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RD-CONGO : le Kivu, «une marmite qui bouillonne» loin du pouvoir de Kinshasa

Le Sud Kivu est une région dotée d’un riche potentiel touristique et d'importantes ressources minières. Son sous-sol recèle des gisements d’étain, de diamant, d’or, de coltan… Et le climat y est très favorable à l’agriculture. Pourquoi ce petit paradis est-t-il devenu une poudrière ? Géopolis a posé la question à Nicaise Kibel'bel, journaliste d’investigation congolais et spécialiste de la région.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Les collines verdoyantes du Sud-Kivu, devenues la forteresse des groupes armés qui affrontent l’armée régulière congolaise.  (Photo AFP/ Jürgen Bätz)

  
Dans les collines verdoyantes qui surplombent la ville d’Uvira, au bord du lac Tanganyika, tout semble calme, en apparence. Cette ville de 500.000 habitants a failli tomber, fin septembre, aux mains d’une milice locale. Il a fallu l’intervention des hélicoptères de la force des Nations unies (MONUSCO) et leur puissance de feu, pour repousser les miliciens.

«C’est un calme relatif. A tout moment, ça peut exploser. Les affrontements ont cessé mais les milices n’ont pas été défaites. Elles se sont repliées dans les collines qui surplombent la ville d’Uvira. On n’est pas encore sorti de l’auberge», nous confie le journaliste congolais Nicaise Kibel’bel.

Ces milices se font désormais appelées Coalition nationale des peuples pour la souveraineté du Congo. Une coalition constituée de milices locales, mais aussi de groupes armés étrangers, notamment des rebelles rwandais et burundais.

«Chaque groupe a ses problèmes particuliers. Par exemple, les forces républicaines du Burundi, dirigées par le Général Godefroid Niyombare, veulent reconquérir le pouvoir au Burundi. Les rebelles hutu des FDLR veulent faire de même au Rwanda, tandis que les milices locales appelées Maï- Maï en veulent au pouvoir de Kinshasa qu’elles accusent d’avoir abandonné leur province», explique Nicaise Kibel’bel.

Le journaliste d'investigation congolais Nicaise Kibel'bel Oka est directeur du journal «Les Coulisses».  (Photo/Journal les Coulisses)

Les sites miniers, nerf de la guerre
Dans ces groupes armés disparates, une milice semble tenir le haut du pavé. C’est celle du chef rebelle William Yakutumba, un ancien officier qui a déserté les rangs de l’armée régulière. Lors des récents affrontements à Uvira, ses hommes ont mené une opération navale sur le lac Tanganyika, à bord d’embarcations, en tirant sur le port avec des mitrailleuses. Ils n’ont pas hésité à viser les hélicoptères de la Monusco. William Yakutumba est décrit par Nicaise Kibel’bel comme un homme d’affaires prospère dans le business de l’or.

«Dans la configuration des groupes armés locaux et étrangers, ils occupent des sites où il y a des minerais. C’est grâce à leur exploitation qu’ils arrivent à acheter des armes. C’est ainsi que le chef rebelle Yakutumba peut disposer de vedettes hors bords armés de mitrailleuses pour partir à l’assaut de la ville d’Uvira. Il accuse Kinshasa d’avoir abandonné le Sud Kivu qui risque d’être balkanisé au profit du Rwanda. Raison pour laquelle il veut occuper les principales villes de la région».

C’est aussi parce qu’il mène des affaires prospères qu’il arrive à rallier à son groupe des officiers qui désertent l’armée régulière pour différentes raisons.

«Il y a d’abord la virulence des affrontements, il y a le manque de motivation côté forces régulières et des soldes modiques. Ils rejoignent les rebelles avec leur expertise, en espérant qu’au moment de l’alternance, ils seront récompensés et obtiendront des grades de généraux, de colonels... », explique Nicaise Kibel’bel.

Des enfants soldats utilisés comme chairs à canon
Si William Yakutumba peut compter sur des officiers déserteurs de l’armée régulière, ses troupes comprennent aussi de nombreux enfants soldats que sa milice recrute pendant les vacances scolaires notamment.

«Comme ce sont des guerres identitaires, il arrive même que des parents acceptent que leurs enfants puissent aller dans des groupes armés pour défendre leur communauté. Certains sont pris de force, mais d’autres sont envoyés par leurs propres parents. Beaucoup de jeunes y trouvent la mort».

Nicaise Kibel’bel explique à Géopolis que dans cette province bouillonnante du Sud Kivu, les milices locales accueillent volontiers des groupes armés étrangers avec lesquels elles espèrent changer la géopolitique de la région. Des alliances de circonstance qui ne constituent pas une menace sérieuse pour le pouvoir de Kinshasa.

«En fait, les seigneurs de guerre étrangers trouvent l’hospitalité auprès des chefs de guerre locaux. Ils essaient de cohabiter avec des objectifs différents qui ne vont pas forcément aboutir. Et du fait que ça dure, ils y prennent goût et deviennent des roitelets dans les territoires où ils imposent leur diktat et où l’état finalement brille par son absence. Kinshasa est loin à plus de 2500 Km».

Patrouille de casques bleus de l’ONU dans les rues d’Uvira le 30 septembre 2017, au lendemain de l'attaque de la ville par des groupes armés. (Photo Reuters)

La crainte d'une nouvelle partition du pays
Si les milices qui écument le Sud Kivu ne constituent donc aujourd’hui aucune menace pour le pouvoir de Kinshasa, Nicaise Kibel’bel craint une chose : la contagion.

«Il y a des milices Maï-Maï qui se battent aussi dans le Nord Kivu. Ils profitent de l’instabilité politique actuelle. Tout le monde se bat pour l’alternance. Même si ceux qui se battent à Uvira n’ont pas la capacité d’arriver à Kinshasa, les groupes armés peuvent imposer la partition du pays comme ce fut le cas dans les années 1998 jusqu’en 2002».

C’est ce qu’il faut craindre, analyse-t-il, dans cette région où on a banalisé la violence.

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