens observent une grève de la faim le 19 juin 2012 à Dakar, au Sénégal, pour dénoncer leur situation insupportable. (Photo/C.O.R.M/Sénégal)

Aldiouma Cissokho ne décolère pas. C’est le coordinateur des organisations des réfugiés mauritaniens au Sénégal. Après des décennies d’errance, des milliers de ses compatriotes accueillis au Sénégal dans les années 90 ont cessé d’exister légalement, soupire-t-il.

«Depuis 2016, le gouvernement sénégalais n’a pas voulu renouveler nos documents d’identité. Nous sommes devenus des réfugiés-apatrides. Quand on devient apatride, qu’est qu’on peut donner à son enfant? Quelle  promesse peut-on lui faire? Le Sénégal n’accepte pas non plus de nous aider à nous installer dans un autre pays», confie-t-il à Géopolis.

«Ils sont cloîtrés dans des ghettos»
Un accord tripartite sur le rapatriement volontaire et la réintégration des réfugiés mauritaniens conclu entre le Sénégal, la Mauritanie et le HCR était censé mettre fin à leur cauchemar. Quelque 60.000 Mauritaniens avaient été déportés vers le Sénégal et le Mali à la suite d’un conflit frontalier qui a dégénéré en violences interethniques sanglantes.

Aldiouna Cissokho raconte à Géopolis la galère de ceux qui ont tenté de prendre le chemin du retour. Environ 20.000 personnes, selon les chiffres du HCR, le Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés.

«Ils avaient reçu la promesse d’obtenir de nouveaux papiers d’identité au plus tard trois mois après leur retour. Il n’en a rien été. Personne n’a retrouvé ses terres perdues en 1989. La plupart des gens sont installés dans des hangars de fortune à quelques kilomètres de leurs villages. Sans papiers, ils ne peuvent pas se déplacer. Ils sont cloîtrés dans des ghettos qui rappellent l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Certains ont été tellement découragés par l’accueil dont ils ont fait l’objet qu’ils ont choisi de revenir au Sénégal. On leur a menti sur tous les plans. Ils nous ont dit que si c’était à le faire, ils ne le referaient pas», témoigne Aldiouna Cissokho.
 
Aldiouma Cissokho assure la coordination des organisations des réfugiés mauritaniens au Sénégal.  (Photo/A.Cissokho)

«Le gouvernement mauritanien ne veut pas de nous»
Aux yeux des déportés mauritaniens, le HCR a perdu toute crédibilité. Ils lui reprochent de ne pas dénoncer la mauvaise foi du gouvernement mauritanien.

«Le gouvernement mauritanien ne veut pas de nous. C’est clair, nous sommes devenus les Palestiniens de l’Afrique de l’Ouest. Ils veulent conquérir notre âme, notre culture, notre terre. Ils veulent nous éliminer complètement».

Arrivé au Sénégal le 7 mai 1989, Aldiouma Cissokho a vu grandir une génération de jeunes Mauritaniens nés dans les camps de réfugiés au Sénégal. Il parle d’une génération sacrifiée, abandonnée à son sort.

«Ils ont été sacrifiés. Parce que l’enfant n’est rien d’autre que le reflet de sa famille. Depuis 2016, nous sommes devenus des réfugiés apatrides au Sénégal. Quand on devient apatride, qu’est-ce qu’on peut donner à son enfant? Quelle promesse peut-on lui faire?»

«Nous vivons dans l’ombre, nous n’existons pas»
Certains jeunes réfugiés ont préféré demander la nationalité sénégalaise. Il s’agit pour eux d’un problème de vie et de mort, explique Aldiouma Cissokho. Ils ne veulent pas subir le même sort que leurs pères et leurs mères qui n’ont connu que la précarité.

«Les gens vivent de l’aumône. Les femmes prennent d’assaut les lieux de mariage. Elles aident les gens à préparer les cérémonies et reçoivent un repas. D’autres vont trouver des soutiens à l’église. D’autres se débrouillent dans l’informel. Nous vivons dans l’ombre. Nous n’existons pas», tranche-t-il.

Ils sont estimés à 35.000 à vivre ce calvaire. Mais ils rêvent encore du jour où ils pourront regagner leur pays avec des garanties d’être rétablis dans leurs droits: «Le droit de retrouver notre citoyenneté, nos terres et notre dignité. Ce qui est sûr, c’est que la civilisation négro-mauritanienne n’est pas vouée à disparaître», conclut Aldiouma Cissokho.

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