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"Tu mourras à 20 ans" : le Soudanais Amjad Abu Alala signe avec raffinement le tableau d'une vie volée

Le premier film du réalisateur, qui fait plus que jamais écho au vent de liberté qui a soufflé sur le Soudan, est à découvrir sur les écrans français depuis le 12 février 2020. 

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une scène du film "Tu mourras à 20 ans", d'Amjad Abu Alala où l'on voit, au premier plan, son héros, le jeune Muzamil incarné par le comédien Mustapha Shehata. (PYRAMIDE DISTRIBUTION)

Que faire de sa vie quand on vous prédit, dès vos premiers mois sur terre, la mort pour votre vingtième anniversaire ? C'est la question existentielle qu'aborde le cinéaste soudanais Amjad Abu Alala dans Tu mourras à 20 ans, long métrage de fiction à découvrir dans les salles françaises, depuis le 12 février 2020. Son héros s'appelle Muzamil et Mustafa Shehata lui prête judicieusement ses traits.  

Fatalité

Muzamil, qui vit dans la province d’Aljazira au Soudan, est un jeune homme couvé par sa mère, Sakina (Islam Mubarak). Celle qui ne s'habille qu'en noir porte déjà le deuil de son fils, peut-être aussi celui d'un mari qui a choisi de prendre le chemin de l'exil depuis la funeste prédiction. Le quotidien de Muzamil est celui d'un enfant que l'on surveille comme du lait sur le feu : il ne joue pas avec ses amis et évite de s'approcher de "la rivière", en l'occurence le Nil. Bientôt, parce que les sages le lui ont conseillé pour le salut de son âme, son existence se résume à la lecture du coran qu'il finira par connaître par cœur.

Alors que ses 19 printemps ont sonné et que ses jours sont plus que jamais comptés, il fait la rencontre de Sulaiman (Mahmoud Elsaraj), un homme d'un certain âge dont la philosophie a toujours rimé avec carpe diem. Deux conceptions de la vie s'opposent désormais : celle de Muzamil qui vit, malgré lui, comme s'il était au seuil de sa vie et celle de Sulaiman, grand baroudeur de retour au pays, qui n'a pas renoncé à croquer la vie, ce privilège souvent dévolu à la jeunesse. Avec Sulaiman, qui prend toutes les libertés y compris vis-a-vis de l'islam, Muzamil découvre les mathématiques et le cinéma... Mais surtout un univers de possibles qu'il n'avait jusqu'ici jamais imaginé.

Raffinement

Dans ce village soudanais, auquel celui du père d'Amjad Abu Alala sert de décor, le réalisateur soudanais filme avec une indéfinissable poésie et un grand souci esthétique, la vie qui file entre les doigts de Muzamil sous le signe de la fatalité. En dépit de l'amour que lui porte Naima (Bunna Khalid), le jeune homme semble s'être résigné à ce que le cheikh (chef religieux), dont la science divinatoire n'est jamais remise en question par la communauté, lui a prédit. Seul Sulaiman le pousse dans ses derniers retranchements et l'oblige à questionner ses choix de vie... ou plutôt de mort. 

A l'instar de cette existence bornée, les cadres d'Amjad Abu Alala sont d'une symétrie parfaite, chaque fenêtre et chaque porte dans Tu mourras à 20 ans en témoignent. Les plans du film prolongent l'enfermement de Muzamil. Abu Alala zoome et dézoome sur les visages de ses protagonistes qu'il fait souvent découvrir au spectateur au plus près. Ses acteurs, dont chacun excelle dans son registre, lui facilitent amplement la tâche en donnant vie, à la fois avec éloquence et sobriété, au profond désespoir qui ne peut que les habiter. Au total, chaque séquence de Tu mourras à 20 ans, servie par une photographie et des décors sublimesest pensée comme un tableau. L'œuvre d'Amjad Abu Alala, qui se révèle être un peintre de grand talent, transpire le raffinement.

Renaissance

Quelle marge de manœuvre reste-t-il à Muzamil, quand tout le monde a fait de lui un mort-vivant depuis sa plus tendre enfance ? La réponse qu'offre Amjad Abu Alala, dont la fiction est inspirée de la nouvelle de l'écrivain et militant des droits de l'Homme Hammour Ziada (exilé en Egypte), ramène à la récente révolution soudanaise. Le long métrage est d'ailleurs dédié à ses victimes. 

Le réalisateur soudanais, qui réside aux Emirats arabes unis, a infusé dans son long métrage l'atmosphère qui prévaut dans son pays depuis 2018, où la révolution a éclaté. "J'ai écrit le film avant la révolution, mais la liberté a toujours été mon sujet. On a commencé à tourner à la mi-décembre 2018, le jour même où la première étincelle de la révolution s'est enflammée dans le nord du pays, à Atbara. Sur le plateau, tout le monde était survolté. (...) Le souffle de la liberté était partout sur le plateau. En avril, j'ai interrompu la post-production au Caire pour revenir au Soudan et participer aux événements", confie Amjad Abu Alala dans le dossier de presse du film.

Le cinéaste prouve encore une fois que les artistes ont souvent une longueur d'avance. A l'image de cette nouvelle génération de réalisateurs soudanais qui redonnent des couleurs au septième art dans un pays où il a été étouffé sous la dictature de l'ancien président déchu Omar el-Béchir. Tu mourras à 20 ans, qui a notamment reçu le Lion du futur à la Mostra de Venise (prix décerné à un premier film, équivalent de la Caméra d'or au Festival de Cannes), est un échantillon très convaincant de ce que le renaissant cinéma soudanais peut produire. Et on s'en délecte déjà !

Tu mourras à 20 ans (You Will Die at Twenty) d'Amjad Abu Alala 
Avec Mustafa Shehata, Islam Mubarak et Mahmoud Elsaraj 
Sortie française : 12 février 2020

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