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Treize siècles d’échanges entre monde arabo-musulman et Afrique subsaharienne
Publié le 07/06/2017 16:30
Mis à jour le 08/06/2017 17:46
Temps de lecture : 1min
A l’Institut du Monde arabe, l’exposition «Trésors de l'islam en Afrique de Tombouctou à Zanzibar» fait comprendre les liens créés entre le monde arabo-musulman et l’Afrique subsaharienne. 300 œuvres et documents (artisanat, œuvres du patrimoine, art contemporain, archéologie, architecture religieuse et profane, rituels) retracent treize siècles d’Histoire.
A partir du VIIIe siècle, grâce aux marchands-voyageurs et aux membres pacifistes des confréries soufies, l’islam a transmis sa culture au continent africain. Echanges et réciprocité se sont peu à peu établis entre le nord et le sud de l’Afrique. «La pratique de l’islam se détache rapidement d’une simple influence arabe, berbère ou persane et devient le fait de musulmans africains.»
Pour mieux appréhender ce cheminement de l’islam à travers le continent, trois grandes zones géographiques ont été retenues. Là où les premiers contacts et les plus féconds se sont opérés: l’Afrique de l’Ouest (Sahel), la Corne de l’Afrique et la Haute vallée du Nil (du sud de l’actuelle Egypte à la Somalie) et l’aire swahilie (de Mogadiscio au sud de l’actuel Mozambique ainsi que les Comores et Madagascar).
Alors que la violence du terrorisme des islamistes radicaux en Afrique (Mali, Nigeria, Cameroun, Somalie, Tchad…) fait la une quotidiennement des médias, cette exposition offre un nouveau regard sur ce continent.
A l’Institut du Monde arabe (IMA) jusqu'au 30 juillet 2017.
La grande mosquée de Djenné au Mali, inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, est le plus grand bâtiment en terre crue du monde (75m de long sur 20m de haut). Elle peut accueillir un millier de personnes. «Dès le VIIIe siècle, des communautés musulmanes se sont dotées de lieux pour prier. L’architecture religieuse en Afrique subsaharienne propose des typologies originales qui s’éloignent des formes connues dans le monde arabo-musulman. Certains autels animistes ont été reconvertis en mosquée en adaptant leur plan aux besoins de la prière. C’est parfois le cas des formes architecturales de la boucle du Niger.» Le caractère éphémère de leur construction a contribué au désintérêt des chercheurs avant qu’ils ne redécouvrent le lieu en 1988, explique l’IMA. (James Morris)
Dans la région du Sahel, les formes architecturales des bâtiments religieux sont très diverses, se détachant de l’influence arabo-musulmane pour répondre aux traditions locales. Le photographe Sebastian Schutyser fait découvrir la multiplicité des styles qui donnent une idée de l’immense pluralité des pratiques de l’islam à travers le continent africain. (Sebastian Schutyser, Gand, Belgique, collection de l’artiste)
«Dans l’imaginaire des musulmans nord-africains, le Sahel, au sud du Sahara, est à la fois un objet de désir et d’inquiétante altérité. L’attrait de l’or et des esclaves a favorisé très tôt le développement des routes transsahariennes, par lesquelles l’islam s’est ensuite diffusé. Les commerçants qui animent des réseaux à longue distance sont en effet probablement les premiers à adopter et à faire connaître la nouvelle religion», précise l’IMA. (Vincennes, collection C. Hamès - Photo Cateloy – IMA)
«La diffusion de l'islam s'est d'abord faite par les marchands égyptiens venus du monde arabo-musulman, explique la co-commissaire de Trésors de l'Islam en Afrique, Hanna Boghanim. (…) C'est seulement à partir du XVIIIe siècle qu'il y a eu les premiers djihads» et que cette période de diffusion non violente a pris fin. «Il ne s'agit pas de convertir de nouvelles populations, mais de revenir au plus près du texte sacré», précise-t-elle. Les couteaux en fer du régime soudanais mahdiste, régime politique qui dirigea le pays de 1885 à 1899, attestent d'une reprise en main plus violente. (Photo studio Ferrazzini-Bouchet. Fondation Musée Barbier-Mueller)
Avec une série mettant en scène de jeunes recrues djihadistes dont la tête est remplacée par des calebasses peintes en noires, le photographe malien, primé aux Rencontres de la photographie africaine de Bamako en 2015, a voulu dénoncé le «vide intellectuel, le non-sens» de l’endoctrinement. Ce travail «parle de l’obscurantisme religieux, des gens qui se cachent derrière la religion pour faire du mal et tuer au nom de Dieu, alors que l’islam n’est pas une religion de la violence. Ils ne font que défendre leurs propres intérêts.» L’Afrique a dû faire face à partir du XIXe siècle à la multiplication des guerres saintes. Des groupes djihadistes comme Boko Haram, qui a prêté allégeance à l'Etat islamique en 2015, est responsables de massacres, attentats et enlèvements dans de nombreux pays (Nigeria, Cameroun, Mali...). (Aboubacar Traore)
L’œuvre de l’artiste malien Abdoulaye Konaté dénonce la situation politique au nord du Mali depuis 2012. Ses tableaux-textiles questionnent le monde tant sur le plan politique que spirituel. Avec «Non à la Charia à Tombouctou», il veut dénoncer l’islamisme radical implanté au Mali. (Abdoulaye Konaté, Courtesy Primo Marella Gallery - Musée national du Mali)
