Le combat d’un Béninois contre l’industrie de la mort dans le secteur funéraire.
Médard Koudebi sait de quoi il parle. C’est l’ancien secrétaire général des syndicats des pompes funèbres du Bénin. Il y a une vingtaine d’années, il avait tenté de mener une réforme dans ce secteur, en vain. Il avait dû fuir le pays après avoir reçu des menaces de mort.
Durant son séjour en France où il a trouvé refuge, il s’est inscrit à l’Ecole nationale française des métiers funéraires à Paris. Il ne pouvait plus rester les bras croisés face à l’état désastreux des morgues béninoises.
«La quasi-totalité des morgues ne disposent pas d’agrément. Les dépouilles sont conservées dans des chambres froides ou des containers frigorifiques dont les systèmes de froid sont souvent défaillants», dénonce le rapport publié en septembre 2017 par son ONG (Bénin Diaspora Assistance).
Avec une équipe de France 24, Médard Koudébi s’est rendu en octobre 2017 dans la commune de Za Kpota. C’est le fief des morgues traditionnelles dans le sud du Bénin. Notre consœur Emmanuelle Sodji, qui a mené l’enquête dans cette région, raconte comment les corps y sont séchés au soleil, traités avec du pétrole et aspergés de poudre.
«Le risque sanitaire est énorme. Parce que chacune de ces personnes est décédé d’une maladie contagieuse ou d'une maladie qui peut tuer quelqu’un d’autre. Il y a donc des précautions à prendre pour protéger l’environnement et la santé des gens», explique Médard Koudébi dans le reportage diffusé par la chaîne internationale.
Invité sur le plateau du journal Afrique de France24, Médard Koudébi décrit deux types de corps qui sont abandonnés dans les morgues béninoises:
«Quand tu décèdes dans les hôpitaux publics, le corps est gardé sur place pour obliger les parents à payer les frais de soins que le défunt a reçus. A cela s’ajoute cinq euros par jour de frais de conservation. Les corps sont donc confisqués. Cette situation fait que les gens les abandonnent parce qu’ils ne peuvent pas payer. La deuxième vague des corps abandonnés, ce sont les filles qui travaillent souvent dans les restaurants. Qu’elles viennent du Togo ou d'autres pays voisins. Quand elles décèdent, ne sachant pas où les mettre, les gens vont les déposer dans les morgues privées sous une fausse identité et disparaissent dans la nature en changeant leurs numéros de téléphone», révèle Médard Koudébi.
Toutes ces dépouilles finissent dans des fosses communes creusées à la hâte avec le risque de propagation des épidémies dans les villages environnants.
Pourquoi les autorités concernées ne prennent-elles pas les devants pour mettre fin à cette tragédie ? Parce que «cette mafia» qui prospère grâce à l’industrie de la mort compte de nombreux hommes politiques béninois, répond Médard Koudébi.
«Je peux vous affirmer que 31 morgues privées sur 45 au Bénin appartiennent à des hommes politiques et à leurs proches. Ce sont les mêmes qui sont majoritairement propriétaires de pharmacies. C’est une mafia qui nourrit tout le monde. Beaucoup de morgues sont illégales. Elles n’ont même pas de registres d’entrée et de sortie des corps, pour rester à l’abri des impôts. Et personne ne veut entendre parler de réforme», se désole-t-il sur le site de l’émission Zapping 229.
Interpellé en direct par une Béninoise choquée d’avoir récupéré le corps démembré de sa défunte mère dans une morgue, Médard Koudébi explique que toutes ces choses horribles existent parce qu’il n’y a aucune loi pour les réprimer.
«J’avais fait une vidéo pour la commission de réforme. Je parlais de trafic d’organes : de pénis, de langues… dans différentes morgues du Bénin. Le code pénal béninois punit les profanations des tombes, mais il n’a rien prévu pour les atteintes à l’intégrité physique du cadavre».
Dans le projet de décret qu’il a soumis aux autorités pour assainir ce secteur, Médard Koudébi a proposé une forte amende accompagnée de poursuites judiciaires pour toute atteinte à l’intégrité physique du cadavre. Il suggère notamment que nul ne puisse désormais installer une morgue à moins de deux km des infrastructures socio communautaires et qu’aucune zone inondable ne puisse servir de cimetière. Les tombes elles même devraient être étanches et avoir au moins deux mètres de profondeur, précise-t-il..
Médard Koudébi note avec satisfaction que ses alertes ont eu un premier effet : le ministre de l’intérieur a ordonné le recensement de toutes les morgues traditionnelles encore en fonction. Il a en outre demandé aux commissariats de police et aux gendarmeries d’arrondissement de faire l’état des lieux des morgues qui sèchent les corps au soleil. Un premier pas qu’il espère voir suivi par le vote d’une loi en bonne et due forme pour régir une filière totalement dévastée.
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