Cet article date de plus de neuf ans.
La transparence politique en Tunisie: «Encore un long chemin à suivre»
L'ONG Al Bawsala (la boussole) a été fondée par Amira Yahyaoui, fille d'un célèbre opposant à l'ex-président Ben Ali. Depuis quelques semaines, elle a laissé sa place à Ons Ben Abdelkarim, 26 ans, qui se charge de la transparence politique en Tunisie. La nouvelle jeune présidente revient sur les objectifs d'Al Bawsala, la loi anti-terrorisme qui vient d'être votée et la triche de certains députés.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Quel est le rôle d'Al Bawsala dans la vie politique tunisienne? Quels sont ses nouveaux objectifs depuis le vote de la nouvelle Constitution?
Nous travaillons sur la bonne gouvernance, la transparence, l'accès à l'information. Notre objectif est de rapprocher le citoyen du centre du pouvoir et que les élus politiques soient redevables par rapport à leurs actions. Le projet initial était d'observer les travaux de l'Assemblée nationale constituante (ANC), de comprendre ce qui s'y passe. Le projet continue avec l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) depuis l'élection législative de 2014. Aujourd'hui, nous observons aussi les municipalités. En attendant les élections municipales, nous collectons les données sur les mairies, leurs budgets, pour donner autant d'informations que possible aux citoyens. Dès 2016, nous examinerons le budget de l'Etat. C'est une énorme charge de travail.
Ce n'est pas le rôle d'une ONG de s'occuper de tout cela…
C'est vrai, nous faisons une partie de ce que l'Etat devrait faire. Mais c'est aussi notre rôle de former les politiques à la transparence. Par exemple, c'est nous qui avons commencé à publier les premiers votes de l'Assemblée sur Internet. Aujourd'hui, c'est écrit dans le nouveau règlement intérieur de l'assemblée: l'ARP est obligée de publier tous les votes. Nous avons été la première ONG à être auditionnée pour faire des recommandations lors de l'écriture du nouveau règlement et plus de 50% de nos propositions ont été incorporées dans le texte.
Mais même si l'Etat fait preuve de plus de transparence et de rigueur, nous continuerons à être présents. L'ARP publie des informations sur son site mais il faut toujours avoir une autre source. Le danger serait de mélanger le rôle de l'Etat et celui de la société civile, il faut toujours qu'il y ait un contre-pouvoir. Nous avons aussi le rôle de vulgariser les textes de loi relatifs à l'économie, aux questions sociales. Nous faisons aussi en sorte d'informer le public sur le travail des députés à l'Assemblée. Ainsi, chacun peut savoir quel député a déposé tel amendement, connaître le vote du député qu'on a élu, savoir s'il a respecté son engagement…
Nous avons fait des rapports sur ce qui a été dit à l'Assemblée pour informer les citoyens. Je pense qu'il n'est pas possible de combattre le terrorisme avec une loi, c'est tout le système sécuritaire qui doit être réformé. Il y'a toujours ce risque qu'il y ait un retour en arrière car nous n'avons pas de principes démocratiques très ancrées dans notre société. Avec le danger du terrorisme, on peut limiter les libertés qui pourraient avoir un impact sur notre travail. Il faut l'avoir en tête, mais ça ne veut pas dire qu'il y a un danger imminent.
Récemment, vous avez montré, photos à l'appui, que certains députés ont triché en votant à la place des absents...
Un incident de ce type avait déjà eu lieu à l'ANC, mais c'est la première fois qu'on le voit à l'ARP. Lors d'un débat général sur la loi antiterrorisme, les élus votaient les articles avec leurs cartes électroniques. Des députés se sont absentés et ont laissé leurs cartes à leurs collègues pour voter à leur place. C'est tout à fait contraire au règlement intérieur et c'est une attitude qui ne donne pas une bonne image de l'Assemblée. Avant de partager les photos sur les réseaux sociaux, nous avons pris contact avec les trois députés en faute et le président de leur bloc parlementaire pour que ça ne se reproduise plus car notre intention n'était pas de faire le buzz. Les gens ont réagi assez violemment, ils ont été choqués. Les députés mis en cause pensaient qu'ils pouvaient «voter par procuration» et se sont engagés à ne plus le faire.
Comment voyez-vous l'évolution de votre ONG dans la société tunisienne?
Au début, ce n'était pas forcément très facile. Il fallait se battre contre la mentalité d'opacité ambiante, même au sein de l'opposition puisqu'ils avaient l'habitude de travailler dans le secret. Je pense qu'on a réussi à changer un peu les mentalités, il y a une certaine ouverture qu'on peut considérer comme une victoire. Mais le chemin est encore long. Maintenant que la Constitution a été écrite, il faut la traduire et en faire des textes de lois. Nous vivons dans un contexte de sécurité complexe et nous avons peur que dans cette lutte sécuritaire, on laisse tomber tout ce à quoi nous avons accès au niveau de la transparence politique.
Est-ce plus difficile de se faire accepter dans le monde politique tunisien quand on est une femme?
En Tunisie, il y a peu de femmes assignées à la prise de décision politique directe. Mais c'est une occasion de donner l'exemple et de casser les stéréotypes, de montrer qu'il n'y pas que des hommes âgés qui peuvent être à la tête d'une institution. De manière générale, dans l'organisation, nous sommes des jeunes de moins de 30 ans et nous avons dû prouver que l'on pouvait être professionnels. Quelquefois, Amira Yahyaoui et moi-même avons ressenti de l'hostilité de la part d'hommes politiques. Surtout quand on assiste à des réunions avec de hauts cadres, ceux-ci sont toujours surpris de nous voir. Puis, ils sont étonnés de voir que des jeunes femmes comme nous sont sérieuses. Mon souhait est de pouvoir faire d'Al Bawsala une vraie institution et d'apporter de nouveaux projets.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.