Crise politique en Tunisie : "Nous sommes dans une dictature temporaire", estime l'ancienne députée tunisienne Karima Souid
Après avoir gelé les activités du Parlement et démis de ses fonctions le chef du gouvernement, Kais Saied a limogé son ministre de la Défense.
"Nous sommes dans une dictature temporaire", a affirmé lundi 26 juillet sur franceinfo Karima Souid, ex députée constituante en Tunisie, alors que le président tunisien Kais Saied a annoncé dimanche 25 juillet au soir qu'il gelait les activités du Parlement, et démettait de ses fonctions le chef du gouvernement Hichem Mechichi, après une journée de manifestations contre les dirigeants tunisiens. Ce lundi, c'est le ministre de la Défense qui a été limogé par le président tunisien alors que des heurts ont éclaté devant le Parlement. Karima Souid pointe "une situation confuse" avec des alliances "contre-nature" et dénonce des dirigeants politiques "corrompus". "L'impunité, les Tunisiens en ont ras le bol", martèle l'ancienne députée.
franceinfo : Quel est votre regard sur la situation de la Tunisie ?
Karima Souid : La situation politique est assez confuse. Depuis le mois de janvier, les tensions se sont cristallisées entre le chef du gouvernement et le président de la République. Le chef du gouvernement a basculé du côté du parti islamiste. Nous avons en face un Parlement qui est présidé par le chef du parti islamiste Ennahda Rached Ghannouchi, qui cristallise beaucoup de haine. C'est une personnalité clivante qui n'est pas au bon poste. Et face à cela, il y a une coalition quasi contre-nature, puisque nous avons les islamistes d'Ennahda qui sont alliés au parti Qalb Tounes, dont le président est emprisonné pour suspicion de blanchiment et d'évasion fiscale, et alliés également à la coalition Al Karama, cette coalition d'islamistes rétrogrades radicaux, qui ont fait à maintes reprises preuve de violence dans le Parlement. La crise sanitaire a également été un catalyseur, puisqu'elle a été très mal gérée. Alors oui, aujourd'hui, le président de la République vient d'activer l'article 80. Mais il l'active sans la présence de la Cour constitutionnelle. Cela fait six ans que la Tunisie n'en a pas. De plus, l'article 80 ne mentionne pas le gel de l'Assemblée des représentants du peuple. Bien au contraire, celle-ci doit être en session permanente durant les 30 jours.
Peut-on dire qu'il s'agit d'un coup d'Etat ?
En tout cas, c'est anticonstitutionnel. Le président de la République vient de s'arroger les pouvoirs du Parlement, du chef du gouvernement et du ministère public en tant que procureur général, ce qui me paraît ubuesque. Cela signifie qu'actuellement, même si c'est pour une durée de 30 jours - et nous ne savons pas si cette durée-là va être prolongée - nous sommes dans une dictature temporaire.
Que demandent aujourd'hui les manifestants ?
Ce que réclament les manifestants, c'est que les corrompus, et en l'occurrence ceux qui sont au Parlement et qui ont des dossiers dans les mains du ministère de la Justice, soient jugés. Il est intenable, il est intolérable de voir que certains dirigeants dans des partis politiques, certains élus qui légifèrent, qui font nos lois, sont soupçonnés de corruption et ne se sont pas présentés devant la justice. L'impunité, les Tunisiens en ont ras le bol. Ils veulent du changement et ils veulent que ça commence par le haut. Ils veulent que la classe politique dirigeante se soucie de leur bien-être, de leur santé. Et dans cette situation-là, nous allons avoir besoin encore plus que d'habitude du soutien de nos bailleurs. Et en particulier du FMI. C'est la quatrième fois en dix ans que la Tunisie demande un prêt à cette instance. Nous sommes actuellement en négociation. En échange, nous devons entamer des réformes drastiques, mais il faudrait encore qu'elles soient entamée pour pouvoir bénéficier de ce prêt. Sans quoi nous ne pourrons pas, par exemple, payer les salaires de la fonction publique.
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