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Montée d’un sentiment anti-chinois à Madagascar
La Chine occupe une place de plus en plus importante à Madagascar, un des pays les plus pauvres d’Afrique. Une présence encouragée par les autorités. Mais qui, depuis quelques années, suscite des manifestations d’hostilité au sein de la population locale. Etat des lieux.
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«Cela fait 45 ans que les relations entre les deux pays, plus particulièrement dans le domaine économique, progressent très vite sur la base d’une coopération gagnant-gagnant», expliquait, cité par le site malgache expressmada, l’ambassadeur de Chine à Madagascar, Yang Xiaorong, en mars 2017. De fait, Pékin est le premier fournisseur de la Grande Ile, devant la France.
La même année, le volume des échanges commerciaux s’est élevé à 1,1 million de dollars (841 millions d’euros), selon expressmada. Des échanges très inégaux: 943 millions de dollars d’exportations chinoises vers Madagascar, pour 159 millions d’importations.
Dans le même temps, Pékin dit avoir déjà investi quelque 740 millions de dollars dans un pays où 90% de la population (23 à 25 millions de personnes) vit sous le seuil de pauvreté. Des investissements qui ont permis la construction d’infrastructures comme la construction d’une autoroute Antananarivo-Toamasina (est) et d’un port en eau profonde (à Narinda, dans le nord-ouest). Sans parler de projets agricoles, industriels, hôteliers. Et touristiques. A Antananarivo, l’on souhaite faire venir davantage de touristes chinois.
Répercussions politiques
En tout, 800 entreprises et 60.000 ressortissants chinois sont aujourd’hui installés à Madagascar, rapporte l’AFP. Mais d’autres sources font état d’une communauté forte de 100.000 personnes, qui serait la troisième plus importante d’Afrique.
Cette présence économique a des répercussions politiques, voire militaires. Pékin a ainsi pressenti Antananarivo pour intégrer la «Ceinture économique de la Route de la Soie», «la mondialisation selon Xi Jinping», le président chinois. Un projet qui a abouti, en mai 2017, à la signature de 270 accords avec 68 pays. Résultat: le président malgache Hery Rajaonarimampianina s’est réjoui de la «main tendue» par Pékin. Dans le même temps, l’île reçoit des visites de la marine militaire de l’Empire du Milieu, comme en mai 2017 lorsque la 25e flotte d’escorte a accosté dans le port de Toamasina (nord d’Antananarivo, la capitale) pour une «visite amicale».
Frictions
Si la présence chinoise est appréciée des autorités, elle l’est moins des habitants. Ce qui n’est pas sans provoquer des frictions.
En 2016, pendant des mois, la petite ville de Soamahamanina (centre) a ainsi vécu au rythme de manifestations contre un projet de la société chinoise Jiuxing. Celle-ci aurait exploité pendant 40 ans un gisement aurifère qui, selon les manifestants soutenus par des membres de l’opposition, aurait ruiné leurs exploitations agricoles. En cause également: la nationalité de l’entreprise. «Madagascar appartient aux Malgaches, pas aux Chinois ou aux autres étrangers», explique un étudiant, cité par l’AFP. «Quarante ans d’exploitation, ça s’appelle vendre le pays», ajoute une vendeuse.
Le Premier ministre, Olivier Mahafaly, cité par RFI, concède que «les Chinois n’ont pas suffisamment dialogué avec la population locale». Mais il évoque une «haine» vis-à-vis d’eux.
En 2011, déjà, la police était intervenue dans le quartier chinois d’Antananarivo pour éviter une émeute suite aux violences d’un commerçant asiatique sur deux employés malgaches. Et en 2014, une manifestation, qui avait duré plusieurs jours, avait fait six morts dans la sucrerie Sucoma à Morondava (ouest). Les salariés locaux demandaient à la direction chinoise des contrats de travail et des hausses de salaire. L’ambassade de Chine avait alors mis en garde les autorités contre la «mauvaise image» donnée par Madagascar.
«Sucoma est devenu le symbole de la contestation des Malgaches contre les entrepreneurs chinois, considérés comme des ‘‘voyous’’. Depuis cet évènement tragique, la tension est palpable. Plusieurs mouvements de contestation ont eu lieu dans tout le pays pour dénoncer l’octroi de terre agricole par le gouvernement à des investisseurs chinois», observe le site asialyst.com. La population «pointe du doigt les facilités avec lesquelles les entreprises chinoises obtiennent des permis d’exploitation pour des décennies sur des terrains principalement agricoles», poursuit ce site.
Trafic de bois de rose
Ces accusations contre les Chinois ne sont pas les seules. Elles concernent ainsi les exportations de bois de rose, bois précieux protégé par une convention internationale mais objet d’un véritable trafic. Selon le site newsmada.com, la Chine est la principale destination de ce trafic. Motif: le bois de rose sert à fabriquer des «hongmus», copies de meubles anciens dont raffolent les riches citoyens de l’Empire du Milieu. Son exploitation dans la Grande Ile s’est accrue depuis la crise politique de 2009. Certains journaux malgaches n’hésitent pas à parler de «mafia chinoise».
En 2014, Hery Rajaonarimampianina, nouvellement élu, avait déclaré qu’il allait «diriger personnellement ce combat contre les trafics». Une déclaration restée lettre morte. Les ramifications de ce «réseau de destruction organisée» «plongent dans les plus hautes sphères de l’administration et du pouvoir malgache», affirme une longue enquête du Monde. Les trafiquants sont donc assurés de l'impunité.
Conséquence inattendue, la vanille, dont Madagascar est le premier producteur mondial, est «devenue un produit de spéculation»… «depuis que les vendeurs de bois de rose malgache (…) blanchissent l’argent qu’ils en tirent en achetant de la vanille», rapporte RFI. Dans le même temps, les gousses noires intéressent de plus en plus les grossistes chinois, qui prennent peu à peu le contrôle de ce marché. En imposant de nouvelles méthodes de récolte et de stockage sous vide, lequel rend plus difficile les contrôles de qualité, aux dires des spécialistes. La filière, qui regroupe 80.000 planteurs, s’en trouve ainsi déstabilisée.
Inquiètes de la montée du sentiment anti-chinois, les autorités malgaches prônent l’apaisement, bien décidées à ne pas couper les ponts avec ce très puissant partenaire. «Il faut à tout prix éviter de tomber dans la xénophobie. C’est facile à déclencher mais difficile à éteindre», fait valoir le président du parti au pouvoir, Rivo Rakotovao.
Visiblement, les évènements malgaches inquiètent aussi Pékin. A tel point que son ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, s’est rendu à Antananarivo en janvier 2017 pour «rassurer les Malgaches», rapporte le site chine-magazine.com. Il a «demandé à la population et aux dirigeants de ne pas mettre tous les investisseurs chinois dans le même panier». Et d’expliquer: «Nous demandons (aux entreprises chinoises) de respecter les lois et règlements locaux, et les us et coutumes sur place. Elles doivent assumer leur responsabilité sociétale, respecter l’environnement écologique et aider à l’amélioration des conditions de vie de la population locale.»
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