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Haïti: Cité Soleil, le bidonville dont se jouent gangs et politiciens
Les gangs et les politiciens contribuent à faire empirer le quotidien des habitants de Cité Soleil, le plus grand bidonville de l'hémisphère Nord. Comme souvent, à l'approche d'un rendez-vous électoral en Haïti, la commune est livrée à la violence de criminels prêts à tout pour s'arroger un pouvoir qui sera chèrement revendu aux candidats prêts à payer pour remporter des voix.
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L’atmosphère s’est tendue à quelques jours du scrutin présidentiel du 25 octobre 2015, dont les Haïtiens n’attendent pas grand-chose. «On nous promet des emplois mais quand ils seront élus, on les verra juste passer dans leur gros 4X4 avec leurs amis», affirme une vendeuse ambulante de fruits à Port-au-Prince, la capitale haïtienne, interrogée par l’AFP. «Pour nous le peuple, ça ne sert à rien d'aller voter», poursuit-elle.
Peut-être, mais «le peuple», celui qui vit à Cité Soleil dans la plus grande des précarités, est devenu un enjeu électoral. Fini le temps où le dictateur Jean-Claude Duvalier et son épouse, sous leurs allures charitables, jetaient des billets par les fenêtres de leur voiture aux «pauvres» Haïtiens qu’ils pillaient de façon éhontée. A l'heure de la démocratie, on achète dorénavant les voix des démunis.
La politique à Cité Soleil, une affaire de gangs
Cité Soleil, fief de l'ancien président Jean-Bertrand Aristide sous la dictature de Jean-Claude Duvalier, est devenu au fil des ans une commune où criminalité et politique sont intimement mêlées. Aristide n'est d'ailleurs pas étranger au phénomène. En 1990, quand il est porté au pouvoir, c’est à Cité-Soleil qu’on se réjouit le plus du plébiscite dont le prêtre fait l’objet, se souvenait Anne Fuller du Miami Herald en 2003 dans un témoignage publié sur le site du groupe de recherche Haïti Democracy Project.
Il décevra très vite cette base électorale mais prendra le soin de la maintenir sous son joug. Au début des années 2000, quand il revient de nouveau au pouvoir, ses soutiens sont des jeunes gangsters qui sèment la terreur dans Cité Soleil. En 2002, Jean-Bertrand Aristide nomme même un certain Fritz Joseph maire du bidonville. Le jeune homme est un ancien du Front révolutionnaire armé pour le progrès d’Haïti, plus tard baptisé Front pour l'avancement et le progrès haïtien (FRAPH), un groupe paramilitaire qui fit chèrement payer aux populations du bidonville leur soutien au prêtre-président quand il fut renversé en 1991, après quelques mois de règne. Comment avait-il pu prendre cette décision?
«La réponse réside dans la continuité entre le FRAPH, un groupe paramilitaire sous une dictature militaire, et les gangs qui soutiennent (alors en 2003) le président Aristide», analysait la journaliste Anne Fuller. Les gangs, réminiscences parfois des Chimères (ces milices qui avaient aidé Aristide à se maintenir au pouvoir), continuent de terroriser au quotidien les habitants du ghetto.
Des violences ont provoqué vendredi 16 octobre à Cité Soleil, le grand bidonville de l'hémisphère Nord qui s’est créé aux abords de la capitale Port-au-Prince, la mort de deux femmes enceintes et d’au moins 13 personnes, selon l’agence américaine Associated Press (AP). Selon certaines sources, elles auraient été causées par des opérations de police qui visent les gangs sévissant dans le ghetto. D’autres expliquent qu’elles sont le résultat d’affrontements entre bandes rivales, à l’instar du journal Le Nouvelliste, l’un des deux quotidiens haïtiens. Près de 2000 personnes ont quitté le bidonville pour fuir les violences.
Argent contre voix
Esaïe Bochard, l'un des agents intérimaires de l'exécutif à Cité Soleil, a confié à l'AP que la police mène effectivement des opérations contre les gangs pour garantir la sécurité avant les élections générales. Le responsable confirme que ces violences ont un lien direct avec la politique. «Les nouvelles violences, enregistrées à Cité Soleil, s’expliquent par le fait que des candidats aux prochaines élections veulent avoir le contrôle de ce bidonville, qui représente une zone électorale importante», confirme Rovelson Apollon, le coordonnateur national de l’observation à la Commission épiscopale justice et paix (Jilap), cité par Alterpresse. Le site d’information haïtien ajoute : «Pour ce faire, les candidats influenceraient les groupes de gangs pour y parvenir.»
Le quotidien canadien Le Devoir relayait déjà la pratique dénoncée par un ancien journaliste lors de la présidentielle de 2011. «Les dirigeants haïtiens ont l'habitude d'accaparer les bandits pour qu'ils les aident politiquement», confiait-il au quotidien «en froissant le pouce et l'index pour signifier qu'ils le font en échange d'argent».
Haïti en miniature
Depuis le début de l’année 2015, une guerre sans merci pour le pouvoir a commencé en prévision des élections générales, rapporte Le Nouvelliste. «C’est ainsi que fonctionne la politique à Haïti. Certains politiciens distribuent de l’argent (pour s’acheter des voix) et les gangs tuent pour le récupérer», a confié à l’AP le musicien et activiste Gueldy René. De même, également sollicitée par AP, Jessica Hsu, directrice de l’organisation à but non lucratif Haiti Communitere, qui conduit des projets avec les résidents du bidonville Cité Soleil, fait le même constat. L'humanitaire estime que ces populations défavorisées sont de nouveau utilisées comme des «pions» par les politiciens. «C’est ce qui arrive à chaque fois ici», conclut-elle.
«Si vous prêtez attention deux minutes aux propos de la majorité des candidats à la présidence, vous pouvez être convaincus qu'ils nous viennent de la planète Mars», confiait Frantz Duval, le rédacteur en chef du Nouvelliste, à l'AFP. En d’autres termes, nombre des 54 candidats à la présidence d’Haïti, pays le plus pauvre des Amériques, sont déconnectés des problèmes de leurs compatriotes. Le sort réservé par les politiciens à Cité Soleil, concentré des maux qui rongent Haïti, laisse très peu de place à l'optimisme.
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