Tanzanie : John Magufuli, "le bulldozer", en quête d'un second mandat présidentiel
Il vante son bilan économique alors que ses opposants pointent son autoritarisme.
Les électeurs de la Tanzanie continentale (29 millions d'électeurs) et ceux de l'archipel semi-autonome de Zanzibar (566 000) choisissent mercredi 28 octobre 2020 leurs présidents et députés après une intense campagne électorale. A 60 ans, le président sortant John Magufuli, dont le premier mandat a été marqué par la répression de l'opposition et des libertés, est candidat à sa propre succession pour le compte de l'ex-parti unique, Chama Cha Mapidunzi (CCM, Parti de la révolution). Parmi les 15 candidats en lice, le principal challenger de l'actuel chef d'Etat tanzanien est le leader du parti d'opposition Chadema, Tundu Lissu, 52 ans, rentré au pays en juillet après trois années d'exil. Ce dernier y soignait 16 blessures par balles, reçues en 2017 lors de ce qu'il a dénoncé comme une tentative d'assassinat politiquement motivée.
Les dérives autocratiques du "bulldozer"
La Tanzanie a longtemps été vue comme un havre de stabilité dans une région est-africaine troublée. John Magufuli est arrivé au pouvoir en 2015 en se présentant comme un homme proche du peuple et déterminé à lutter contre la corruption. S'il a rempli certaines de ses promesses, en prenant notamment des décisions populaires ou en s'invitant dans les bureaux des fonctionnaires pour vérifier leur travail, le premier mandat du président Magufuli est surtout marqué par une dérive autoritaire et une restriction des libertés individuelles.
Une attitude qui renforce son surnom – "le bulldozer" –, témoignage à la fois de son goût pour les travaux publics de grande envergure et de sa réputation de faire passer ses politiques en dépit de l'opposition. Ces deux éléments le rendent d'ailleurs populaire auprès de nombreux Tanzaniens malgré le durcissement observé au sommet de l'Etat.
John Magufuli a interdit les rassemblements politiques dès 2016 tandis que sa tolérance envers ses opposants s'est peu à peu effondrée. La même année, les autorités tanzaniennes ont lancé dans ce que Human Rights Watch qualifie "de répression inédite" contre les droits de la communauté LGBT, avec une vague d'arrestations.
En septembre 2017, après avoir été arrêté six fois pour cette seule année, l'opposant Tundu Lissu s'est fait tirer dessus à 16 reprises. L'année suivante, un responsable local du parti d'opposition Chadema a été retrouvé battu à mort, un autre tué à son domicile. En juin 2020, un autre leader de l'opposition, Freeman Mbowe, a été violemment frappé par des inconnus, qui lui ont cassé une jambe. Son parti a alors dénoncé une attaque politique.
Ces dernières années, le régime tanzanien a également adopté des lois contre les médias. Outre des activistes et des membres de l'opposition, des journalistes et des artistes ont été interpellés. En 2018, l'Eglise catholique a accusé le régime tanzanien de violer les principes démocratiques et de mettre en péril l'unité nationale. L'Union européenne et les Etats-Unis ont dénoncé, à leur tour, les attaques contre les droits humains.
Cette année-là, John Magufuli a montré son envie de régner sans partage sur la Tanzanie. En juillet, il a annoncé que sa formation, le CCM, restera "au pouvoir à jamais, pour l'éternité". Deux ans plus tard, il a officiellement été investi par sa formation politique pour briguer un nouveau mandat.
Sa gestion de la pandémie liée au coronavirus est l'une des dernières illustrations de l'autoritarisme de John Magufuli. En mars 2020, la Tanzanie annonce son premier cas de Covid-19. Tandis que la maladie se propage rapidement, le dirigeant accuse le ministère de la Santé de "créer la panique". Résultat : le pays arrête de diffuser ses statistiques sur le Coronavirus le 29 avril. Le Chadema, qui dénonce le "déni" des autorités, demande à ses députés de ne plus siéger après la mort suspecte de trois parlementaires. La campagne électorale s'est d'ailleurs tenue sans aucune mesure contre la pandémie, le président Magufuli ayant déclaré son pays "libéré du Covid" en juillet, grâce aux prières.
Les investissements de Magufuli et son refus de fermer l'économie tanzanienne en 2020, en dépit de la pandémie, ont néanmoins renforcé ses chances, déjà fortes, de remporter un deuxième mandat de cinq ans.
