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Corruption en RDC : "Il faut une pression populaire", affirme le lanceur d’alerte Jean-Jacques Lumumba

Une journée de mobilisation populaire contre la corruption est prévue samedi 19 octobre en République démocratique du Congo, à l’appel d’un collectif d’intellectuels. L'initiative est soutenue par l'ancien banquier, cofondateur d'une plateforme panafricaine qui lutte contre ce fléau.

Article rédigé par Eléonore Abou Ez
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Jean-Jacques Lumumba, lanceur d'alerte congolais réfugié en France. (THOMAS SAMSON / AFP)

En 2016, Jean-Jacques Lumumba, expert financier dans une importante banque de la République démocratique du Congo, dirigée par un proche de l’ex-président Kabila, est le premier à dénoncer des détournements de fonds publics. Menacé, il est contraint à l’exil. Désormais réfugié en France, il continue de se battre pour en finir avec une corruption endémique. Franceinfo Afrique l’a rencontré à la veille de la journée de mobilisation populaire contre la corruption, prévue samedi 19 octobre en RDC, à l’appel d’un collectif d’intellectuels.

Franceinfo Afrique : Vous êtes aujourd’hui lanceur d'alerte et vous êtes cofondateur d'une plateforme anti-corruption à destination des Congolais. Pour quelle raison ?

Jean-Jacques Lumumba : Parce que je pense que le pillage continue. On ne peut pas fermer les yeux et laisser faire. Tant qu’il n' y a pas de justice, tant que les responsables des détournements de l’argent public resteront impunis, le système perdurera. Pour rompre avec une corruption érigée en système, il faut des sanctions. Il n’y en a pas. Les personnes qui ne sont pas inquiétées continuent à faire ce qu’elles faisaient par le passé. 

Unis, notre plateforme panafricaine, a une mission capitale, notamment au plan juridique. Nous allons porter plainte devant les instances nationales et internationales contre les prédateurs et mettre en place des programmes de lutte contre la corruption. 

En 2016, vous avez livré à la presse belge des documents de la BGFI-Bank concernant des détournements de Fonds publics. Quel en a été le résultat ?

Peut-être que d’un point de vue personnel, je n’ai rien gagné parce qu’aujourd’hui je suis en procès avec mon ancien employeur, à cause duquel je me suis retrouvé en exil. Pour autant, le directeur général de la banque, qui est le frère de l'ancien président Joseph Kabila, a depuis été déplacé. Ce qui est une belle parade parce qu’il devenait gênant pour le groupe. C’est un petit résultat, mais il démontre la véracité de mes accusations. Toute la direction générale qui était partie prenante des malversations a ainsi été mise de côté.

Le nouveau président congolais Félix Tshisekedi a promis de s’attaquer à la corruption. Il est au pouvoir depuis janvier 2019, vous ne voulez pas lui laisser un peu de temps avant d’appeler à la mobilisation populaire ?

Les Congolais souffrent tous les jours, on ne peut pas demander à des personnes qui ont faim de patienter. Nous pensons qu’il est temps de prendre des mesures importantes pour marquer une vraie rupture avec le régime Kabila. Or, notre inquiétude, c’est l’alliance avec Joeph Kabila et la capacité de nuisance de ce dernier. Il faut de vraies réformes et un vrai changement. La manifestation dans le calme est un signal. La corruption n’est pas une fatalité. Pour la combattre il faut une volonté politique et une pression populaire. Nous ne menons pas un combat contre le président Tshisekedi, mais pour le soutenir. Pour changer les choses, il faut agir, prendre des initiatives, être soi-même acteur du changement, aider les autorités politiques à prendre le bon chemin. Quand on se mobilise contre une autorité, c’est parce que l’on veut qu’elle aille dans la bonne direction. 

Le président Tshisekedi peut-il se défaire de M. Kabila qui reste très puissant ?

M. Tshisekedi veut jouer à l’équilibriste. Il tente de ménager son partenaire, mais s’il ne se défait pas de cette alliance gênante qui n’a pas l’assentiment de sa propre base, il aura du mal à se défaire des mauvaises pratiques du régime Kabila et à lutter contre la corruption. Il y a urgence. Le président promet de lutter contre ce fléau, mais ne veut pas "fouiner" dans le passé des responsables encore aux commandes. Il faut que le chef de l'Etat soit plus net et plus clair.

Que demandez-vous concrètement ?

Nous demandons plus de transparence, une bonne gouvernance, des sanctions contre ceux qui volent l’argent public. Nous n’avons pas besoin de tendre la main aux institutions internationales pour demander des aides et s’endetter. Notre pays est riche et il faudra assainir la gestion, les finances, pour que tous les Congolais profitent de ses ressources. Quand on a une gouvernance pourrie et malsaine, ça favorise l’enracinement de la corruption. Le message est clair : nous serons beaucoup plus intolérants avec le nouveau président qui vient de l’opposition, qui réclamait lui-même le changement. Nous serons beaucoup plus regardants.

Votre grand-oncle Patrice Lumumba est une illustre figure de l’indépendance en RDC. Quel héritage politique vous a-t-il laissé ?

Il disait que nous avons eu notre indépendance politique, mais qu’il faudrait que l’on puisse arracher notre indépendance économique. Et pour cela, il faut lutter contre la corruption, la kleptocratie et prendre la voie de la démocratie. Il faut se battre pour protéger les ressources naturelles de l’Afrique, de la faune africaine pour que ce continent puisse être le moteur d’un développement durable. Le défi de ce siècle est celui de la lutte contre la corruption et le réchauffement climatique.

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