En Tunisie, la lutte passe aussi par la caricature
Z comme Zorro ? «J’ai pris ce pseudo par hasard quand j’ai commencé mon blog debatunisie.com en 2007, sous Ben Ali», explique notre homme assis dans un café parisien. Cet architecte de profession est venu à la caricature pour dénoncer les scandales qu’il constatait dans son activité professionnelle. «On ne pouvait pas en parler sans dire qu’on était gouverné par une mafia», raconte-t-il. Le caricaturiste a donc commencé à croquer (souvent en mauve, couleur favorite de Ben Ali) le dictateur et sa famille, les projets immobiliers pharaoniques, le racket.
«Pour moi, la caricature a une dimension politique avant d’avoir une dimension artistique», remarque-t-il. Son objectif : la «détabouïsation» (le néologisme est de lui) de la société tunisienne. «Il s’agit de faire sauter les verrous qui la bloquent, à commencer par la censure». Son arme : des dessins crus, féroces et sans pitié.
Le régime commence à s’agacer de ce trublion. «En 2009, on a arrêté une blogueuse qui avait utilisé mes caricatures. On lui a demandé mon nom. Heureusement, elle ne me connaissait pas. Mais c’était le signal que j’étais recherché». Il part alors pour la France pour y continuer ses activités professionnelles et artistiques. «Durant cette période, j’ai vécu plusieurs mois dans la terreur. Je ne pouvais plus voir ma famille. Et j’étais devenu le profil type de ceux à qui s’attaquait la dictature». Celle-ci ne plaisantait pas avec ses opposants, qu’elle n’hésitait pas à emprisonner et torturer.
Anonyme avant toute chose
Mais peu à peu, le régime commence à se fissurer. Le 28 décembre 2010, Z dessine une caricature intitulée «Cassez-vous». On y voit le dictateur en partance pour l’exil. Un dessin prémonitoire. Dix-sept jours plus tard, le 14 janvier 2011, la fuite de Ben Ali est une réalité. «La concomitance entre les deux relève du hasard. On sentait le système vaciller, on parlait déjà de révolution», insiste le caricaturiste.
Le peuple tunisien a réalisé seul cette révolution qui sonne le début du «printemps arabe». Pour le dessinateur, le 14 janvier représente une double libération. D’abord la fin d’une période de terreur. Et puis, pendant un mois, son blog va connaître une fréquentation qu’il n’a jamais atteinte. «Cette période a été une expérience humaine incroyable. J’ai été interviewé par la presse internationale. Les gens voulaient savoir qui j’étais. Mais même si c’était tentant et facile de se la jouer, j’ai toujours refusé de sortir de l’anonymat.»
Suit ensuite une période un peu difficile. «Je venais de perdre Ben Ali, ma cible favorite ! J’ai alors eu peur du manque : comment faire pour le remplacer ? Je me suis demandé comment me renouveler. Et je me suis posé des questions sur mon talent».
Le caricaturiste va d’abord s’attaquer aux «ex-mauves», ces partisans de Ben Ali qui ont retourné leur veste. Et peu à peu, il va se trouver de nouveaux clients : les islamistes.
Haro sur les islamistes et les salafistes
Le point de départ est venu de l’affaire de Nessma TV, qui a diffusé le film Persépolis. Puis, il y a eu l’arrivée au pouvoir du parti Ennahda après les élections d’octobre 2011, ainsi que l’apparition de «hordes de salafistes» dans l’espace public. «Tous commençaient à me faire chier. J’avais trouvé mes nouveaux censeurs/»
Son analyse du phénomène islamiste et du parti Ennahda est sans pitié. «Ces gens-là jouent sur les bas instincts et s’adressent à des personnes qui ne sont pas forcément éduquées. Ce sont des épiciers de la religion et de la politique, qui n’ont qu’une vision matérielle des choses. Ils n’ont que mépris pour la culture et l’art. C’est un système très tribal, clanique, où l’allégeance au parti prime sur tout le reste», observe-t-il. Pour lui, les salafistes sont «une cible idéale»: «Je peux dire cyniquement que grâce à eux, j’ai retrouvé une seconde vie». Il souligne avec délice leurs contradictions. Notamment le fait que «certains sont très post-modernes, très branchés sur les nouvelles technologies», et que l’on trouve parmi eux des rappeurs, quelques-uns d’entre eux disant vouloir «purifier la société».
