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Tunisie: les islamistes disent vouloir quitter le pouvoir

Deux ans après son triomphe aux élections législatives, le parti islamiste Ennahda s’est engagé le 5 octobre 2013 à quitter le pouvoir d’ici trois semaines. Est-ce le début d’une réelle évolution politique en Tunisie ? Pas si sûr…
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
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Le président du parti islamiste Ennahda, Rached Ghannouchi, le 5-9-2013. (AFP - Anadolu Agency - Amine Landoulsi)

Le président d’Ennahda, Rached Ghannouchi, et les dirigeants de vingt autres partis tunisiens ont signé un accord prévoyant la désignation dans la semaine d’un Premier ministre indépendant. Lequel aura deux semaines pour former un nouveau cabinet de transition. L’accord a été paraphé dans le cadre d’un «dialogue national» lancée par le «quartet». Lequel regroupe quatre organisations : l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la puissante confédération syndicale ; l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), patronat ; l’Ordre national des avocats de Tunisie (ONAT) et la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH).

Outre le retrait du gouvernement sortant dirigé par Ennahda en coalition avec deux partis de la gauche séculaire, le Congrès pour la République (CPR) et Ettakatol, ce texte prévoit aussi l’adoption dans les quatre semaines d’une Constitution et d’un calendrier électoral. Autant de sujets qui constituent des points de blocage depuis des mois… Autres points d’achoppement : le rôle de l’Assemblée constituante et la composition de l’organisme électoral qui supervisera les élections.

«Nous n’allons pas décevoir les Tunisiens ni le dialogue», a assuré le Premier ministre islamiste Ali Larayedh. A écouter certains observateurs, le parti islamiste a fait un grand pas en avant en signifiant son désir de trouver une issue à la crise et doter enfin le pays d’institutions stables, près de trois ans après la révolution du 14 janvier 2011.

Les contradictions d’Ennahda
Mais les interrogations demeurent. Les doutes également. Il n’y avait qu’à voir les titres du site du journal tunisois Le Temps le 8 octobre : «Est-ce le début du sauvetage ?» ; «Est-ce le départ définitif ?» ; «Entre espoir et suspicions»

Il faut dire que le texte n’a pas été signé par le parti du président tunisien Moncef Marzouki, le CPR. L’un de ses représentants, Abdelawahab Maatar, ministre du Commerce et de l’Artisanat, a même qualifié l’accord de «mort-né» : en clair, les engagements pris ne sont pas tenables.

Des centaines d'étudiants manifestant à Tunis le 30-9-2013 pour demander une réforme du système universitaire. (AFP - Citizenside - Chedly ben Ibrahim)

Il faut dire aussi que juste après l’annonce de l’accord entre les partis, le «conseil de la Choura» (direction) d’Ennahda, a insisté sur la nécessité de maintenir en place le gouvernement sortant. En clair, il dit exactement le contraire de ce qu’a signé son chef… Le parti «continue à maintenir un dangereux double langage», constate un journaliste. «Avec Ennahda  c'est toujours anguille sous roche et double langage. On l’entend dire une chose puis démentir», relève de son côté Selim Ben Abdesselem, député du parti Nidaa Tounes appartenant à la coalition d'opposition formée après l'assassinat, le 25 juillet, de l'opposant Mohamed Brahmi. «Ennahda signe mais persiste», résume joliment le journal La Presse.

Au-delà, cette attitude reflète peut-être les divisions de la formation islamiste, partagée «entre partisans d’un réalisme politique et défenseurs de la légitimité électorale», comme l’analyse Le Monde. Pour le quotidien français, «marqué par l’éviction sanglante du pouvoir des Frères musulmans en Egypte, Rached Ghannouchi privilégie aujourd’hui toute forme de concessions au risque de devenir minoritaire dans son parti». «Ce qui s’est passé sur les bords du Nil a effectivement affaibli les islamistes tunisiens. Ils ont peur de subir le sort des Frères. Certains acceptent des concessions. Les autres préfèrent la fuite en avant», explique un observateur attentif de la vie politique tunisienne sous couvert d'anonymat.

Reste donc à savoir ce qui va sortir du «dialogue national»… «Au niveau pratique, le calendrier» de l’accord «est réalisable mais le problème est d’ordre moral, le manque de confiance et la méfiance entre la coalition au pouvoir (…) et l’opposition», analyse le chercheur Sami Brahem. «En Tunisie, les gens sont stressés et déprimés. Ils voient la situation économique se dégrader, les investisseurs qui n’ont aucune confiance. Il faudrait un miracle pour nous sortir de là !», constate de son côté l’observateur cité ci-dessus. Reste à savoir quand le miracle se produira. Et s’il se produira.  

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