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Tunisie: Masmoudi, de la cuisine familiale à une PME internationale
Fondée à Sfax en 1972, l’entreprise familiale Masmoudi est aujourd’hui une PME de 537 salariés qui vend ses produits, des «pâtisseries fines 100% tunisiennes», dans une quinzaine de pays. Une PME innovante dirigée par un patron dynamique, Ahmed Masmoudi, connu et reconnu dans son pays. Pour autant, cette réussite ne reflète pas forcément le climat général des affaires en Tunisie…
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De notre envoyé spécial en Tunisie, Laurent Ribadeau Dumas
Au départ, il y avait à Sfax une mère de famille qui avait appris de succulentes recettes de gâteaux d’une cousine, ex-pâtissière dans le palais du bey (souverain) de Tunis. La dame voulait créer elle-même ses produits, fort appréciés de son entourage. «Mais selon les traditions d’une famille aisée, cela aurait choqué qu’elle travaille ailleurs que chez elle», raconte aujourd’hui son fils Ahmed, qui dirige l’entreprise. Y travaillent aussi ses deux frères, sa sœur et plusieurs de ses neveux.
Et le mari dans tout ça ? «Papa, alors chef cuisinier dans un lycée, suivait Maman qui était autoritaire !» D’autant plus que celle-ci contribuait de plus en plus aux revenus du ménage… A sa retraite, il est venu travailler avec elle. Peu à peu, la maison familiale s’est transformée en atelier où venaient, pour se faire de l’argent, les enfants du couple et leurs amis…
En 1981, Mme Masmoudi se lance en faisant enregistrer son entreprise. Elle emploie alors 30 salariés. Dix ans plus tard, les parents prennent leur retraite. Mais l’entreprise Masmoudi poursuit sur sa lancée: 130 salariés en 2001, 402 en 2010… Aujourd’hui, alors qu’elle réalise un chiffre d’affaires de 10 millions de dinars (un peu moins de 5 millions d’euros), elle possède deux sites de production à Sfax, 11 magasins dans toute la Tunisie (dont trois en franchise), vend en France et ailleurs dans l’UE, ainsi qu’en Amérique du Nord.
«Au départ, nous n’avions pas de concurrence dans un secteur qui n’exige pas beaucoup d’investissements», raconte le dirigeant de la PME. Mais aujourd’hui, la situation a changé : rien qu’à Sfax (pour une agglomération estimée à environ 500.000 habitants), on trouve 900 pâtissiers ou pâtissières.
De la qualité avant toute chose…
Quelle est alors la recette du succès ? La qualité d’abord : «Un produit 100% tunisien, à base de matériaux nobles: amandes, pistaches, fruits secs…» Une qualité sur laquelle veillent des ingénieurs spécialisés. Il y a aussi le savoir-faire du personnel : il n’y a qu’à voir, dans les ateliers, des dizaines de femmes s’affairer pour la fabrication des pâtisseries, certaines réalisant un véritable travail d’orfèvre.
Autre spécificité de la maison Masmoudi, l’identité visuelle des emballages et des boutiques très étudiée, finement repensée notamment par le designer français Gérard Caron. «Nous avons notamment choisi le bleu emblématique de Sidi Boussaid (nord-est de Tunis) pour notre packaging et la déco de nos boutiques», raconte le chef d’entreprise.
Un tel succès n’a-t-il pas aiguisé les envies du clan Ben Ali, connu pour sa rapacité ? Pendant son règne, les officiels locaux, sans doute mis en appétit, passaient bien quelques commandes. Qu’ils ne payaient pas… «Mais, d’une manière générale, nous étions trop petits pour attirer l’attention», explique le dirigeant. Un dirigeant connu pour être une personnalité «très intègre», rapporte un membre de la société civile sfaxienne.
En janvier 2011, l’entreprise est aux premières loges de la révolution dans la cité portuaire : le siège local du parti de Ben Ali est incendié à quelques dizaines de mètres du lieu où se trouve l’un de ses ateliers de fabrication. Le travail y cesse quelques jours alors que des pillages ont lieu dans des sociétés liées au clan présidentiel. L’entreprise n’est pas touchée. Ses locaux n’en sont pas moins gardés par le personnel.