Là encore, ses dessins sont sans concession. «Je n’en ai rien à foutre de montrer des scènes de sodomie. Je veux faire ressortir la frustration sexuelle qui règne ici. Il faut dénoncer les conservateurs coincés du cul».
Une «liberté totale» chèrement payée
Z revendique «une liberté d’expression totale». Mais dans le même temps, il «vérifie les faits, ne propage pas d’intox». Et d'ajouter: «J'évite toute haine raciale, toute diffamation. Je ne fais pas d’attaque personnelle, sauf pour des personnages publics comme DSK».
La pratique de cette «liberté totale» n’est évidemment pas sans conséquence. Au mieux, ses dessins sont jugés «vulgaires et impudiques», comme l’écrit un internaute sur un forum. Au pire, il reçoit régulièrement, via Facebook, des menaces de mort pour lui et ses proches. Le caricaturiste court ainsi le risque de voir son père ou sa mère «se faire égorger comme on l’a vu en Algérie» dans les années 90.
Dans ce contexte, il est donc obligé de continuer à prendre des précautions en restant totalement anonyme. Et en continuant à vivre à l’étranger. «La cyberpolice et les services compétents n’ont toujours pas été démantelés», souligne le dessinateur.
Il lui faut donc une certaine dose de courage pour continuer dans sa voie. «Ce n’est pas du courage. L’anonymat est une technique qui me permet de contourner les limites qu’on pourrait m’imposer et de ne pas avoir trop d’ego. J’ai ainsi appris à vivre avec une menace permanente.» Dans le même temps, il estime que le travail dans ces conditions a un côté «très stimulant»…
Le caricaturiste continue par ailleurs d’exercer sa profession d’architecte. «Cela me procure un salaire qui m’assure une indépendance économique. Je peux ainsi exercer ma passion artistique comme je l’entends.» Une passion qui ne lui rapporte pas d’argent, même s’il publie des caricatures dans l’hebdomadaire Contre le pouvoir du journaliste Taoufik Ben Brik, célèbre opposant à Ben Ali.
Optimisme
Comment le pourfendeur des tabous tunisiens voit-il l’avenir de son pays ? «Je suis optimiste. Notamment quand je vois que mes dessins continuent à paraître dans la période actuelle. C’est quelque chose d’énorme quand on se rappelle ce qui se passait sous la dictature», répond-il.
Il est optimiste à condition que la Tunisie «n’entre pas dans un cycle de violence», comme a pu le laisser craindre l’assassinat de l’opposant Chokri Belaïd. Si le pays reste calme, «on peut espérer sortir de l’islamisme», estime Z. Et de conclure : «Il sera alors possible de s’éloigner des débats sur la religion et l’identité, et de parler de vrais sujets comme le développement économique, la création».
Voir aussi: un diaporama de caricatures de Z
DEBATunisie, le blog de Z
A lire aussi
Révolution ! Des années mauves à la fuite de Carthage, éditions Cérès.
Dans ce recueil, son premier, Z croque la dictature de Ben Ali, le racket et les scandales qui ont conduit à la révolution du 14 janvier 2011. Mais aujourd’hui, la révolution n’est pas terminée, et le dessinateur n’a pas déposé les armes... On retrouve ici tout le talent et la verve d’un caricaturiste qui entend s’attaquer à tous les tabous et à toutes les formes de censure. Qu’elles soient politiques ou religieuses. Avec lui se vérifie ainsi le célèbre adage de Napoléon : «un bon dessin vaut mieux qu’un long discours».
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