Mutilations génitales : la France protège des milliers de fillettes africaines en leur offrant l'asile
L'excision, plus largement les mutilations sexuelles féminines, compte parmi les persécutions qui ouvrent droit à l'asile. En France, les protections sont en hausse depuis ces trois dernières années.
Chaque année, plus de trois millions de jeunes filles risquent de subir une mutilation sexuelle, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Et tout est mis en œuvre pour tenter de les protéger, y compris la Convention de Genève qui régit le droit d'asile dans le monde. Léa N'Guessan, avocate au barreau de Paris, a accompagné plusieurs femmes qui ont demandé la protection que leur offre le droit d'asile sur le territoire français.
"Selon le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés, plus de 20 000 femmes, fillettes et adolescentes demandent l’asile au sein de l’Union européenne (UE) chaque année, indique la juriste. En 2013, plus de 25 000 femmes ont sollicité l’asile au sein de l’UE. Ce chiffre est en augmentation depuis 2008." A l'instar des autorités françaises, "la Belgique, par exemple, accorde la protection internationale aux jeunes filles fuyant l’excision", précise Me Léa N'Guessan. Mais "la France reste le premier pays d’accueil pour ces femmes".
"Un consensus international"
Les mutilations génitales "ouvrent droit à l’asile en France en ce qu’elles constituent une persécution sur un individu dans un contexte où l’excision est considérée comme une norme sociale", explique l'avocate qui participait au colloque organisé le 6 février 2020 à Marseille par l'UFM-Gams Sud (association créée par la comédienne Naky Sy Savané) dans le cadre de la célébration de la Journée internationale contre les mutilations génitales. "Environ 9 000 personnes (en majorité des fillettes, NDLR) sont placées sous la protection de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra)" à ce titre, affirme Julien Boucher, le directeur de l'établissement en charge de l'examen des demandes d'asile en France. Au total, quelque 300 000 personnes bénéficient de la protection de l'Ofpra dans le cadre du droit d’asile, tous motifs confondus.
Comme au niveau européen, la part liée aux mutilations génitales dans l'octroi du droit d'asile a "régulièrement augmenté". "Ces trois dernières années, nous sommes au-delà des 1 000 protections annuelles sur ce sujet", note Julien Boucher. "C’est une problématique, au regard de l'asile, qui est relativement récente et que l’on peut faire remonter à une douzaine d’années. Elle a émergé le temps que la jurisprudence et le cadre législatif s’adaptent pour assurer une prise en compte adéquate et que les personnes susceptibles d’être concernées sachent (que leur situation) pouvait relever du droit d’asile."
Les mutilations génitales, notamment l’excision, sont "des agissements qui sont considérés comme des infractions pénales en droit français, voire des crimes sur les mineurs de 15 ans. Dans le droit de l’asile, il est bien établi et cela fait l’objet d’un consensus international, que c’est une forme de persécution ou d’atteinte grave qui est susceptible de déboucher sur le statut de réfugié ou relève de la protection subsidiaire (les deux types de protections offertes par l'Ofpra)."
L'Afrique de l'Ouest – principalement la Côte d'Ivoire, la Guinée et le Mali – et dans une moindre mesure la Corne de l'Afrique, sont les régions dont sont originaires la plupart des personnes qui se sont vues accorder le droit d'asile parce qu'elles risquaient de subir des mutilations génitales. Des statistiques qui font écho à la cartographie mondiale du phénomène. "Plus de 200 millions de jeunes filles et de femmes sont victimes de mutilations sexuelles pratiquées dans 30 pays africains et du Moyen-Orient où ces pratiques sont concentrées", indique l'OMS. Notamment dans "l'ouest, l'est et le nord-est de l'Afrique, dans certains pays d'Asie et au Moyen-Orient, ainsi que dans certaines communautés d'immigrants en Amérique du Nord et en Europe".
Des femmes qui protègent leurs filles
Les victimes s'emploient à éviter pareil sort à leur progéniture. "Les femmes victimes d’excision, ayant mis au monde une ou plusieurs filles sont susceptibles de solliciter l’asile, s’il est établi que ces enfants encourent un risque d’excision en restant dans leur pays d’origine", explique Léa N'Guessan.
Ainsi, dans l'un des cas qu'elle a traités, "une mère, d’origine Guinéenne, excisée et craignant à juste titre l’excision pour sa fille, dans un contexte de violences familiales motivées par son refus catégorique d’un mariage forcé, a obtenu la protection tant pour sa fille que pour elle-même". Car, poursuit l'avocate, "ces mutilations génitales féminines sont très souvent le prélude à un mariage forcé. De nombreuses jeunes filles sont excisées pour devenir ' femme' selon l’expression consacrée afin de les 'préparer' à un mariage forcé, très souvent imminent".
De jeunes adultes demandent l'asile, mais "la catégorie pour laquelle la protection est appliquée, c’est essentiellement des fillettes, parfois des bébés, dont on établit un risque réel qu’elles soient victimes (de mutilations sexuelles) dans le cas où elles retourneraient dans leur pays d’origine, celui dont elles ont la nationalité, qu’elles soient nées dans ce pays ou, le cas échéant, en France", confirme le responsable de l'Ofpra qui souligne que "la possibilité de demander l’asile est ouverte aussi bien aux majeurs qu’aux mineurs, évidemment par le biais d’un représentant légal".
"Une fois que l’on accorde une protection à une fillette, on ne l'octroie pas nécessairement à ses parents. Mais la loi prévoit que lorsque qu’un mineur obtient l’asile, ses parents bénéficient d’un titre de séjour pour préserver l’unité de la famille sur le sol français."
L'Ofpra statue "en rapprochant les déclarations du demandeur d’une analyse de la situation du pays". "Il n’y a jamais de position de principe, insiste Julien Boucher. Chaque demande d’asile fait l’objet d’un examen individuel". Parmi les éléments analysés, "l'attitude des autorités du pays d'origine vis-à-vis de ces pratiques, afin d'apprécier la mesure dans laquelle une protection effective pourrait être obtenue auprès d'elles" est également prise en compte. En cas de décision négative, les demandeurs peuvent exercer leur droit de recours devant la Cour nationale du droit d'asile.
"A l’Ofpra, résume Julien Boucher, on a souhaité se donner les moyens de se saisir de cette problématique. Nous sommes face à une situation où la protection de la France se justifie entièrement. Nous avons beaucoup travaillé ces dernières années, en lien avec les pouvoirs publics notamment avec des interventions successives du législateur, qui a établi un cadre juridique vraiment cohérent et efficace pour pouvoir traiter au mieux cette problématique". La France, en octroyant l’asile pour ce motif, contribue ainsi à épargner des milliers de fillettes originaires du continent africain.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.