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Au Kenya, enfants, parents et enseignants accueillent la réouverture des établissements scolaires avec joie pour les uns et inquiétude pour les autres

Le 4 janvier 2021, la plupart des écoles et collèges kényans ont rouvert, après dix mois de fermeture en raison du coronavirus.

Article rédigé par Laurent Filippi
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Premier jour de cours pour les élèves de l'école d'Ayany, à Kibera, le 4 janvier 2021. (GORDWIN ODHIAMBO / AFP)

En ce début d’année 2021, des millions d’élèves kényans ont repris le chemin des salles de classe pour la première fois depuis l’arrêt du système scolaire le 15 mars 2020, en raison de la pandémie de Covid-19. L’annonce de la réouverture des établissements scolaires a été un immense soulagement pour les enseignants et les spécialistes de l’enfance. Si la plupart des enfants sont heureux de pouvoir retourner à l’école, beaucoup de parents restent inquiets.

Une mesure critiquée

Avec l’apparition des premiers cas de coronavirus en mars 2020, le gouvernement kényan a décidé de fermer tous les établissements scolaires. Cette mesure a été très mal accueillie par beaucoup de parents qui ne comprenaient pas pourquoi les églises, les restaurants et les magasins ont a contrario eu le droit de rester ouverts. De plus, si des cours à distance ont été mis en place par certains établissements, en réalité très peu de jeunes Kényans ont eu accès au matériel technologique nécessaire pour en profiter.

Réouverture d’une école à Nairobi, le 4 janvier 2021  (THOMAS MUKOYA / REUTERS)

C'est donc avec un immense soulagement que la réouverture des écoles primaires et des collèges en janvier 2021 – les universités peuvent choisir une date ultérieure  a été accueillie par la population. Aujourd’hui, 16 à 17 millions d’élèves ont pu ainsi reprendre les cours. Par exemple, dans le comté de Kisumu, près du Lac Victoria, les pluies diluviennes et les inondations n'ont pas empêché les élèves de rejoindre leurs écoles en pirogues, précise Africanews.

Enfants et parents du district de Nyando en pirogue sur le lac Victoria pour se rendre à l’école, le 4 janvier 2021.  (BRIAN ONGORO / AFP)

Les établissements ont dû toutefois se conformer à de nouvelles directives sanitaires strictes, allant de la fumigation des locaux à l'achat de lecteurs de température et à l'obligation pour chaque élève de porter un masque, explique The World.

Un accès à l'eau potable et aux repas

"Nous savons que moins les enfants sont scolarisés, plus le risque est grand qu’ils ne reviennent pas à l’école, et principalement les plus pauvres d’entre eux. Ils peuvent être envoyés au travail, mariés trop tôt ou être confrontés à d’autres risques susceptibles de freiner leur développement et leur bien-être", déclare Maniza Zaman, représentante de l'agence de l’ONU au Kenya.

De plus, pour beaucoup de jeunes, aller à l’école est un moyen d’avoir accès à l'eau potable et d’avoir à manger, car ils dépendent des repas scolaires. Six millions d’enfants en milieu rural et 1,4 en milieu urbain ont un accès limité à l'eau potable. Des repas scolaires gratuits ont été fournis à 1,6 million d'entre eux au Kenya en 2019.

De nombreux parents restent soucieux

A Nairobi, une mère de famille déclare à l’AFP : "En tant que parent, je suis contente que les enfants retournent à l'école, mais pour l'heure, nous sommes assez inquiets car nous ne savons pas si d'autres enfants ont le virus, ou si des enseignants l’ont, ou même le personnel de l'école." De son côté, le ministre de l'Education George Magoha estime qu'"il n'y a pas de raison pour que les parents n’envoient pas leurs enfants à l'école. Nous avons mis en place les mesures de protection adéquates mais ils (les parents) doivent s'assurer de leur fournir un masque". La température des élèves est systématiquement prise avant qu’ils ne pénètrent dans leur établissement.

Prise de température de tous les élèves avant leur entré dans l’école Our Lady of Mercy de Nairobi, le 4 janvier 2021.    (SIMON MAINA / AFP)

En revanche, comme souvent avec les enfants, les professeurs déclarent qu’ils ont toutes les peines du monde à imposer des règles de distanciation physique. La plupart des écoles n'ont pas assez de salles pour répartir les élèves. Et les classes sont souvent combles. "C'est difficile car nous n'avons pas assez de pupitres pour nous assurer que les élèves se tiennent à un mètre les uns des autres, mais nous faisons de notre mieux", a concédé la directrice d'une école primaire, dans le sud-est du pays.

Faire respecter la distanciation physique est un véritable défi et dans certaines écoles, les enseignants ont installé des salles de classe sous les arbres et dans les couloirs.

Pour autant, malgré les propos rassurants du ministre de l'Education, les parents restent inquiets et beaucoup d’entre eux exigent la construction de salles de classe supplémentaires.

Pour observer la distanciation physique, les cours sont organisés à l’extérieur des classes trop surchargées.  (SIMON MAINA / AFP)

Un père de quatre enfants assure pourtant sur VOAnews : "Nous avons remarqué que pendant une journée normale, les enfants ne se lavent pas les mains, même quand on leur demande. Ils se touchent. Ils jouent au football ensemble. Ils font du vélo ensemble. Et dans les bus, ils jouent à des jeux. Ce n'est pas très facile de les contrôler à mon avis."

Les enfants doivent retourner à l’école

Aujourd’hui, il est impératif que les enfants puissent retrouver le chemin des classes, car cette longue fermeture a eu des conséquences désastreuses. On s’attend à un décrochage scolaire massif dans le pays, explique la correspondante de RFI à Nairobi. Certains se sont mis à travailler, d’autres ont sombré dans la délinquance ou la drogue et les abus sexuels a considérablement augmenté.

"Les cas de violences contre les enfants représentent un tiers de tous les crimes signalés depuis le début du Covid-19 au Kenya

Eugenia Olliaro, une responsable à l'Unicef

Une jeune fille de 17 ans qui vit à Kibera, un bidonville de Nairobi, tient son nouveau-né, le 11 novembre 2020.  (MONICAH MWANGI / REUTERS)
Selon l'Afidep, l'Institut africain pour la politique de développement cité dans la longue enquête réalisée par The Guardian, plus de 150 000 adolescentes seraient tombées enceintes entre janvier et mai dernier. Dans cette enquête, citée sur France Culture, le quotidien britannique ajoute : "De nombreux produits sanitaires, et notamment les serviettes hygiéniques, sont habituellement fournis gratuitement dans les écoles qui ont fermé. Ainsi, les jeunes adolescentes n'ayant plus accès à ces besoins élémentaires sont amenées à vendre leurs corps au plus offrant, parfois contre 15 shillings, un peu moins de 10 centimes d'euros, pour se payer une douche quotidienne dans une salle de bain publique", explique Mercy Chege, directrice de programme à Plan International Kenya, qui assimile ce phénomène à "une pandémie fantôme".

Le retour de ces jeunes filles risque d’être très difficile, car ces mères adolescentes sont au Kenya la cible de moqueries répétées. Déjà en août, un reportage de l’AFP cité par franceinfoAfrique déclarait que dans la seule ville de Nairobi, près de 5 000 filles étaient tombées enceintes, dont plus de 500 n'étaient âgées que de 10 à 14 ans. Le ministère de l'Education a dû mettre en place un plan de réintégration dans les écoles et de véritables règlements pour permettre aux jeunes mères de poursuivre leur scolarité sans discrimination, alors que l'expression "Maman de bébé Covid" commence à se répandre.

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