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Maladies du cœur: «Hécatombe en Afrique», deux spécialistes donnent l’alerte

Elles font partie de ces nouvelles pathologies très redoutées en Afrique. Les maladies cardio-vasculaires font des ravages. Les malades se comptent par millions et sont souvent condamnés à une mort certaine, faute de soins. Comment limiter les dégâts? Géopolis a posé la question à deux cardiologues africains. Ils dressent un état des lieux particulièrement inquiétant.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
A gauche, le professeur camerounais Daniel Lemougom, qui est président de la Fondation camerounaise du cœur. A droite, le docteur Eric Olele, praticien en France, anime depuis quelques années «les Journées cœur et urgence» à Abidjan. (Photo F.C.C/A.A.C)

Le docteur Eric Olele est un médecin spécialiste des maladies du cœur. Il exerce depuis plusieurs années en France où il a fait ses études, mais il n’a jamais oublié la Côte d’Ivoire, son pays d’origine. Il y retourne régulièrement avec plusieurs de ses collègues pour animer les Journées cœur et urgence, organisées par son association. Son constat est alarmant.
 
«Aujourd'hui, ces maladies font déjà plus de morts que le sida ou le paludisme. On nous rapporte des décès suite à de courtes maladies qu'on attribue parfois à la sorcellerie, aux empoisonnements... Mais quand on nous explique comment ces personnes sont décédées, on voit bien qu'elles ont été victimes de pathologies cardio-vasculaires, de morts subites. C'est déjà une hécatombe. Et cela va devenir catastrophique si on ne fait rien», redoute le docteur Eric Olele.
 
«Infarctus et arrêts cardiaques en croissance exponentielle»
A l'exception des pays du Maghreb qui ont fait de réels progrès dans ce domaine, c'est toute l'Afrique subsaharienne qui est menacée, confie le cardiologue ivoirien à Géopolis Afrique. Des milliers de gens disparaissent dans la fleur de l'âge, entre 40 et 50 ans. Et cela ne semble pas devoir s'arrêter. 
 
Son collègue camerounais, le docteur Daniel Lemogoum fait le même constat. Professeur de cardiologie et praticien en Belgique, il est aussi président de la Fondation camerounaise du cœur. Avec ses collaborateurs, il a mené des études poussées sur les ravages des maladies cardio-vasculaires dans son pays. Le bilan est lourd: entre 17.000 et 20.000 morts par an.
 
«Depuis quelques années, c'est l'explosion. Et je pèse mes mots. Ces maladies gagnent du terrain et font de plus en plus de morts. Le taux des infarctus qui conduisent aux arrêts cardiaques et aux morts subites sont en croissance exponentielle dans les pays africains.»
 
Selon l'OMS, il y a chaque minute 60 cas d'AVC (accident vasculaire cérébral) dans le monde dont les trois quarts surviennent dans les pays dits en développement, essentiellement en Afrique. Le continent compte un million de morts par an, précise le professeur Daniel Lemogoum.

L’introduction du mode de vie occidental pointée du doigt
Il y a quelques années, ces maladies étaient pourtant considérées comme des maladies de l'Occident. Alors pourquoi cette montée en flèche à laquelle on assiste et qui inquiète le monde médical africain?
 
Il est vrai que ces pathologies étaient auparavant sous-diagnostiquées, note le docteur Eric Olele. Mais, ajoute-t-il, c'est l'introduction du mode de vie occidental en Afrique qui a favorisé leur développement..
 
«Avec la mondialisation, les Africains voyagent de plus en plus. Ils apprennent le mode de vie occidental. De retour dans leurs pays, ils emportent avec eux cette manière de vivre: le stress, une alimentation faite de produits manufacturés qui favorisent les pathologies cardio-vasculaires. On se déplace en voiture, on ne fait plus suffisamment d'effort physique. Ce mode de vie à l'occidentale se développe aussi grâce à l'accès à internet et aux réseaux sociaux.»  
 
Résultat: l’alimentation en Afrique n'est plus saine comme par le passé lorsque les gens mangeaient ce qu'ils produisaient localement. Ils ne mangeaient pas de produits conservés au réfrigérateur pendant longtemps, explique le docteur Olele.
 
Au Cameroun, l’équipe du professeur Daniel Lemogoum a en effet observé que les populations qui ne sont pas en contact avec les modes de vie occidentaux ont été pour l’instant épargnées.

«Ces maladies sont inexistantes chez les autochtones qui vivent en forêt. Que ce soit les pygmées ou d’autres populations qui vivent en zone forestière. Il s’agit notamment des Bororo qui vivent dans les savanes», précise-t-il.
 
«L’obésité, considérée comme un signe de bien-être»
Les deux spécialistes que nous avons interrogés notent que les Africains mangent de plus en plus gras et bougent très peu. C’est le cas au Cameroun où le professeur Lemogoum a mené une étude à travers tout le pays.
 
«L'étude que nous avons menée montre que 60% des femmes camerounaises sont obèses. Au niveau national, 40% de la population souffre d'obésité et de surpoids. Cette prévalence est presque similaire à celle annoncée dans la plupart des pays africains. Les gens préfèrent être obèses, plutôt que d'être taxés de sidéens. Et dans les pays africains, comme au Cameroun, l'obésité malheureusement est considérée comme un signe de bien-être.»
 
«L’hypertension, ennemi public N°1»
Mais pour lui, c'est surtout la consommation excessive du sel qui fait des ravages. Le sel, un véritable poison, responsable de l'hypertension artérielle qu'il qualifie d'ennemi public N°1 dans son pays. Il représente à lui seul, 90% des causes d'AVC au Cameroun. 
 
«Il est recommandé de consommer 5 grammes de sel par jour et par individu. Malheureusement, force est de constater qu'en Afrique, la consommation moyenne est de 20 grammes par jour. Cette accumulation de sel va intoxiquer les artères et les rendre rigides, ce qui va expliquer un taux élevé d’hypertension, d’infarctus et d’accidents vasculaires-cérébraux.»
 
Comment dès lors stopper les dégâts? Les deux cardiologues estiment qu’il faut un effort exceptionnel de la part des pouvoirs publics. Il faut investir dans la prévention et dépister massivement la population, avec des moyens de diagnostic appropriés: des scanners, des IRM, pour pouvoir déceler ces pathologies et les traiter de manière efficace.
 
«Si je prends l’exemple de la Côte d’Ivoire, vous ne pouvez pas imaginer le circuit qu’il faut faire pour acheter un scanner. Et à quel coût exorbitant on va vous le vendre. Je crois qu’il y a un lobbying à faire pour aider l’Afrique. Il faudrait que des structures comme l’OMS apportent leur contribution. Ce sont elles qui nous regardent mourir», observe le docteur Olele.
 
Former des cardiologues et leur donner les moyens de travailler
Le professeur Lemogoum rappelle que pendant des années, priorité a été donnée aux maladies infectieuses, puis au sida. Et que les maladies du cœur ont surpris tout le monde. Il faut, dit-il, construire les infrastructures nécessaires et former des médecins-cardiologues. Aujourd’hui, le Cameroun comme la Côte d’Ivoire disposent à peine d’une soixantaine de cardiologues pour une population de 25 millions d’habitants. On est en déficit partout en Afrique, se désole-t-il. Les deux cardiologues mettent en garde les pouvoirs publics: si rien n’est fait, on va tout droit dans le mur, affirment-ils.

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