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Tchad: «Habré sera condamné grâce aux preuves que nous avons réunies»

Sur les traces de Clément Abaïfouta, le président de l’Association des victimes des crimes du régime d’Hissène Habré (AVCRHH), son compatriote Mahamat-Saleh Haroun a recueilli leurs témoignages dans le documentaire «Hissein Habré, une tragédie tchadienne». Le militant et le cinéaste reviennent sur le procès historique de l'ancien président tchadien dont le verdict est attendu le 30 mai 2016.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Clément Abaïfouta (à droite), le président de l'Association des victimes des crimes du régime d'Hissène Habré, aux côtés du cinéaste Mahamat-Saleh Haroun qui signe le documentaire «Hissein Habré, une tragédie tchadienne». (Photo du film «Hissein Habré, une tragédie tchadienne»/DR)

Comment le procès de l’ancien président Hissène Habré a-t-il été vécu au Tchad?
Clément Abaïfouta: Beaucoup de gens, y compris les victimes, ne croyaient pas en la tenue de ce procès. Mais dès lors que les audiences ont démarré, que les gens ont pu y assister via leurs écrans... tout s’est arrêté. Ils n’en revenaient pas. Il n’y avait personne dans les rues quand le procès était retransmis. Tous les Tchadiens avaient les regards rivés sur leur télévision pour savoir ce qui se passe, ce qui se dit… C’était une façon de commencer à calmer toute cette douleur éprouvée par le peuple tchadien.

Mahamat-Saleh Haroun: Le procès, je l’ai suivi aussi bien sur place à Dakar, qu’au Tchad, à la télévision. Tout le monde était scotché au petit écran, les gens le regardaient comme une série. Tous ces crimes ont été commis dans le silence absolu. De nombreux Tchadiens, notamment les plus jeunes, ignorent ce qui s’est passé. Ce procès a permis à certains de découvrir les horreurs perpétrées sous le règne d'Hissène Habré. J'ai assisté à une sorte de politisation des individus, notamment des moins instruits et ce processus leur a fait comme une place dans la cité. Il y a eu une prise de conscience. Ce procès a une véritable valeur pédagogique.

L'ancien président tchadien Hissène Habré, escorté par ses gardes, lors du premier jour de son procès le 20 juillet 2015
 (AFP PHOTO / SEYLLOU  SEYLLOU)

Le régime actuel d’Idris Déby, qui n’est pas lui-même exempt de critiques, a-t-il eu une démarche particulière vis-à-vis des victimes et de leur combat? L’Etat tchadien a-t-il l’intention d’indemniser les victimes des années Habré?
Clément Abaïfouta: Je ne dirai pas que le régime n’a rien fait. Il a permis aux Belges (la Belgique avait été sollicitée par des victimes belges d'origine tchadienne pour juger Hissène Habré, NDLR) de venir au Tchad et aux Chambres africaines extraordinaires (la juridiction spéciale qui a jugé Hissène Habré, NDLR) d'organiser les commissions rogatoires. Seulement, certaines personnes qui ont collaboré avec Hissène Habré courent toujours et d'autres occupent des postes au sein du régime actuel.

Par ailleurs, nous avons gagné un procès à N’Djamena le 25 mars 2015, mais l’application de la décision de justice est en souffrance. Des gens ont été jugés et condamnés et rien ne se passe. Cela soulève en nous bien des interrogations. Certains estiment que le procès qui se tient à Dakar et celui qui s’est tenu à N’Djamena, c’est la même chose. C’est le même dossier, certes, mais ce sont des procédures judiciaires distinctes. L’une a une dimension nationale, l’autre internationale. Il faudrait que le gouvernement  tchadien manifeste davantage sa volonté d’agir en faveur des victimes du régime Habré. Nous avons demandé au Premier ministre de mettre en place une commission qui étudierait les demandes d’indemnisation. Rien n’a été fait.

Le dossier Hissène Habré fait tellement peur… Le gouvernement devrait saisir l’opportunité qu’offre ce procès pour régler un certain nombre de questions auxquelles le pays est confronté. Nous rêvons de réconciliation mais elle ne peut se faire sans la participation du gouvernement. Nous avons intérêt à nous unir et à travailler ensemble pour ce beau pays que nous aimons tous. 

Mahamat-Saleh Haroun: Obtenir réparation et dédommagement au Tchad, ce sera votre nouvelle bataille... 

Qu’avez-vous ressenti face au mutisme d’Hissène Habré durant son procès?
Clément Abaïfouta: C’est une ultime insolence, un crachat sur la mémoire des victimes. 




Que vous inspirent ces hommes et ces femmes rencontrées grâce à votre documentaire? 
Mahamat-Saleh Haroun: Chez Clément Abaïfouta et ses compagnons d’infortune, il y a avant tout beaucoup de courage. Après avoir subi tant d'humiliations et d'exactions, ils se sont affranchis de la peur. Il y a chez eux comme un défi à la vie. Ils m’ont aidé à ne pas avoir peur de traiter ce sujet qui divise encore. Pas seulement au Tchad, mais aussi en Afrique. Certains pensent encore qu’Hissène Habré n’a pas commis tous ces actes, que son régime n’a pas été tortionnaire et que tout ça est un complot ourdi par les Occidentaux et les médias.

Clément Abaïfouta : En tant que victime, ce film constitue une tribune. Ce documentaire permet de présenter aux yeux du monde la réalité de ce que nous avons vécu. C'est un réconfort dans cette pénible lutte que nous menons depuis depuis vingt-six ans. Nous avons l’obligation de contribuer à la réécriture de l’Histoire de notre pays. 




Entre une victime (à gauche) et un bourreau se tient Clément Abaïfouta, le président de l'Association des victimes du régime d'Hissen Habré. Photo du documentaire «Hissen Habré, une tragédie tchadienne» signé Mahamat-Saleh Haroun. (DR)

En travaillant sur ce documentaire, vous vous êtes posé de nombreuses questions. L’une d’elle est la suivante: «Existe-t-il encore une place pour le pardon dans le cœur des rescapés»? Avez-vous réussi à répondre à cette question ?
Mahamat-Saleh Haroun: J’ai essayé d’y répondre en tant que cinéaste. C'est-à-dire en organisant un espace imaginaire qui est ce banc dans le documentaire, où Clément fait le médiateur entre le bourreau et la victime. 

Tout le combat de Clément, à travers l'association, est d’aider les uns et les autres à se reconstruire, peut-être à se réconcilier. Car, en tant que citoyens d'un même pays, nous sommes liés par un destin commun et donc condamnés à partager le même espace. C’est par la médiation, un travail hautement politique, que cela est possible. A mon niveau, j’ai essayé de le faire à travers cette confrontation de quelques minutes. Mais le pardon, comme vous l’avez vu, est très difficile à demander et, par conséquent, il est difficile de parvenir à la paix des cœurs. Cependant, il faut se délester de la haine pour vivre en homme libre, pardonner pour ne pas être piégé par l’Histoire. 

Clément Abaïfouta: Tout comme nous avons fait beaucoup de sacrifices pour mener à bien notre combat, nous avons l’obligation d’accepter le pardon parce que la réconciliation est un effort collectif. Ce ne sera pas facile mais il faut y aller. 

Le 30 mai 2016 sera à marquer d'une pierre blanche pour toutes les victimes du régime d’Hissène Habré…
Clément Abaïfouta: Je n’ai aucun doute sur le fait qu’Hissène Habré sera condamné grâce à toutes les preuves que nous avons réunies.


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