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Tunisie: la vie d'une radio privée pendant et après Ben Ali

Karim Ben Amor et Najoua Rahoui ont fondé Alternative, une société de production et de communication. Anciens journalistes, ils travaillaient à la station de radio privée Express FM au moment de la révolution du 14 janvier 2011. Ils ont donc vécu le changement de régime. Et l’évolution médiatique qui l’a accompagné. Ils témoignent.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Karim Ben Amor et Najoua Rahoui, fondateurs de la société de production Alternative et anciens dirigeants de la station de radio privée Express FM. (FTV - Laurent Ribadeau Dumas)
De notre envoyé spécial en Tunisie, Laurent Ribadeau Dumas

Pour un journaliste français à l’esprit mal tourné, le changement de parcours de deux confrères tunisiens dans la période actuelle est peut-être liée un «accident» professionnel provoqué par un pouvoir qui n’a pas forcément les médias dans sa poche… «Pas du tout», répond tranquillement Karim Ben Amor, ancien directeur de programmation de la station d’Express FM. «Avec Najoua Rahoui (directrice de la même radio, NDLR), nous avons simplement voulu évoluer professionnellement. Je peux même préciser que nous avons organisé une grande fête au moment de notre départ !»
 
Express FM a été fondée en 2010. La station a profité de la brèche ouverte par sa consœur Mosaïque FM, «qui a introduit un nouveau ton» par rapport à celui des radios officielles du régime Ben Ali, rapporte Karim Ben Amor. «Mais là ou Mosaïque faisait de la culture, nous, nous avons décidé de traiter l’information sociale», précise Najoua Rahoui.
 
A cette époque, pour être autorisées à émettre, les stations devaient s’engager à ne pas faire de politique: «Pour inviter, par exemple, un ambassadeur étranger, nous devions en référer au ministère de tutelle. Mais dans ce cadre, nous avons fait notre job en travaillant de manière professionnelle et rigoureuse. C’est comme ça que nous avons attiré les auditeurs», expliquent les deux journalistes. Et d’ajouter en riant : «On nous appelait la radio sérieuse !»
 
La station privée a innové. Notamment en diffusant tous les jours une interview de 20 minutes. Il arrivait que des hommes politiques protestent face à tel ou tel propos ou telle ou telle information. «Nous leur donnions alors un droit de réponse». Express FM a ainsi testé les limites du système Ben Ali. Par exemple en parlant en direct de Slim Amamou, un blogueur plusieurs fois arrêté par le régime Ben Ali. Elle n’a jamais été fermée.
 
Survient le 14 janvier. La période post-révolutionnaire permet aux radios de se débarrasser de la tutelle de l’ancien système. «Pour comparer avec la France, c’est un peu comme si l’on avait vécu l’éclatement de l’ORTF après l’ère Pompidou». L’ère de la «Voix de la France»… Le renversement de la dictature a donc été un déclencheur : «Cela a été comme la libération des ondes avec Mitterrand en 1981.»
 
Graffiti sur un mur tunisien. Traduction: «La liberté est une pratique quotidienne». (Reuters - Anis Mili)

Express FM n’en poursuit pas moins son travail comme avant: de manière professionnelle. «Nous avons lancé une interview quotidienne d’une heure avec une personnalité politique. Sont venus des gens qui n’avaient jamais parlé devant un micro en Tunisie. Nous avons ainsi reçu le leader du mouvement islamiste Ennahda, Rached Ghannouchi, le lendemain de son retour d’exil de Londres. Nous lui avons posé une question sur l’attitude de son parti à propos des attentats de 1987. Il a répondu. De ce point de vue, ce n’est pas la même chose d’interviewer quelqu’un comme lui qui savait comment parler aux médias, et une personnalité comme Chokri Belaïd (leader de gauche assassiné le 6 février 2013, NDLR), qui n’en avait pas l’habitude. C’est peut-être d’ailleurs en partie en raison de sa franchise qu’il n’est plus là aujourd’hui».
 
Une chose importait avant tout aux responsables d’Express FM: rester crédible dans une société sous pression qui venait de gagner sa liberté. «On dit que la liberté des uns commence où s’arrête celle des autres. Mais là, justement, elle commençait sans forcément trouver de limites. C’est ainsi que sont arrivées à la station des menaces émanant de personnes privées n’appréciant pas, par exemple, le traitement de sujets religieux. Mais nous n’avons pas reçu de menaces du pouvoir politique. On ne nous a jamais reproché d’avoir cogné trop fort.»
 
L’expérience de Najoua Rahoui et Karim Ben Amor à la radio privée a duré trois ans, jusqu’en 2013. «Nous en avons fait une belle radio», se réjouit l’ancienne directrice. Au bout de cette période, les deux compères ont donc eu envie de prendre leur destin en main. But de leur entreprise: faire du conseil en communication, de la formation, des documentaires. Et toucher au journalisme d’investigation, «même si nous savons que ce ne sera pas facile»… Avec toujours le professionnalisme comme maître-mot.

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