«Avant l’islam, les sociétés africaines possédaient leur propre répertoire d’objets magiques élaborés par les magiciens, devins, guérisseurs ou chasseurs de sorciers. La nouveauté des pratiques introduites par les musulmans réside dans l’usage de l’écriture. Les textes sacrés sont extraits de leur contexte et combinés afin de s’adapter à la demande. Les manuscrits eux-mêmes, Coran ou ouvrages de dévotion populaires comme le Dalâ’il al-khayrât, deviennent des objets magiques, comme en témoignent leurs usages.» (Collection Constant Hamès )
«Contredisant l’idée d’un continent où prévaudrait l’oralité, les manuscrits de Tombouctou issus de la bibliothèque Mamma Haidara (exposés pour la première fois) témoignent de l’effervescence intellectuelle de la ville à l’époque songhaï (XVe-XVIe siècles). Un enseignement s’est progressivement mis en place dans des grands centres urbains (Gao, Djenné et Tombouctou au Mali, Sokoto et Kano au Nigéria, ou Harar en Ethiopie). (…) L’exemple de Tombouctou mérite une attention particulière. Carrefour intellectuel, la ville attirait les savants de l’ensemble du monde musulman avec ses universités et ses bibliothèques. Les manuscrits qui y sont conservés en témoignent par la diversité des disciplines abordées», précise l’IMA. (Collection Constant Hamès )
Certains disciples d’Ahmadou Bamba (théologien, poète, juriste et fondateur de la confrérie des Mourides) ont créé des lignées de marabouts avec des particularités, telles que les Baye Fall. «Au Sénégal, ce mouvement est un culte musulman soufi lié au mouridisme. Le Baye Fall vit détaché de toute possession matérielle. Il voue un pouvoir total et une croyance absolue en Dieu, à son Prophète et au marabout, messager de la parole de Dieu», explique le photographe. (Laurent Gudin)
L'islam va se transmettre par l'écriture, même s'il faut plusieurs siècles avant qu'apparaissent les premiers textes écrits en arabe sur des planches grâce auxquelles les étudiants apprennent le Coran. Elles viennent du Soudan, du Kenya, de Somalie et de Mauritanie. Avec sa série «Manuscits», l’artiste d'origine nigériane Victor Ekpuk s’inspire de ces planches sur lesquelles il mêle dessins, symboles et écriture Nsibidi (un système d’écriture du sud-est du Nigeria aux racines millénaires) pour créer un langage universel. (Victor Ekpuk, Washington, D.C., États-Unis, collection de l’artiste)
Présenté comme le «Andy Warhol de Marrakech», le célèbre photographe contemporain Hassan Hajjaj, a réalisé en collaboration avec le jeune maâlem (maître en matière d'artisanat ou d'arts, au Maghreb NDLR) gnaoui, Marouane Lbahja, une série de portraits destinée à préserver la mémoire et la culture gnaouie. «A travers ces portraits, nous voulions Hassan et moi revaloriser les maâlems gnaouas, en les immortalisant sur du papier», précise-t-il sur «L’Observateur». Les Gnaouas, descendants d'anciens esclaves issus de tribus d'Afrique Noire (Sénégal, Soudan, Ghana...), pratiquent encore aujourd’hui des rituels où musique et chant jouent un rôle essentiel. (Hassan Hajjaj et Merouane Lbahja)
«La persistance de l’emploi de masques dans les fêtes musulmanes en Côte d’Ivoire témoigne d’une assimilation tolérante de l’islam au sud du Sahara. Trois traditions de masques sont associées à l’islam: les masques Bedu, Gbain et Do. Les cérémonies masquées continuent de trouver leur place dans la vie quotidienne car elles traitent d’aspects souvent ignorés des rituels islamiques, comme la protection contre la sorcellerie. Elles peuvent être simplement tolérées (Bedu) ou expressément associées au calendrier musulman (Gbain, Do)», explique l’IMA. (Photos Luis Lorenço et studio Ferrazzini-Bouchet. Fondation Musée Barbier-Mueller)
«L’ethnie Baga vit sur le littoral de Guinée-Conakry, en Afrique de l’Ouest. Connus pour leurs talents de sculpteurs, ils sont également considérés comme de puissants ritualistes, réputés pour leurs sociétés d’initiation masculines. Des rites pour lesquels les Baga fabriquent des statues, des masques, des tambours ou encore des sièges, utilisés lors de cérémonies. Le masque symbolisant soit un ancêtre, soit les esprits et leurs pouvoirs. (…) Au fil du temps, l’art Baga s’est modifié au rythme des changements religieux et politiques du pays. Avec l’arrivée du christianisme et de l’islam, les masques furent utilisés différemment, et leur forme changea», indique Stéphane Hilarion sur Culture Box. (Photo studio Ferrazzini-Bouchet - Fondation Musée Barbier-Mueller)
«Ces œuvres sont dans la continuité de mon travail sur le corps mystique. Je me suis focalisée sur la partie la plus haute du corps humain, la tête, qui est exposée aux intempéries de la vie. Je la recouvre et l’entoure avec une série de chapeaux minarets que j’ai confectionnés de manière traditionnelle et rituelle, dans la pure tradition sénégalaise des Sufi Baye Fall qui assemblent et cousent leurs vêtements à partir de 99 morceaux d’étoffes, comme les noms d’Allah dans le Coran», explique l’artiste italienne Maïmouna Guerresi convertie à l'islam au Sénégal et membre de la confrérie soufie Baye Fall. (Maïmouna Guerresi / courtesy (S)ITOR)
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