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Patrice Lumumba: un square à Bruxelles pour un nouveau récit post-colonial

Ce n'est pas une tombe. Mais il y a une plaque commémorative. La ville de Bruxelles, capitale de la Belgique et de l'Europe, compte désormais une square Patrice Lumumba, héros de l'indépendance congolaise. Les autorités belges ont reconnu leur implication «morale» dans son assassinat. Les associations à l'origine de cet hommage piquent désormais la curiosité des jeunes Africains.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le square Patrice Lumumba a été inauguré à Bruxelles le 30 juin 2018, date anniversaire de l'indépendance de la République Démocratique du Congo (RDC) proclamée en 1960. (NICOLAS MAETERLINCK / BELGA MAG / BELGA)

La ville de Bruxelles a inauguré le 30 juin 2018, date qui marque le 58e anniversaire de l'indépendance de la République Démocratique du Congo (RDC), le square Patrice Lumumba. Un hommage inédit à l'un des pères de l'indépendance congolaise devenu martyr africain. 

«Cette place (est) le premier espace public à Bruxelles à rendre hommage au premier Premier ministre de l'histoire du Congo indépendant au sortir de la colonisation belge en 1960», explique-t-on sur le site de la capitale européenne. L'emplacement choisi pour honorer la mémoire de Patrice Emery Lumumba, assassiné le 17 janvier 1961, se situe à Matonge, le quartier africain de Bruxelles.  

La plaque du square Patrice Lumumba (NICOLAS MAETERLINCK / BELGA MAG / BELGA)

L'inauguration officielle a été précédée de deux jours de festivités et de débats autour de cette figure de l'histoire coloniale. Relaté par Paris Match Belgique, un incident autour de la participation du sociologue belge Ludo De Witte (désinvité puis réinvité par le maire de Bruxelles), considéré comme «le plus grand spécialiste belge de ce dossier sensible» depuis la publication de son livre L'Assassinat de Lumumba, révèle combien le sujet peut être encore parfois délicat. 

Un héros pour les jeunes Africains
L'Etat belge aurait-il encore du mal avec ce passé colonial? Le bourgmestre (maire) de Bruxelles, Philippe Close, a publiquement reconnu qu’il avait commis «une erreur», répond Colette Braeckman, la spécialiste de la République Démocratique du Congo (RDC) au quotidien belge Le Soir et auteure de Lumumba, un crime d'Etat (Aden Editions) contactée par Géopolis. «C’est au niveau local et l’incident est tout à fait oublié, poursuit-elle. Tout s’est bien passé et les élus et représentants d’autres régions étaient présents à l'inauguration.»

Après les excuses officielles de la Belgique en février 2002 pour sa «responsabilité morale» dans l'assassinat du leader congolais, cette cérémonie marque une nouvelle étape. Colette Braeckman estime que c'est «une reconnaissance pour toutes les associations (Collectif Lumumba-Bruxelles 30 juin 2018-Bruxelles, Bamko Asbl, Change Asbl, Collectif mémoire coloniale et GFAIA Asbl, notamment) qui militent pour la mémoire de Patrice Lumumba et (cela vaut) également pour tous les jeunes afro-descendants, pas seulement les Congolais», explique-t-elle.

«Les différentes associations que j’ai rencontrées m’ont confiée que des jeunes Marocains, Maghrébins, venaient les voir pour savoir qui était Patrice Lumumba. C’est très positif. Ces derniers voient en Lumumba un héros de l'Afrique auquel ils peuvent s'identifier.» Un sentiment qu'explique Lakama Dido, le coordinateur de l'association panafricaine Change Asbl qui réunit la diaspora en Belgique. «Cette place est un symbole important. Les jeunes de la diaspora africaine sont en perte de repères identitaires et recherchent des modèles qui leur ressemblent. M. Lumumba est un modèle de lutte, de sacrifice et de patriotisme.»

Chronique d'une mort annoncée
La tragique destin de Patrice Lumumba va se sceller dès les premières heures de l'indépendance de son pays, le 30 juin 1960. Le Premier ministre de l'Etat naissant du Congo qui célèbre un grand jour, dans un discours surprise, fait le procès de la colonisation et bien évidemment des colonisateurs devant le roi des Belges, Baudouin Ier. 


«Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd'hui dans l'entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d'égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c'est par la lutte qu'elle a été conquise (...). C'est une lutte qui fut de larmes, de feu et de sang (...), une lutte indispensable pour mettre fin à l'humiliant esclavage, qui nous était imposé par la force», déclare alors le chef du gouvernement du nouvel Etat.  

Ces mots sont considérés comme un outrage au souverain belge et à son pays. Le responsable congolais vient presque de signer son arrêt de mort. Ses idéaux communistes donneront une raison (géo)politique aux Belges, alliés aux Américains, pour se débarasser de lui.

Un homme de l'intérieur sera l'arme idéale. Son nom: Joseph Mobutu. Quelques semaines après la proclamation de l'indépendance, le chaos politique provoqué par la sécession de la riche province minière du Katanga, orchestrée par la Belgique, crée les conditions propices pour en finir avec Lumumba. Face aux revendications katangaises, il demande d'abord l'aide des Nations Unies, qui lui font défaut, avant de se tourner vers l'Union soviétique. En pleine Guerre froide. 


Le coup d'Etat organisé par le colonel Mobutu le 14 septembre 1960 conduira à la destitution, puis à l'assassinat de Patrice Lumumba. Il sera arrêté en décembre 1960, maltraité et humilié devant les caméras du monde entier, avant d'être exécuté au Katanga. 


«L’Afrique écrira sa propre Histoire»
Pour en finir définitivement avec Patrice Lumumba, ses assassins feront dissoudre son corps. Selon Gérard Soete, un ancien commissaire belge mais gendarme katangais à l'époque, qui se serait chargé de l'opération et qui a témoigné dans le documentaire Une mort de style colonial: l'assassinat de Patrice Lumumba (INA), ses bourreaux ne voulaient pas que sa tombe devienne un lieu de recueillement.


Depuis le 30 juin 2018, c'est en plein cœur de Bruxelles que son esprit flotte. Cependant, le leader congolais avait prévenu dans une dernière missive adressée à sa compagne:«L’Histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’Histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre Histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité».

Bientôt, des jeunes, dont les origines se trouvent au «nord et au sud du Sahara» liront ces mots, interpelés par une plaque, au détour d'une ruelle. En attendant que la RDC, enlisée dans une crise politique liée à la tenue de la présidentielle, écrive son «histoire de gloire et de dignité».

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