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Kamerhe prédit à Kabila un destin à la Compaoré s'il n'y a pas d'élection en RDC

Vital Kamerhe, le leader de l'Union pour la nation congolaise (UNC), est l'un des principaux opposants congolais. Après avoir été, entre autres, secrétaire général du parti au pouvoir et président de l'Assemblée nationale, il est rentré dans l'opposition en 2010. L'organisation de la présidentielle prévue en novembre 2016 est aujourd'hui sa principale revendication. Entretien.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Rassemblement de l'opposition à Kinshasa, le 15 septembre 2015 pour demander au président Kabila de respecter la Constitution. (Photo AFP/Junior Kannah)

L’opposition congolaise estime que le manque d’argent, principal argument du régime pour ne pas organiser l’élection présidentielle prévue en novembre 2016, est fallacieux. Pourquoi?
Les rapports de la Cour des comptes mentionnent que depuis 2012, au moins 200 millions de dollars américains sont chaque fois mis de côté pour les élections. Concernant l’exercice budgétaire en cours, il s’agit de 615 millions de dollars. Nous avons donc plus d’un milliard pour les élections. Si cet argent n’a pas été préservé pour les élections, le président Kabila et son Premier ministre doivent nous dire où il est.

En outre, le peuple congolais est prêt à mettre la main à la poche : chaque Congolais est prêt à cotiser un dollar symbolique. La communauté internationale devrait nous aider à combler l'écart. Tout le monde veut financer les élections en République démocratique du Congo (RDC) mais le porte-parole du gouvernement répond que la RDC n’en a pas besoin. C’est contradictoire. Seule explication possible : le régime actuel veut se maintenir au pouvoir.

Le peuple congolais veut des élections. Aucune armée, aucune arme ne peut vaincre un peuple qui se met debout et qui est déterminé à assumer son destin. Le président Kabila doit prendre la bonne décision. Qu'il le veuille ou non, le peuple congolais se lèvera comme un seul homme pour lui dire: «Stop monsieur ! Vous n’avez pas fait les élections? Alors le pays va continuer sans vous... Comme Blaise Compaoré.» 

L’opposition congolaise présente un front uni mais deux figures se démarquent: la vôtre et celle de Moïse Katumbi. Quelles sont vos relations avec ce dernier?
Nous avons des relations amicales. Nous nous sommes de nouveau rencontrés (il fait allusion à la rencontre du 2 février 2016, NDLR) pour réaffirmer notre union et notre détermination à nous battre pour obtenir des élections exemplaires. Après cette étape, viendra celle de décider qui de nous deux et des autres exprimeront leurs ambitions…

Vous avez déjà pensé à un scénario concernant le leadership: ce sera vous ou lui?
C'est clair. De ce côté-là, il n’y a pas de problème mais nous restons des démocrates. Nous n’allons pas dire aux autres membres de l’opposition et aux Congolais : «Circulez, il n’y a rien à voir !» Chaque Congolais qui remplit les conditions d’être candidat exprimera ses ambitions. Vous l'avez dit, c'est ce qu'on dit partout et c'est ce que le peuple dit: «Deux figures émergent, celles de Kamerhe et de Katumbi.» Néanmoins, le peuple nous demande d'être unis et de ne pas le décevoir. Ce ne sera pas le cas. 


Moïse Katumbi a proposé d'organiser des primaires. Qu'en pensez-vous?
Je ne suis pas contre. Cette question sera abordée en temps opportun. Pour le moment, le plus urgent est d’unir nos forces pour arracher l’organisation d’élections crédibles et transparentes. Le 16 février 2016 (une mobilisation citoyenne est prévue à cette date dans le cadre du Front citoyen 2016, coalition de l'opposition et de la société civile pour réclamer la tenue d'élections en 2016, NDLR), le peuple va les revendiquer à haute voix. 

