Cet article date de plus de sept ans.

Une des dernières interviews de Dulcie September avant son assassinat

Avant de devenir la représentante de l’ANC à Paris dans les années 80, Dulcie September avait purgé une peine de 5 ans dans les prisons sud-africaines, destituée de ses droits civiques et de celui «d’exercer son métier d’institutrice». Nous l'avions rencontrée, deux ans avant son assassinat le 29 mars 1988, à sa permanence de la rue des Petites écuries à Paris. L'interview d'une militante lucide.
Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le président Jacob Zuma rend Hommage à Dulcie September représentante de l'ANC assassinée en 1988 à Paris  (BERTRAND LANGLOIS / POOL / AFP)
Il y a quelques jours, le gouvernement sud africain a imposé une censure sur la presse suscitant une vague de protestations. Pourquoi selon vous, une telle mesure ?
Le gouvernement sud-africain veut donner l’impression que c’est à cause des caméras de la presse internationale que les Noirs d’Afrique du Sud ont le courage de se battre. Sont-ils si naïfs ! Le gouvernement Botha ne veut pas admettre qu’un vaste mouvement de libération se développe actuellement en Afrique du Sud parce que, pour lui, il n’y a pas de vrai problème, des réformes sont en cours, ils améliorent le système d’apartheid.
L’apartheid ne peut être amélioré, l’apartheid est un système qui doit être détruit. Ce régime doit réaliser qu’il n’a plus d’avenir, qu’il est condamné, qu’il est fini.
 
Autre fait nouveau, depuis quelques semaines : la violence gagne les quartiers blancs jusqu’ici épargnés…
Il y a quelques mois, l’ANC a appelé la population à mener le combat jusque dans les quartiers blancs. Auparavant, la lutte était limitée aux cités noires et les Blancs refusaient de voir ce qui se passait autour d’eux. Il est temps pour eux de réaliser qu’il y a deux forces qui s’affrontent : d’un côté, les gens qui se battent avec l’ANC, de l’autre, le régime fasciste d’Afrique du Sud. Ils doivent choisir parce que tôt ou tard, ils devront reconnaître que l’ANC est le futur gouvernement de l’Afrique du Sud.
 
Quelle est votre stratégie pour mettre fin à l’apartheid ? Etes-vous encore prêts à négocier ?
Nous allons utiliser tous les moyens à notre disposition pour mettre fin à ce régime. Nous allons utiliser l’action militaire grâce à notre bras armé, nous allons recourir à des actions politiques de masse. Cela peut signifier des grèves à travers le pays, des manifestations de rues en Afrique du Sud.
Mais il est encore possible de négocier si certaines conditions sont réunies : d’abord , c’est au gouvernement raciste d’Afrique du Sud de stopper la répression, l’armée et la police doivent évacuer les cités noires, tous les prisonniers politiques doivent être libérés, l’ANC doit être reconnue. Le gouvernement de Pieter Botha doit être prêt à avancer des propositions constructives.
Si Botha est prêt à considérer les positions de l’ANC, il pourrait y avoir encore une chance. Mais pour le moment, en Afrique du Sud, qu’y a-t-il à négocier ?
 
Quel est, selon vous l’avenir des Blancs d’Afrique du Sud après la chute de leur pouvoir ?
La «Charte de la Liberté»programme de base de l’ANC, proclame que l’Afrique du Sud appartient à tous ceux qui y vivent, aux Blancs, comme aux Noirs, les droits doivent être les mêmes pour tous, droit de vote, liberté d’expression.
C’est le peuple sud-africain lui-même qui décidera du sort des racistes et des fascistes quand il prendra le pouvoir. Nous avons toujours demandé aux Blancs rejoindre notre combat. On leur a laissé une chance. Nous avons constamment demandé aux militaires blancs de déposer leurs armes. Nous avons demandé aux femmes blanches d’empêcher leurs enfants de rejoindre l’armée.
L’ANC est une organisation multiraciale, de plus en plus de Blancs viennent gonfler nos rangs. Il y a beaucoup de Blancs qui pensent que le régime actuel est dans une impasse et qu’il est temps de réagir.
 
Quelle est la place des femmes dans la lutte de libération ? Elles semblent jouer un rôle important…
Les hommes en Afrique du Sud sont maltraités, mais c’est encore pire pour les femmes, parce qu’elles sont des femmes, parce qu’elles sont noires, parce qu’elles travaillent. Elles n’ont aucun droit. Il y a beaucoup de groupes féministes en Afrique du Sud qui essaient actuellement de constituer une fédération de toutes les femmes parce qu’elles constituent une grande force dans la lutte de libération, un rôle important.
Il y a des discussions permanentes à l’intérieur de l’ANC sur le rôle des femmes et nous pensons que le combat pour l’émancipation des femmes en Afrique du Sud ne doit pas attendre que le pays soit libéré : il doit commencer tout de suite.
 
Pensez-vous que le gouvernement Botha soit aujourd’hui très isolé au niveau diplomatique et qu’attendez-vous de la solidarité internationale ?
Oui, absolument, le régime de Botha est de plus en plus isolé. Et c’est parce qu’i se sent isolé qu’il a annoncé quelques réformes comme celle des «pass laws», par exemple. Il veut montrer à ses partenaires qu’il adoucit son régime. Mais parler avec Botha comme pensait le faire Reagan avec sa proposition «d’engagement constructif» ne changera pas la situation en Afrique du Sud. Au contraire, cela lui donnera plus de crédibilité et il continuera la politique qu’il mène depuis des années. D’ailleurs, même aux Etats-Unis, Reagan ne sait plus quoi faire avec Botha.

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