Une preuve de l’importance que celui-ci attache à l’outil de production. Dans le même temps, les relations avec le syndicat UGTT sont «très bonnes», observe Ahmed Masmoudi. Des relations qui s’expliquent peut-être aussi par des salaires «plus élevés» que dans le reste du secteur: environ 480 dinars par mois, «moyenne entre les salaires ouvriers et cadres».
L’attentisme des milieux patronaux
De son côté, Ahmed Masmoudi ne se contente pas de diriger sa PME. Il est ainsi également leader régional de l’Institut arabe des chefs d’entreprise, un cercle de réflexion. Et il lui arrive de rencontrer le président tunisien Moncef Marzouki.
Intéressant, donc, de savoir comment, globalement, il juge le climat des affaires dans son pays. Celui-ci est un peu à la méfiance, observe-t-il, notamment en raison des «pressions syndicales plus nombreuses» exercées sur les milieux économiques. Lesquels ont dû également s’adapter à une réglementation parfois plus rigoureuse.
Dans le même temps, le climat est à l’attentisme. Les patrons souhaitent un cadre juridique et politique plus clair avec l’instauration d’une constitution et la tenue de nouvelles élections. Toutes choses qui leur donneraient plus de visibilité. «Pour l’instant, rien n’est stable, tout bouge», juge le responsable de Masmoudi, assurant au passage ne pas noter une influence religieuse dans l’activité économique.
Lui-même reconnaît qu’il évolue «dans un secteur d’avenir peu lié aux décisions politiques». De plus, il se met à l’abri de certaines déconvenues nationales en se développant à l’international. Mais d’une manière générale, il se dit «rassuré par l’avenir». A ses yeux, «la Tunisie a tous les moyens pour rayonner sur son environnement méditerranéen». Parmi ses atouts, des salariés bien formés et une «certaine culture entrepreneuriale», notamment dans sa bonne ville de Sfax.
Pour l’avenir, Ahmed Masmoudi est donc plutôt optimiste. «Je ne crains pas l’instauration d’une dictature car la société civile est très forte et l’opposition politique fait bien son travail d’opposant», explique-t-il. Avant d’ajouter: «Les Tunisiens ont acquis la liberté. C’est devenu un droit qu’ils ne lâcheront pas !»
Au départ, il y avait à Sfax une mère de famille qui avait appris de succulentes recettes de gâteaux d’une cousine, ex-pâtissière dans le palais du bey (souverain) de Tunis. La dame voulait créer elle-même ses produits, fort appréciés de son entourage. «Mais selon les traditions d’une famille aisée, cela aurait choqué qu’elle travaille ailleurs que chez elle», raconte aujourd’hui son fils Ahmed, qui dirige l’entreprise. Y travaillent aussi ses deux frères, sa sœur et plusieurs de ses neveux.
Et le mari dans tout ça ? «Papa, alors chef cuisinier dans un lycée, suivait Maman qui était autoritaire !» D’autant plus que celle-ci contribuait de plus en plus aux revenus du ménage… A sa retraite, il est venu travailler avec elle. Peu à peu, la maison familiale s’est transformée en atelier où venaient, pour se faire de l’argent, les enfants du couple et leurs amis…
En 1981, Mme Masmoudi se lance en faisant enregistrer son entreprise. Elle emploie alors 30 salariés. Dix ans plus tard, les parents prennent leur retraite. Mais l’entreprise Masmoudi poursuit sur sa lancée: 130 salariés en 2001, 402 en 2010… Aujourd’hui, alors qu’elle réalise un chiffre d’affaires de 10 millions de dinars (un peu moins de 5 millions d’euros), elle possède deux sites de production à Sfax, 11 magasins dans toute la Tunisie (dont trois en franchise), vend en France et ailleurs dans l’UE, ainsi qu’en Amérique du Nord.
«Au départ, nous n’avions pas de concurrence dans un secteur qui n’exige pas beaucoup d’investissements», raconte le dirigeant de la PME. Mais aujourd’hui, la situation a changé : rien qu’à Sfax (pour une agglomération estimée à environ 500.000 habitants), on trouve 900 pâtissiers ou pâtissières.
