Tunisie : le président Saïed, un "ovni politique" qui marque un "tournant dans la transition démocratique", estime un politologue
La Tunisie est en pleine crise politique, après que le président tunisien Kaïs Saïed ait suspendu les travaux du Parlement et démis de ses fonctions le Premier ministre dimanche 25 juillet. Le chef de l'Etat tunisien reste pourtant très populaire.
Une semaine après le coup de force du président Kaïs Saïed en Tunisie, qui a démis le Premier ministre de ses fonctions, dissous le gouvernement et suspendu pour un mois les travaux du Parlement, il est très populaire dans son pays, ce qui est à la fois un "paradoxe" et un "tournant de la transition démocratique tunisienne" estime sur franceinfo ce samedi 31 juillet Vincent Geisser, sociologue, politologue et chercheur au CNRS et à l’IREMAM, l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman. Egalement co-auteur du livre Tunisie, une démocratie au-dessus de tout soupçon ?, il décrit le président Saïed comme "un ovni politique", qui a notamment le soutien de l’armée et d’une "grande partie de la jeunesse".
franceinfo : Comment expliquer la popularité du président Saïed ?
Vincent Geisser : C’est un paradoxe, mais qui est tout à fait significatif du contexte actuel. Il a effectivement utilisé un moyen anticonstitutionnel pour s'accaparer la totalité du pouvoir. Et pourtant, c'est un coup qui reçoit une réelle popularité, notamment dans la jeunesse tunisienne. Les gens en avaient tellement ras le bol de l'incurie en matière de gestion sociale, de gestion économique et surtout de cette catastrophe sanitaire. Beaucoup pensent que le recours à cet homme providentiel est peut-être une solution qu'ils ont envie d'expérimenter, au moins pour quelques semaines, quelques mois, pour dépasser cette situation assez catastrophique sur le plan social, économique et sanitaire. Donc oui, c'est un tournant dans la transition démocratique tunisienne.
"Est-ce que ça sera une dictature ? Peut-être pas. Mais en tout cas, ce sera une démocratie assez autoritaire."
Vincent Geisser, politologue spécialiste de la Tunisieà franceinfo
Qui est-il finalement, le président Saïed ?
C’est un peu un ovni politique parce qu'il n'a pas de parti. Il n'a pas de mouvement. C'est un simple professeur de droit, un fonctionnaire qui doit gagner 800 euros par mois, qui a un appartement très simple, à l'image de beaucoup de fonctionnaires tunisiens, mais qui a beaucoup joué sur son image de proximité, de quelqu’un d’ordinaire, sa capacité à comprendre le peuple, à parler avec le peuple. Il a d’ailleurs fait campagne seul, avec moins de 5 000 euros de financement, sans affiches, sans spots publicitaires. Il a fait le tour de la Tunisie.
"C'est un peu un ovni, mais un ovni qui n’est finalement pas si loin dans l'univers, assez proche du peuple."
Vincent Geisser, politologue spécialiste de la Tunisieà franceinfo
Il joue d'une certaine manière sur son côté président simple qui comprend le peuple et qui comprend les jeunes.
Quels sont les soutiens du président Saïed ?
Il a le soutien de l'armée mais faisons attention, on n'est pas dans la configuration égyptienne où l'armée est une institution centrale. Mais il a le soutien des forces de sécurité. Ça veut dire que ces forces de sécurité, l'armée, mais aussi les différents corps du ministère de l'Intérieur comme la police, lui ont prêté allégeance et donc ont choisi clairement le camp présidentiel pour dire "on va vous aider à nettoyer le pays des corrupteurs". Il a le soutien d'une grande partie de la jeunesse aussi. Il a même le soutien d'une partie de certains intellectuels et le soutien des classes populaires. Et on peut dire qu'aujourd'hui, les quelques personnes en dissonance ou en discordance avec le président, ce sont les islamistes, mais aussi des féministes, des intellectuels libéraux attachés à la Constitution, qui sont assez inquiets pour l'avenir de la Tunisie. Mais ça reste très minoritaire. Et puis, c’est pour les pays voisins un soulagement. Ils considèrent qu'enfin la Tunisie rentre un peu dans le rang de la normalité arabe. Enfin un président qui rejoint le club des pays arabes qui n'ont pas envie d'une démocratie totale ou d'une démocratie qu'ils jugent aventurière ou aventuriste.
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