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Sénégal : le président Macky Sall s’attaque à «l’esclavage moderne» des enfants

Ils sillonnent les rues de Dakar dès l’aube par milliers, leur écuelle à la main pour mendier leurs repas et l’argent qu’ils doivent rapporter à leurs marabouts. Certains ont à peine 5 ans. «Des enfants-esclaves» coupés de leurs familles. Le président sénégalais a décidé d’y mettre fin. Géopolis a fait réagir Alioune Tine, directeur régional d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié
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Le président sénégalais Macky Sall a donné des instructions fermes pour qu'il soit mis fin, dans les plus brefs délais, à la mendicité organisée des enfants. (Photo AFP/Pius Utomi Ekpei)

Alioune Tine pousse un grand soupir de soulagement. Depuis son bureau de Dakar, il observe attentivement la tragédie que vivent les talibés, ces enfants pieds-nus et en haillons qu’il croise depuis des années dans les grandes villes du Sénégal. L’ordre a été donné de les retirer de la rue pour les rendre à leurs familles. Des agents de la brigade des mineurs procèdent déjà à des «opérations coup de poing».
 
«Sur le terrain, les choses bougent. Des gens prennent ces enfants. Ils essayent d’être le plus humain possible et de ne pas les traumatiser. Ils les mettent dans des cars puis les amènent dans des centres d’accueil où ils peuvent boire et manger en attendant que leurs familles viennent les reprendre. Les parents ou les maîtres coraniques qui remettront ces enfants dans la rue risquent de devoir payer des amendes. Cela peut aller jusqu’à des peines de prison.»
 
Alioune Tine, directeur du bureau régional d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre basé à Dakar au Sénégal (Photo AFP/Cemil Oksuz/Anadolu Agency)

Mettre un terme au trafic d’êtres humains
La tâche n’est pas du tout facile, reconnaît Alioune Tine. Il s’agit de sauver plusieurs dizaines de milliers d’enfants. Ils seraient au nombre de 30.000, rien que dans la capitale. Et pas seulement des Sénégalais.
 
«Ceux qui viennent de l’extérieur sont les plus nombreux… Des enfants de Gambie, de Guinée Bissau, du Mali, de Sierra Léone. Il y a un vrai trafic d’êtres humains. Il y a des marabouts bissau-guinéens qui viennent s’installer ici. Ils prennent des gosses pour mendier dans la rue. Et puis ils les obligent à amener une certaine somme d’argent tous les jours sous peine d’être battus. Il y a une vraie maltraitance, une violence contre les enfants… Des enfants qui deviennent des esclaves des temps modernes. Il y en a qui meurent sous les mauvais traitements des maîtres coraniques.»
 
L’école de l’humilité a été dévoyée
Alioune Tine raconte à Géopolis comment il a été lui-même envoyé dans la rue pour mendier, mais dans d’autres circonstances. Jeune enfant, il fréquentait aussi l’école coranique.
 
«C’était comme une récréation. A l’école coranique, nous apprenions le coran, mais nous apprenions aussi l’humilité. On nous envoyait mendier dans la rue pour vivre l’expérience de celui qui est pauvre. C’était l’école de l’humilité et la culture de la tolérance. Malheureusement, cette culture a été dévoyée», regrette Alioune Tine.
 
Faut-il interdire les écoles coraniques au Sénégal ? Pour l’instant, les autorités sénégalaises semblent privilégier la pédagogie sans écarter des sanctions contre les récalcitrants.
 
«De mon point de vue, estime Alioune Tine, il faut fermer les écoles qui ne respectent pas certaines normes et qui envoient les enfants dans la rue. Il faut les fermer sans état d’âme. Il faut punir les gens qui exploitent la force de travail de ces enfants sans scrupules. S’il n’y a pas une attitude de fermeté, ça va continuer. Mais il faut aussi que l’Etat apporte son soutien à celles qui font de réels efforts, même symboliquement.»
 
Des enfants tatibés dans une école coranique à Saint Louis au Sénégal. Ils sont censés apprendre le coran, mais des milliers d'entre eux se retrouvent dans la rue, forcés par leurs maîtres à faire la mendicité (Photo AFP/Morandi Bruno)

Les talibés, une bombe à retardement
Pour les milliers d’enfants venus d’ailleurs, les ambassades des pays concernés ont été saisies par les autorités sénégalaises pour qu’ils soient ramenés chez eux.
Alioune Tine encourage les pays de la région à traiter la question de façon globale et dans la durée, pour désamorcer cette bombe à retardement avant qu’il ne soit trop tard.
 
«Vous savez, les enfants qui traînent comme ça, c’est en réalité les proies les plus faciles pour Boko Haram. En fait, quand vous regardez là où Boko Haram se développe, c’est dans des coins les plus pauvres en Afrique. Que ça soit au Cameroun, que ça soit au Nigeria, au Niger ou ailleurs. Au Cameroun, des enfants talibés deviennent des bombes humaines. Et le Sénégal n’est pas à l’abri. Aucun pays de la région n’est à l’abri.»
 
Priorité à l’éducation
Alioune Tine déplore le peu d’investissements accordés à l’éducation qui constitue pourtant un facteur de sécurité publique. Il faut, dit-il, que l’Etat se donne les moyens pour que ces enfants jouissent de leur droit à l’éducation.
 
«Si vous ne le faites pas correctement, demain vous avez des gens très fragiles. Vous avez des gens avec des cerveaux où il n’y a rien. Où on peut mettre n’importe quoi. Vous n’avez pas d’école, vous ne formez pas les gens, c’est dans ce vide que pousse l’idéologie de Boko Haram», met en garde Alioune Tine.

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