Magufuli mise sur l'économie pour sa réélection
En campagne, John Magufuli n'a cessé de vanter les milliards investis dans le pays sous son impulsion. Il met en avant l'extension de l'école gratuite, l'électrification rurale, le développement d'infrastructures ou encore la résurrection de la compagnie aérienne nationale. "Je vous surprendrai avec encore plus de projets de développement si je gagne. Ce que j'ai fait ces cinq dernières années, c'est juste des cacahuètes", a-t-il promis durant l'un de ses meetings.
L'actuel président tanzanien a mené une politique ambitieuse d'infrastructures développant ports et chemins de fer dans la troisième économie de l'Afrique de l'Est. Cependant, une nouvelle législation sur les mines et une politique fiscale agressive ont refroidi les milieux d'affaires et les investisseurs. La Tanzanie s'est en effet dotée de lois permettant d'accroître ses revenus tirés de l'exploitation minière et a réclamé aux compagnies de ce secteur des millions de dollars d'impôts rétroactifs.
En 2017, une commission d'enquête tanzanienne a évalué à quelque 75 milliards d'euros les pertes fiscales engendrées par les fraudes liées à l'exploitation minière depuis 1998, principalement la non-déclaration de revenus par des sociétés étrangères. La Tanzanie a accusé Acacia Mining, une société minière détenue par le Canadien Barrick Gold, d'être à l'origine d'une grande partie de ces pertes et d'opérer sans enregistrement. Les deux parties ont finalement conclu un accord prévoyant un partage à part égales des bénéfices de trois mines d'or et le versement de 300 millions de dollars à la Tanzanie.
Grâce à une croissance annuelle moyenne de 6% ces dix dernières années, la Tanzanie a rejoint en 2020 les "pays à revenu intermédiaire inférieur", selon la Banque mondiale, qui souligne néanmoins qu'en raison d'une importante croissance démographique, le nombre de pauvres est passé de 13 à 14 millions depuis 2007.
De son côté, le Fonds monétaire international prévoit un ralentissement de la croissance à 1,9% en 2020, en raison de la pandémie de Covid-19. Bien que l'économie a continué de croître avant la maladie, les créations d'emplois ont été "peu nombreuses", a confié à l'AFP Thabit Jacob, un analyste politique tanzanien installé au Danemark. A ceux qui travaillent, John Magufuli a promis une augmentation de salaires s'il était élu.
Crainte de tensions post-électorales
Les sondages ayant été interdits, il est difficile de savoir qui se dégage en favori du scrutin. Les deux principaux adversaires de John Magufuli, le vétéran Tundu Lissu et l'ancien ministre des affaires étrangères Bernard Membe, pourraient partager le vote de l'opposition avec le reste des prétendants à la magistrature suprême.
Certains s'inquiètent d'ores et déjà des incidents qui pourraient entacher le vote. "A mon grand désarroi, j'ai vu et entendu des rapports selon lesquels des représentants du gouvernement et des forces de sécurité perturbent et freinent la capacité des candidats à faire campagne librement", notait dans un communiqué publié le 22 octobre l'ambassadeur américain Donald Wright.
Comme d'autres observateurs, analystes et membres de l'opposition, le politologue Thabit Jacob s'inquiète du niveau de transparence du scrutin dans un contexte où le président "Bulldozer" a lui-même nommé les membres de la commission électorale qui a déjà disqualifié des dizaines de candidats de l'opposition. "Ne vous attendez pas à ce que la commission électorale annonce une victoire de l'opposition, cela n'arrivera jamais", affirme-t-il.
Si la partie continentale en est largement épargnée, les affrontements post-électoraux sont récurrents à Zanzibar. L'archipel, où la population est à plus de 95% musulmane, est le théâtre ces dernières années de tensions confessionnelles ou politiques autour du maintien ou non de l'union avec le Tanganyika (le Tanganyika a fusionné avec l'archipel de Zanzibar – îles de Zanzibar et de Pemba – pour former la Tanzanie en 1964) ou de récurrentes accusations de fraudes électorales, parfois violentes, ont nui à la cruciale industrie du tourisme.
La Tanzanie, le pays le plus vaste d'Afrique de l'Est, abrite sur ses 945 000 km² le plus haut sommet d'Afrique, le Kilimandjaro (5 895 m) et la majeure partie de la rive Est du lac Tanganyika, le deuxième lac du monde par son étendue et sa profondeur. Le Parc national du Serengeti, le cratère volcanique du Ngorongoro et l'archipel de Zanzibar attirent chaque année des milliers de touristes.
A majorité chrétienne, la population tanzanienne est estimée à quelque 58 millions de personnes. Swahili et anglais sont les langues officielles, mais la Tanzanie compte environ 120 groupes ethniques. A la différence de ses voisins, aucun n'est dominant et l'appartenance ethnique n'est pas un moteur majeur d'affiliation ou de violence politiques.
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