Tunisie : "Les terroristes s'en sont pris au symbole du pouvoir"
Une attaque contre le musée du Bardo, à Tunis, a fait 19 morts, mercredi. L'analyse de Mathieu Guidère, spécialiste du monde arabe.
Une attaque menée au musée du Bardo, à Tunis (Tunisie) a fait au moins 19 morts, dont 17 touristes, mercredi 18 mars. L'intervention des forces de l'ordre contre les terroristes a abouti à la mort de deux assaillants. Voici l'analyse à chaud de Mathieu Guidère, spécialiste du monde arabe.
Francetv info : Qui se cache derrière l’attentat qui vient de frapper Tunis ? Quel est l’objectif de ceux qui en sont les auteurs ?
Mathieu Guidère : Cette action en plein Tunis n'est pas vraiment surprenante, compte tenu du contexte général de la politique tunisienne. Les trois années de transition politique vécues par ce pays ont laissé des traces. La Tunisie est aujourd'hui partagée entre les villes de la côte et du Nord, qui ont largement voté pour le parti laïque Nidaa Tounes (l’appel pour la Tunisie), alors que l’arrière-pays et le Sud ont largement voté pour les islamistes. Le contexte est donc très tendu.
En outre, depuis ces derniers mois, les actions terroristes se sont multipliées à la frontière ouest, du côté algérien, et à la frontière sud, du côté libyen. Mais aucune action terroriste ne s’était déroulée dans la capitale depuis l’assassinat des deux députés opposants de gauche Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en 2013. Un an plus tard, ces assassinats ont été revendiqués par les jihadistes de l’organisation Etat islamique (EI).
Ce groupe peut-il avoir commis ce nouvel attentat ?
Plusieurs groupes peuvent être les auteurs d’une telle action. A la frontière algérienne, il y a une brigade qui s’appelle Okba Ibn Nafaa, qui dépend d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Ces hommes sont barricadés au mont Châambi depuis près d’un an et demi. Ils mènent là des actions contre l’armée et les forces de sécurité. Ils ont fait près d’une centaine de morts. C’est une cellule très active et elle a apporté son soutien en septembre dernier à l’EI.
Autre responsable potentiel, le groupe salafiste Ansar Al-Charia. Celui-ci a été désigné en août 2013 par le gouvernement d’alors, d’obédience islamique, comme une organisation terroriste. Ses membres ont fui en Libye, où ils combattent aux côtés des milices islamistes libyennes. Régulièrement, des commandos pénètrent en Tunisie. Ils disposent de plusieurs caches d’armes et leurs actions de déstabilisation sont bien réelles.
Enfin, il y a l’EI lui-même. Le plus gros contingent de ses jihadistes arabes est d’origine tunisienne. Ils sont environ 3 000. Et, depuis le début des bombardements de la coalition internationale il y a six mois, on assiste à un retour de plus en plus important des combattants tunisiens vers leur patrie. Ces combattants ont déjà menacé la Tunisie quand ils étaient en Syrie ou en Irak. Ces hommes, qui sont très aguerris, peuvent parfaitement avoir commis l’attentat du musée de Tunis.
Quelles sont les conséquences pour le pouvoir tunisien ?
Le gouvernement avait fait de la sécurité sa priorité. Aujourd’hui, un mois après sa prise de pouvoir, il se trouve confronté à une crise sans précédent. D’ailleurs, le lieu même où s’est déroulée cette action meurtrière est politiquement très symbolique. Les terroristes s’en sont pris au symbole du pouvoir. Du temps du bey déjà, au XVIIIe siècle, le pouvoir siégeait au palais du Bardo. Car il s’agit bien d’un palais, et le viser, c’est vouloir atteindre le cœur du pouvoir. De plus, c’est un lieu très touristique, comme le vieux Tunis, où il se trouve. Les terroristes ont donc également voulu porter atteinte à l’industrie touristique, juste avant la saison. Ainsi, au-delà du nombre important de victimes, un coup très dur a été porté à l’économie tunisienne.
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