De la qualité avant toute chose…
Quelle est alors la recette du succès ? La qualité d’abord : «Un produit 100% tunisien, à base de matériaux nobles: amandes, pistaches, fruits secs…» Une qualité sur laquelle veillent des ingénieurs spécialisés. Il y a aussi le savoir-faire du personnel : il n’y a qu’à voir, dans les ateliers, des dizaines de femmes s’affairer pour la fabrication des pâtisseries, certaines réalisant un véritable travail d’orfèvre.
Autre spécificité de la maison Masmoudi, l’identité visuelle des emballages et des boutiques très étudiée, finement repensée notamment par le designer français Gérard Caron. «Nous avons notamment choisi le bleu emblématique de Sidi Boussaid (nord-est de Tunis) pour notre packaging et la déco de nos boutiques», raconte le chef d’entreprise.
Un tel succès n’a-t-il pas aiguisé les envies du clan Ben Ali, connu pour sa rapacité ? Pendant son règne, les officiels locaux, sans doute mis en appétit, passaient bien quelques commandes. Qu’ils ne payaient pas… «Mais, d’une manière générale, nous étions trop petits pour attirer l’attention», explique le dirigeant. Un dirigeant connu pour être une personnalité «très intègre», rapporte un membre de la société civile sfaxienne.
En janvier 2011, l’entreprise est aux premières loges de la révolution dans la cité portuaire : le siège local du parti de Ben Ali est incendié à quelques dizaines de mètres du lieu où se trouve l’un de ses ateliers de fabrication. Le travail y cesse quelques jours alors que des pillages ont lieu dans des sociétés liées au clan présidentiel. L’entreprise n’est pas touchée. Ses locaux n’en sont pas moins gardés par le personnel.
Une preuve de l’importance que celui-ci attache à l’outil de production. Dans le même temps, les relations avec le syndicat UGTT sont «très bonnes», observe Ahmed Masmoudi. Des relations qui s’expliquent peut-être aussi par des salaires «plus élevés» que dans le reste du secteur: environ 480 dinars par mois, «moyenne entre les salaires ouvriers et cadres».
L’attentisme des milieux patronaux
De son côté, Ahmed Masmoudi ne se contente pas de diriger sa PME. Il est ainsi également leader régional de l’Institut arabe des chefs d’entreprise, un cercle de réflexion. Et il lui arrive de rencontrer le président tunisien Moncef Marzouki.
Intéressant, donc, de savoir comment, globalement, il juge le climat des affaires dans son pays. Celui-ci est un peu à la méfiance, observe-t-il, notamment en raison des «pressions syndicales plus nombreuses» exercées sur les milieux économiques. Lesquels ont dû également s’adapter à une réglementation parfois plus rigoureuse.
Dans le même temps, le climat est à l’attentisme. Les patrons souhaitent un cadre juridique et politique plus clair avec l’instauration d’une constitution et la tenue de nouvelles élections. Toutes choses qui leur donneraient plus de visibilité. «Pour l’instant, rien n’est stable, tout bouge», juge le responsable de Masmoudi, assurant au passage ne pas noter une influence religieuse dans l’activité économique.
Lui-même reconnaît qu’il évolue «dans un secteur d’avenir peu lié aux décisions politiques». De plus, il se met à l’abri de certaines déconvenues nationales en se développant à l’international. Mais d’une manière générale, il se dit «rassuré par l’avenir». A ses yeux, «la Tunisie a tous les moyens pour rayonner sur son environnement méditerranéen». Parmi ses atouts, des salariés bien formés et une «certaine culture entrepreneuriale», notamment dans sa bonne ville de Sfax.
Pour l’avenir, Ahmed Masmoudi est donc plutôt optimiste. «Je ne crains pas l’instauration d’une dictature car la société civile est très forte et l’opposition politique fait bien son travail d’opposant», explique-t-il. Avant d’ajouter: «Les Tunisiens ont acquis la liberté. C’est devenu un droit qu’ils ne lâcheront pas !»
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