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eL Seed, graffeur de l'espérance

Le graffeur franco-tunisien eL Seed («l’homme» en arabe, «la semence» en anglais) a réalisé des œuvres dans le monde entier: Etats-Unis, Europe, Australie, Singapour… Pourtant, dans ses deux pays d’origine, il reste assez peu connu. Même s’il a peint le minaret de la mosquée de Gabès (sud-est de la Tunisie). Rencontre avec un artiste iconoclaste qui veut transcender la vie par l’art et la culture.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le graffeur eL Seed sur les quais de Seine à Paris, le 29 mai 2013. (FTV - Laurent Ribadeau Dumas)

L’homme a fait la home page du site de CNN. La chaîne américaine lui a aussi consacré un sujet de 2 minutes 30. Et un long article lui est consacré dans l’encyclopédie Wikipedia… en anglais. Les médias arabes, australiens, singapouriens, portugais (quatre pages dans un quotidien !), britanniques, allemands ont parlé de lui. Mais curieusement, les journaux tunisiens et français commencent seulement à s’intéresser à son œuvre. «Parce que je viens de dessiner des carrés de soie pour Vuitton», explique-t-il en riant. En Tunisie, «la presse cherche le sensationnel, le négatif. Elle cherche à séparer le peuple. Elle ne voit pas toutes les choses qui se passent, toutes les initiatives prises dans de nombreux domaines», estime-t-il.
 
Conséquence : le graffeur de 31 ans utilise beaucoup les médias sociaux pour faire connaître son activité bouillonnante. Il vient de terminer une fresque à New York, et deux autres, gigantesques, peintes sur 700 m de long dans un tunnel de Doha (Qatar). Un peu plus tôt, en 2012, il avait réalisé un graffiti sur le minaret de la mosquée de Gabès (sud-est de la Tunisie), sa ville d’origine. «L’imam a fait preuve d’une grande ouverture d’esprit. Il m’a dit : ‘‘Tu fais ce que tu veux !’’Pour moi, ça été un challenge spirituel, émotionnel, psychologique, technique», raconte eL Seed qui se dit «musulman pratiquant». Mais reste sur la réserve quand le journaliste indiscret cherche à en savoir un peu plus...

Le minaret de la mosquée Jara à Gabès peint par el Seed. Son oeuvre, qui couvre deux des quatre côtés de l'édifice, mesure 47 m de haut et 10 de large. (DafoxInDaBox)
A Gabès, il a dessiné une œuvre qui reprend le verset 13 de la sourate 49 du Coran prônant la tolérance (sourate qu’il cite impeccablement): «O hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entreconnaissiez» (rencontriez). Contrairement à d’autres artistes, il essaie «de sortir de la provocation». «Mon but était de faire connaître cette sourate que beaucoup de gens ignorent. Au-delà, il s’agissait de faire réfléchir», explique-t-il. Le graffiti «a fait l’unanimité». Pourtant, il a été réalisé juste après l’attaque par des salafistes d’une exposition d’art contemporain dans les faubourgs de Tunis.

A la suite de Gabès, il dit «avoir reçu des menaces». Celles-ci n’émanaient pas de musulmans radicaux mais de personnes liées «à d’anciens bénalistes», les partisans de l’ex-président Zine el-Abidine Ben Ali, chassé du pouvoir par la révolution du 14 janvier 2011, précise-t-il. «Certains salafistes sont venus me voir et je m’attendais à un clash». Il n’y en pas eu. «L’un m’a même proposé son aide». «Si à travers l’art, on peut aider les gens à se rapprocher, c’est une bonne chose», observe eL Seed.  

Calligraffiti sur la mosquée Jara à Gabès

Vidéo eL Seed, 6-9-2012

Calligraphie arabe
L’artiste a toujours graffé : «Plus jeune, je peignais le week-end». Mais au départ, il ne se destinait pas à cette carrière. Sorti en 2006 diplômé de l’école de commerce ESSEC, il a travaillé deux ans comme consultant aux Etats-Unis. «J’ai cherché en vain un poste en France. Outre-Atlantique, j’ai trouvé en 10 jours un boulot où j’étais responsable de 18 personnes». De 2008 à 2012, il vit au Canada. Et ce n’est que depuis 2010 qu’il graffe à plein temps.

Malgré son succès planétaire, il se sent écarté par la communauté artistique tunisienne, selon lui, «très fermée, très élitiste et bourgeoise». «Moi, je suis un homme du peuple», dit-il fièrement. Un homme «issu d’une famille de paysans dont le père a émigré en France et a travaillé 40 ans chez Renault», précise-t-il. Et d’ajouter : aujourd’hui, « je reste avec le peuple et je travaille dans la rue, ce qui me vaut de nombreuses critiques d’autres artistes».
 
Fresque d'eL Seed à New York. Titre: The more you go to the West, the more you reach the East. Traduction: Plus vous allez vers l'Ouest, plus vous atteignez l'Est. (Rika Prodhan)

eL Seed a une passion pour la calligraphie arabe qu’il a découverte en apprenant cette langue à l’âge de 18 ans, «à une époque où je ne me sentais pas français». Pour lui, cette culture est trop souvent tournée vers le passé. Lui s’efforce de la moderniser, de l’inscrire dans l’époque actuelle. «Je graffe en arabe, comme les Japonais le font en japonais. Pas en anglais ni en français : il s’agit de lutter contre une forme d’impérialisme culturel».
 
Au-delà de cette démarche, il dit aussi rechercher une identité à travers son art. Une identité plurielle, parfois mal acceptée en France, dit-il. Celle-ci est constituée de «plusieurs éléments : moi, je suis à la fois français, tunisien, issu de la culture hip-hop, fils d’immigrés. Dans certaines circonstances, aux Etats-Unis, par exemple, c’est l’élément français qui ressort. Ailleurs, c’est davantage l’élément tunisien».

Sur les murs de Kairouan. Titre de l'oeuvre: History (Histoire). (JP. Desjardins)

Du positif avant toute chose
Dans sa position, comment voit-il l’évolution de la Tunisie ? Il ne peut que constater la complexité de la situation. Mais pour lui, on a créé de manière artificielle le conflit opposant religieux et laïcs (terme que les Tunisiens n’aiment pas forcément) car «avant, chacun vivait en harmonie». «Certains salafistes me font peur comme m’inquiète l’attitude de certains laïcs. Quand il y a un extrémisme d’un côté, on trouve un autre extrémisme de l’autre côté».
 
Il ne craint pas forcément l’installation d’une dictature. Les choses vont prendre du temps, «nous sommes encore dans une période de transition. Il ne faut pas oublier que nous sortons de 150 ans de colonisation, de Bourguiba et de Ben Ali». Dans ce contexte, «chacun doit agir à son niveau. Quand j’entends quelqu’un me dire : ‘‘Ennahda (le parti islamiste au pouvoir, NDLR) ne fait rien !’’, je lui demande : ‘‘ Tu critiques, d’accord. Mais toi, tu fais quoi ?’’ En restant positif, on apporte du positif».
 
Une recette qui fait un peu méthode Coué ? «J’y crois, même si c’est utopiste», répond-il. A son niveau, le positif, c’est de prendre des initiatives dans le secteur artistique et culturel. Car « l’art et la culture sont les seuls vecteurs capables de rendre aux Tunisiens une estime de soi et une fierté qu’ils ont perdues depuis 150 ans.»   

Quand la calligraphie devient graffiti
CNN, 11-11-2011

Diaporama: «eL Seed, le graffeur dans le texte»

Voir aussi:
le site d'eL Seed


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