Ce qu'il faut savoir sur les "super-bactéries" qui affolent les Etats-Unis
Quatre patients de l'hôpital Cedars-Sinai de Los Angeles ont été infectés par une bactérie résistante aux antibiotiques, a annoncé l'établissement mercredi 4 mars. Une menace microscopique, mais de plus en plus inquiétante.
Le terme peut faire sourire. Les "super-bactéries" causent toutefois la mort de 23 000 personnes chaque année aux Etats-Unis, selon l'International Business Times (en anglais). Dernière alerte en date, plusieurs patients de l’hôpital Cedars-Sinai de Los Angeles ont été infectés par une de ces bactéries résistantes aux antibiotiques, a annoncé l'établissement, mercredi 4 mars. Une nouvelle d'autant plus inquiétante que deux personnes sont mortes à l'hôpital Ronald Reagan en février, après avoir elles aussi contracté une entérobactérie résistante aux carbapénèmes (CRE), rappelle CNN (en anglais).
Staphylocoque doré, CRE, Klebsiella pneumoniae multirésistante… Ces organismes pathogènes aux noms compliqués, insensibles aux antibiotiques, sont de plus en plus nombreux. Comment s’en prévenir et en guérir ? Francetv info fait le point sur ce que l’on sait de ces "super-bactéries".
Ces bactéries s'adaptent aux traitements
Les "super-bactéries" sont des organismes pathogènes qui "résistent à trois ou quatre classes d’antibiotiques différentes, d’où le nom de ‘multirésistants’”, explique Patrice Courvalin, professeur à l’Institut Pasteur responsable de l’Unité des agents antibactériens, spécialisée dans la recherche sur la multirésistance. A force d’être exposées aux traitements, ces bactéries finissent par évoluer et développer des enzymes capables de dégrader les antibiotiques.
De nombreuses bactéries se sont déjà adaptées aux médicaments les plus employés, comme ceux de la classe de la pénicilline. “Lorsqu’une souche est résistante aux carbapénèmes, les antibiotiques les plus récents, on a un vrai problème : ces molécules, très efficaces, sont normalement le dernier recours des médecins”, précise Patrice Courvalin.
Certaines bactéries peuvent même devenir totorésistantes. Rien à voir avec une blague de cour de récré : aucun antibiotique n’a d’effet sur ces souches. “Là, c’est l’impasse thérapeutique, on ne peut plus rien faire pour le patient, poursuit le chercheur. C’est un retour à l’époque d’avant la découverte des antibiotiques.”
Un développement lié à la surconsommation d’antibiotiques
Les infections dues à des “super-bactéries” sont de plus en plus fréquentes, notamment aux Etats-Unis. Le taux de souches résistantes aux antibiotiques dans les hôpitaux est passé de 10 à 15% dans les années 1990, à plus de 60% dans les années 2000, selon le média spécialisé Healthline (en anglais).
Une augmentation qui serait étroitement liée à "l'utilisation massive et répétée" des antibiotiques, selon l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). "Plus une bactérie est exposée à un traitement, plus elle a de chances de devenir résistante et de rendre le médicament inactif, confirme Patrice Courvalin. La surconsommation d’antibiotiques aggrave donc le phénomène." Le mauvais dosage de ces médicaments, ainsi que la durée trop longue ou trop courte des traitements est aussi mise en cause par l'Inserm.
Pour battre les "super-bactéries", il faudra peut-être un virus
Les "super-bactéries" sont d'autant plus inquiétantes qu'aucune nouvelle molécule n'a été mise au point depuis les carbapénèmes. "Si ces antibiotiques de dernier recours sont inactifs, il ne reste plus beaucoup d’options, détaille Patrice Courvalin. Les autres traitements seront moins efficaces."
Certains chercheurs concentrent donc leurs efforts sur les bactériophages, des "virus mangeurs de bactéries" qui les infectent puis les détruisent, expliquait Le Monde en juin 2012. "Ce traitement est plus efficace quand le virus a un accès direct à l'organisme pathogène, prévient toutefois Patrice Courvalin. Le bon virus peut par exemple attaquer une bactérie multirésistante qui se développe sur une brûlure, s’il est appliqué sur la zone concernée." Mais dans le cas d’une méningite due à une "super-bactérie", l’effet serait limité puisque le cerveau est plus difficile d'accès.
La prévention reste la mesure la plus sûre
A défaut de pouvoir traiter ces infections, il faut éviter de les contracter. "Les bactéries multirésistantes sont très présentes en Asie, où les conditions d’hygiène sont déplorables", relève Patrice Courvalin. Au quotidien, il faut donc veiller à utiliser une eau propre, à se laver les mains fréquemment et à être à jour dans ses vaccins, rappelle l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dans un rapport datant de 2014.
Les mesures d’hygiène doivent aussi être scrupuleusement observées dans les hôpitaux. Certains patients peuvent y contracter une infection bactérienne lorsque leurs défenses immunitaires sont affaiblies par des pathologies sous-jacentes ou des opérations chirurgicales, selon Patrice Courvalin.
Dernière mesure préconisée : appliquer scrupuleusement la fameuse règle "les antibiotiques, c'est pas automatique". La prise de traitements antibactériens s'avère non seulement inutile lorsque l'on a une infection virale, mais elle "augmente le risque de développer une bactérie multirésistante plus tard", explique David Bell, chercheur au Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), dans un article de l’Agence fédérale du médicament américaine (en anglais).
La France n'est pas à l'abri des "super-bactéries"
La menace des "super-bactéries" ne plane pas que sur les Etats-Unis. En octobre 2013, plus de 70 patients du CHU de Nice ont été infectés par la bactérie Klebsiella pneumoniae multirésistante, rappelle Mediapart. Dix-neuf d'entre eux, qui souffraient déjà de pathologies sous-jacentes, en sont morts.
"Pour l’instant, la situation est maîtrisée en France dans le cas des carbapénèmes : seul un faible pourcentage de bactéries sont résistantes à ces antibiotiques”, explique Patrice Courvalin. Mais la consommation d'antibiotiques a augmenté de 5,9% dans l'Hexagone depuis 2010, selon l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). "Une épidémie de pathologies nosocomiales, se développant dans les hôpitaux, est donc vouée à se produire, selon le professeur à l'Institut Pasteur. Et s’il s’agit d’une bactérie résistante aux traitements de dernier recours, il s’agira d’une épidémie catastrophique."
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