Cet article date de plus d'onze ans.

Bradley Manning : récit de trois ans de détention préventive

L'informateur de WikiLeaks a été condamné à  35 ans de prison. Trois ans après son arrestation, qu'est-il arrivé au jeune soldat introverti qui a fait trembler l'administration Obama ?

Article rédigé par Pauline Hofmann
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
A gauche, Bradley Manning, informateur de WikiLeaks, avant son arrestation en 2010. A droite, le soldat américain lors d'une audience de requête, le 15 mars 2012 à Fort Meade (Maryland, Etats-Unis). (BRENDAN SMIALOWSKI / AFP)

Trente-cinq années de prison. Arrêté en 2010 alors qu'il servait l'armée américaine en Irak, Bradley Manning est enfin fixé sur sa peine. L'ancien soldat avait été reconnu coupable de 19 chefs d'accusation sur 21 le 30 juillet dernier, dont la divulgation d'une masse d'informations confidentielles, via WikiLeaks. Que s'est-il passé depuis son arrestation ?

Il a été détenu dans des conditions "inhumaines"

Lors de son arrestation, Bradley Manning a 22 ans. Pendant neuf mois, il est incarcéré dans des conditions qu'Amnesty International qualifie de "contraires aux normes internationales en vertu desquelles les détenus doivent être traités avec humanité". Pourtant, sa détention n'est que préventive. Isolement maximum, interdiction quasi totale de faire de l'exercice ou de dormir autrement que nu, avec pour seule couverture des draps anti-suicide. 

En 2012, au cours d'une audience, le soldat explique avoir réalisé un nœud coulant lors de sa courte détention au Koweït, sans avoir pour autant eu l'intention de se suicider. David House, un ami qui a pu lui rendre visite dans sa geôle suivante, à Quantico (Virginie, Etats-Unis), s'inquiète (en anglais) fin 2010 de la détérioration de sa santé mentale. Aujourd'hui, les autorités américaines détiennent Bradley Manning à Fort Leavenworth (Kansas), avec d'autres anciens militaires. En trois ans, le lanceur d'alerte de WikiLeaks a donc vu ses conditions de détention se normaliser.

Il a pris du recul

Dans les derniers jours de son procès, il a demandé pardon. Pour la première fois, il a exprimé des regrets pour avoir transmis des documents top secrets à WikiLeaks. "Je regrette que mes actions aient blessé des gens, qu'elles aient blessé les Etats-Unis."

Mais globalement, depuis 2010, Manning s'est très peu exprimé. Au cours de son procès, qui a débuté en juin 2013, son avocat a pris la parole pour lui. Cité par la chaîne américaine NBC News, il évoque un homme "jeune, un peu naïf mais bien intentionné", car il sélectionnait les informations qu'il transmettait à WikiLeaks. Le procureur, lui, préfère parler du cas Manning comme de ce qui se produit quand "l'arrogance accède à des informations sensibles".

Bradley Manning n'a donc pas ouvert la bouche de tout son procès, mais avait lu une longue déclaration au cours d'une audience préliminaire, en janvier 2013. C'est l'un des seuls documents qui permet de comprendre ses motivations. Il y raconte son parcours, de son entrée dans l'armée jusqu'à ses conversations avec Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks.

On y devine un jeune homme émotionnellement instable, marqué par une déception sentimentale. Alors engagé en Irak, Bradley Manning rentre brièvement aux Etats-Unis et revoit son petit ami. "J'ai essayé de lui parler de notre relation, mais il a refusé de faire des projets." Sensible, il se dit alors "déprimé" de l'engagement américain en Irak. Bloqué chez lui par une tempête de neige, il se met à réfléchir à toutes les données sensibles qu'il a stockées. Et décide de les transmettre à l'organisation d'Assange.

Pendant sa détention, Bradley Manning a pris du recul sur ses liens avec Nathaniel Frank, pseudonyme probablement utilisé par Julian Assange, avec qui il chattait quotidiennement. Ces conversations "étaient artificielles, j'y attachais plus d'importance que Nathaniel".

Il est devenu un symbole de la liberté d'expression

Le soldat, rejeté par ses camarades de garnison, est devenu en trois ans un symbole de la liberté d'expression. A l'annonce du verdict sur sa culpabilité, le 30 juillet, Julian Assange s'est insurgé sur le site de son organisation : "Il s'agit de la première condamnation pour espionnage contre un lanceur d'alerte. C'est un précédent dangereux qui illustre l'extrémisme de la sécurité nationale." 

Interviewé par la chaîne américaine PBS, un journaliste du New York Times s'inquiétait, avant le verdict, des retentissements d'une possible condamnation pour collusion avec l'ennemi (chef d'accusation pour lequel Manning a finalement été jugé non coupable) : "Si révéler des informations au public est une collusion avec l'ennemi, alors la frontière entre le travail du New York Times et celui de WikiLeaks n'est pas très claire."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.