Peurs et croyances: un obstacle dans la lutte contre Ebola
Il devient de plus en plus dangereux de faire la prévention du virus Ebola en Afrique de l’Ouest. Le 16 septembre, les membres d’une mission d’information sur la maladie ont été reçus à coups de pierres et de bâton dans le village de Womé, au sud-est de la Guinée, et huit d’entre eux massacrés à la machette. On a retrouvé leurs corps gisant dans les latrines de l’école.
Leurs intentions pourtant bienveillantes (présenter les règles élémentaires pour éviter la propagation de l’épidémie) n’ont pas été comprises. «Ils nous soupçonnaient de vouloir les tuer, a témoigné un membre de la délégation, rescapé du carnage. Selon eux, Ebola n’est qu’une invention des Blancs pour tuer les Noirs.»
Un monde de démons et d'esprits malfaisants
C’est la première fois qu’un tel drame frappe une équipe sanitaire dans le «triangle Ebola», la région à cheval sur la Sierra Leone, le Libéria et la Guinée, où se concentre l’épidémie. Mais peut-être pas la dernière. Car dans la grande forêt d’Afrique de l’Ouest, les croyances de ce genre sont encore vivaces.
L’animisme, qui reste la «religion» dominante, attribue en effet une âme non seulement aux être vivants, mais aussi aux objets, à la nature, au vent, à l’eau, au feu et… aux épidémies. Et il met en scène tout un monde de démons, de maléfices et d’esprits malfaisants. Pour s’en prémunir, les villageois s’en remettent à des fétiches, à des guérisseurs ou à des rites sacrificiels variables, selon les groupes ethniques, et ils cherchent la protection des sorciers et des ancêtres.
Dans cet univers de superstitions et de magie, une maladie inconnue peut être niée. Selon l’anthropologue sénégalais Cheikh Ibrahima Niang, «quand les populations disent qu'Ebola n'existe pas, elles se rebellent contre quelque chose». A la fois le paternalisme des autorités, l'information insuffisante, ou le manque de compréhension de la structure sociale de ces pays par les étrangers.
Et l’arrivée des équipes médicales ne fait rien pour arranger les choses. Avec leurs masques, leurs seringues et leurs règles bizarres, les soignants créent la panique. Lorsque, de surcroît, ils sont blancs – autrement dit colonisateurs, descendants d’esclavagistes – leurs intentions malveillantes ne font plus de doute pour personne.
Une évidence pour Sylvie Brunel, géographe et ancienne responsable humanitaire, selon qui «la façon dont sont pris en charge les malades entretient la défiance : mise à l’index, décontamination des maisons, soigneurs effrayants avec leurs scaphandriers protecteurs, absence de traitement autre que symptomatique incitent les familles à faire bloc autour des malades et à les dissimuler, transformant certaines maisons, familles, voire villages en bombes virales.»
Le virus est en train de s'adapter
C’est dire si la lutte contre l'actuelle épidémie – la plus grave de l'histoire de cette fièvre hémorragique identifiée en 1976 – est rendue complexe. Rappelons qu'il n'existe aucun vaccin. En Guinée, comme en Sierra Leone et au Libéria, beaucoup de villageois infectés refusent d’être pris en charge médicalement. Quitte à traverser une frontière en pleine nature pour trouver le remède miracle colporté par la rumeur.
Pas question non plus de laisser arroser les cadavres d’eau de javel, comme le voudraient les médecins «du diable». Bien que les risques de contagion soient immenses, en raison des contacts physiques répétés, les proches continuent souvent de pratiquer les rites funéraires traditionnels.
Officiellement, près de 3000 personnes ont déjà succombé à Ebola. Mais, tous les spécialistes le confirment, l’épidémie, loin d’être maîtrisée, n’en est qu’à ses débuts. Comme l’explique le professeur Arnaud Fontanet, chef de l'unité d'épidémiologie des maladies émergentes à l'Institut Pasteur, «le virus est en train de s'adapter à son nouvel hôte, l'homme».
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