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Trafic de bois de rose à Madagascar: «La société civile bouge»
L’écologiste malgache Clovis Razafimalala, coordinateur de la coalition Lampogno, lutte contre le trafic de bois de rose dans l’île. Il a fait 10 mois de prison préventive avant d’être condamné, le 24 juillet 2017, à cinq ans avec sursis. Le combat de cet homme, défendu par Amnesty International, ne plaît pas à tout le monde à Madagascar… Interview.
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Pour quelles raisons avez-vous été condamné?
Officiellement pour rébellion, destruction de biens publics, incendie des biens de l’Etat.
Le 14 juillet 2016, il y a eu une manifestation à Maroantsetra (nord-est de Madagascar). Des papiers ont été jetés depuis les fenêtres de bâtiments officiels. Au départ, il s’agissait d’affrontements entre opérateurs économiques de la région: un exportateur de bois de rose et un collecteur local de bois. Le premier a fait saisir tous les biens du second avec l’appui des fonctionnaires de l’Etat. Cela a choqué les employés du collecteur qui ont alors organisé une manifestation.
Quel est votre rôle dans cette affaire?
Le maire de Maroantsetra m’a convoqué pour aider à trouver une solution parce que je suis à la tête de la campagne contre le trafic de bois de rose. A Madagascar, c’est la coutume dans des affaires de ce genre de réunir des responsables pour chercher des solutions.
Mais quand je suis arrivé, le maire m’a dit que le rassemblement était terminé. Il m’a demandé de prendre le micro pour disperser les manifestants. J’ai refusé. En fait, il m’a attiré dans un piège. Car ensuite, j’ai été considéré comme le représentant de ces manifestants. Le lendemain, j’ai été arrêté chez moi par des gendarmes lourdement armés.
En prison, avez-vous été maltraité? Avez-vous été menacé?
Non, parce que je suis connu. J’étais considéré comme un prisonnier politique. A ce niveau, je voudrais insister sur le fait que je ne suis pas tout seul dans ce combat. Je pense notamment à mon adjoint Armand Marozafy (condamné en 2015 à six mois de prison ferme).
Comment votre action a-t-elle commencé?
Je suis ingénieur en mécanique de formation. J’ai d’abord travaillé dans une usine d’huile alimentaire, ce qui m’a fait prendre conscience des problèmes de pollution. En 2004, j’ai créé une petite entreprise de bâtiment, qui a duré trois ans. Là, j’ai constaté que l’on trouvait de moins en moins le bois indispensable dans cette activité. Aujourd’hui, j’ai une petite société d’informatique.
Avec 14 associations de la région de Maroantsetra, nous avons fondé en 2014 une coalition de plaidoyer environnemental. Ces associations, issues de la société civile, s’occupent de problèmes de santé, de développement. D’autres regroupent des femmes. Toutes sont convaincues qu’il faut protéger les richesses naturelles de la région. D’autant que celle-ci compte deux zones protégées: le parc de Masoala, inscrit au Patrimoine mondial par l’Unesco, et celui de Makira.
A partir de là, aidés par des membres du réseau et des habitants, nous avons commencé à collecter des informations sur les mouvements des trafiquants aux alentours des parcs. Nous avons alerté le pouvoir central sur leurs agissements. Nous avons organisé des conférences de presse, des émissions dans des radios et des chaînes de télévision privées, l’audiovisuel public ne nous ouvrant pas ses portes.
Les trafiquants ont voulu nous faire taire. Je les gêne. J’ai alors reçu des menaces de mort. En 2009, on avait déjà tenté de mettre le feu à ma maison. On a aussi incendié une radio où nous avions fait une émission.
Comment s’organise le trafic?
Les coupeurs de bois interviennent dans la zone des parcs. Puis le bois est transporté à dos d’homme, et aussi par les rivières. Les troncs sont ensuite chargés sur des petites embarcations qui les conduisent vers des gros navires chinois au large.
Et que font les pouvoirs publics?
Ils sont complices des trafiquants. Il n’y a jamais eu un seul trafiquant arrêté. Ce sont toujours les équipages des petits bateaux qui le sont. Ils servent de boucs-émissaires.
Pourtant, en 2015, des officiels ont été déférés devant la justice. Parmi eux: trois officiers supérieurs de la gendarmerie, un ancien directeur de cabinet du ministre de l’Environnement…
Ils ont été relaxés! A Madagascar, la corruption est généralisée à tous les niveaux.
Aujourd’hui, quel bilan faites-vous de votre action?
Jusqu’en 2013, le trafic se faisait en plein jour. Actuellement, il n’y a presque plus de coupe. Nous avons reçu le soutien d’organisations internationales comme SCAPES Project et le WWF. Il y a eu des pressions de la part de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces de faune et flore menacées d’extinction). Et nous avons fondé une coalition nationale de plaidoyer environnemental.
Dès que des gros bateaux apparaissent, nos sympathisants nous contactent. Nous recoupons les informations. Et nous prévenons les autorités.
Aujourd’hui, le bois à couper est devenu difficilement accessible: il faut aller toujours plus profondément dans les forêts pour le trouver. Le transport est donc, lui aussi, de plus en plus difficile. Mais les trafiquants n’ont pas désarmé. Ils interviennent, par exemple, les jours de fête quand la population est moins vigilante.
A vous écouter, la société civile malgache a l’air assez forte…
Dans notre région, c’est en effet le cas. Mais à Sava (extrême Nord-Est), par exemple, la société civile est impuissante. Les gens ont peur. Et les habitants sont plus ou moins d’accord avec le trafic car ils reçoivent de l’argent.
Comment voyez-vous l’avenir?
Il paraît très sombre. Mais en même temps, la société civile bouge, nous sommes soutenus par des organisations internationales. Je voudrais insister sur l’importance de cette aide, comme sur l’importance du soutien des médias. J’ai de l’espoir parce qu’on commence à s’organiser. Mais beaucoup de choses vont aussi dépendre de la présidentielle de 2018.
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