Vous avez été un fidèle de Kabila. Quelle est la différence entre votre allié d’hier et votre adversaire politique d’aujourd’hui?
Il a perdu l’humilité qui l’a habité. C’était un homme avec lequel nous étions convenus d’être des serviteurs du peuple. Il était prêt à faire toutes les concessions : il avait accepté de discuter avec les rebelles du Mouvement de libération du Congo (MLC), du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) pour faire le 1+4. Il avait accepté de discuter avec le président Paul Kagamé pour avoir la paix à l’est du Congo, avec le président Museveni pour avoir la paix dans l’Ituri…

Ce président-là, qui estimait que toucher les caisses de l’Etat était une faute lourde, donne désormais dans les contrats léonins, dans le culte de la personnalité... Kabila, c'est pratiquement Dieu sur terre. L’une de ses premières mesures quand il est arrivé au pouvoir avait été d’interdire que l’on montre son effigie au début du journal télévisé (comme Mobutu, NDLR). Aujourd'hui, il sort des nuages.... Je ne le reconnais plus et je crois que c’est le début de la fin.  

On ne peut pas évoquer la RDC sans penser à tous les prédateurs économiques dont elle est la proie, à toutes ces multinationales qui semblent se servir sans vergogne sur votre territoire. Avez-vous une stratégie pour votre pays? 
Le Congo est comparable à une bijouterie où il n’y pas de sentinelle et qui n’a même pas de porte. Le potentiel minier de la RDC est estimé à 24.000 milliards de dollars par des études américaines, c'est-à-dire plus que les PIB réunis des Etats-Unis et de l'Europe occidentale. La première des choses est la refondation de l’Etat de droit. Il faut ensuite un leadership visionnaire et rassembleur pour le Congo. Ce pays doit être dirigé d'une main de fer dans un gant de velours pour sanctionner. Car les sanctions manquent aujourd'hui. Il faut lutter contre les anti-valeurs, la corruption, le népotisme, le tribalisme, les violences faites aux femmes...  Et la bonne gouvernance accompagne un bon leadership. Les ressources de l’Etat doivent servir à répondre aux besoins de nos concitoyens, pas à nous remplir les poches.

Pensez-vous que les Congolais qui vous ont connu en tant que dignitaire du régime Kabila vous considèrent, six ans après avoir quitté le camp présidentiel, comme un opposant crédible?
Je vois comment ils m’accueillent partout dans le pays. Les Congolais savent très bien que je n’ai pas changé.

Dans votre région d’origine, l’Est, quelles sont vos solutions pour en finir avec la violence?
L’absence de l’Etat entraîne l’absence d’autorité. Là où il n’y a pas de police, d’armée et de justice, c’est la loi de la jungle. On ne peut pas s'étonner de cette barbarie qui prévaut dans l’est du Congo. Il faut bien sûr recréer un Etat de droit mais tout en proposant un modèle de coopération régionale. Nous avons des ressources en commun avec nos voisins au niveau des frontières. En procédant ainsi, nous pourrons être en paix avec tout le monde. Car le malheur de la RDC, ce sont ses richesses. Qu’ils le veuillent ou non, les voisins savent qu’ils vivent aux mamelles de la RDC. Le Rwanda est devenu exportateur de coltan alors qu’il en pas dans son sol. Le Burundi exporte de l’or… 

Comment voyez-vous les relations futures de la RDC avec les Etats-Unis, la Belgique ou encore la France?
Nous sommes condamnés par l’Histoire à travailler ensemble. Par conséquent, nous devons identifier les défis communs pour un destin commun. Pour ce qui est des matières premières, nous allons revoir les codes des investissements pour qu’il y ait des transferts de technologie. C’est une rente pour les Canadiens, les Américains ou les Européens qui viennent installer leurs usines de transformation près des gisements, ce qui leur évite des frais de transport.

Nous voulons une coopération gagnant-gagnant. Nous ne voulons plus nous contenter d’exporter des matières premières qui nous sont revendues plus chères quand elles sont transformées. Le cuivre qui part du Congo nous revient sous forme de câble électrique cinq fois plus cher. C’est inacceptable!

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