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Une cité maya découverte par un adolescent québécois ? Les raisons d'en douter

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Un temple maya sur le site archéologique d'El Mirador, au Guatemal, dont un jeune québécois dit avoir utilisé l'emplacement pour découvrir une cité maya inconnue. (DANIEL LECLAIR / REUTERS)

Les médias du monde entier, dont francetv info, se sont emparés de l'histoire de William Gadoury, qui dit avoir fait le lien entre la position des villes construites par les Mayas et les constellations célestes. Ce qui laisse les spécialistes dubitatifs.

Découvrir une antique cité maya, une des plus grandes connues, à seulement 15 ans : l'histoire racontée, samedi 7 mai, par Le Journal de Montréal fait rêver et a passionné les internautes du monde entier. De nombreux médias, dont francetv info, ont repris le récit du quotidien canadien, qui explique comment William Gadoury a découvert un lien entre le dessin des constellations et la localisation des cités bâties par les Mayas.

Remarquant qu'une cité manquait pour que la correspondance avec l'une de ces constellations soit parfaite, le jeune homme aurait deviné l'emplacement de la ville manquante, une cité inconnue, puis confirmé son existence grâce à des images satellite. Mais quand le bruit de cette découverte est arrivé aux oreilles des spécialistes, beaucoup ont manifesté leur scepticisme. "Un exemple parfait de science de pacotille", s'est agacé David Stuart, mayaniste reconnu, dans un message Facebook depuis supprimé.

Alors que Le Journal de Montréal explique, mercredi 11 mai, que le jeune garçon prépare une expédition au Mexique sur le site de son hypothétique cité perdue, les doutes s'accumulent. Francetv info vous donne quatre raisons de penser que la "découverte" n'en est pas vraiment une.

Une hypothèse de départ bancale pour les spécialistes

Dans Le Journal de Montréal, William Gadoury explique pourquoi il a cherché le lien entre les étoiles et l'emplacement des villes mayas : "Je ne comprenais pas pourquoi les Mayas avaient construit leurs cités loin des rivières, sur des terres peu fertiles et dans les montagnes", dit-il. Une première erreur, aux yeux d'Eric Taladoire, professeur à l'université Paris 1 et spécialiste des Mayas : "Il suffit de prendre une carte de la zone maya pour voir que c'est faux. Tikal, la plus grande cité maya connue, se trouve au milieu d'une zone de marécages et de lacs. Les plus grandes cités sont sur le fleuve Usumacinta." Cette méprise témoigne, selon les spécialistes, des connaissances parcellaires du jeune Québécois.

Ainsi, comparer l'emplacement des villes mayas aux constellations oublie un fait important : "Les constellations sont des constructions culturelles, les nôtres nous viennent des Grecs", explique Marie-Charlotte Arnauld, directrice de recherches au CNRS, au site Arrêt sur images (article payant). Elles n'auraient donc pas pu servir de référence aux Mayas. Deuxième problème : les Mayas n'avaient pas de gouvernement central, qui aurait pu décréter que la construction de leurs cités se ferait selon la position des étoiles dans le ciel.

Surtout que ces sites "ne sont pas du tout contemporains", abonde Eric Taladoire. A l'instar des cités de Calakmul et El Mirador, dont le jeune québécois s'est servi pour deviner l'emplacement de sa cité oubliée : "Le déclin d'El Mirador débute au IIe siècle après J.-C. A l'époque, Calakmul n'existe pratiquement pas, leurs apogées sont distants de six ou sept siècles." Difficile d'imaginer qu'elles aient été positionnées l'une par rapport à l'autre : "Dans ce cas, à quelle période aurait été construit le troisième site ?"

La découverte d'une cité si étendue paraît improbable

Selon le journal québécois, la cité perdue serait la quatrième plus importante jamais découverte, avec une superficie de 80 à 120 km². Mais qu'on puisse découvrir un site aussi majeur semble "rocambolesque" aux yeux de Dominique Michelet, lui aussi directeur de recherches au CNRS et contacté par francetv info. "Tikal, le plus grand des sites mayas classiques, dépasse difficilement 60 km²", fait-il valoir. 

"Un site de la taille de Paris ne peut pas passer inaperçu, c'est impossible", estime son confrère Eric Taladoire. La zone a été maintes fois ratissée et observée par satellite par les archéologues. Selon le magazine Wired (en anglais), un archéologue de San Diego (Etats-Unis) a d'ailleurs reconnu, sur les images, des sites proches de son lieu de recherche. Les formes observées par le chercheur en herbe seraient un marécage asséché et des champs qui pourraient contenir de la marijuana.

Aucun archéologue n'a validé le travail de l'adolescent

Pour mettre en avant la qualité du travail de William Gadoury, Le Journal de Montréal n'hésite pas à affirmer que "les scientifiques [sont] impressionnés". Le quotidien insiste particulièrement sur l'aide apportée par la très sérieuse Agence spatiale canadienne (ASC). En 2014, William Gadoury avait été invité par l'ASC pour y présenter son étude, après avoir rencontré un de ses responsables, Daniel de Lisle, lors d'un salon sur la science. Alors âgé de 13 ans, William Gadoury a même reçu une médaille, "en tant que plus jeune chercheur que nous avons supporté", explique Daniel de Lisle à francetv info.

Mais l'Agence spatiale canadienne n'est pas pour autant une caution scientifique de son travail. Sa contribution s'est limitée à fournir au garçon quelques images satellite de la zone où il recherchait sa cité perdue. Depuis, William Gadoury n'a eu aucun contact avec l'ASC, qui n'a rien à voir avec la soudaine attention médiatique, même si elle a félicité le jeune garçon sur Facebook.

S'il explique avoir été "impressionné par son sujet, son approche et son enthousiasme", Daniel de Lisle confirme que jamais l'ASC ne s'est penchée sur la validité de la supposée découverte. Si les agences spatiales collaborent parfois avec des archéologues, elles n'ont bien sûr aucune compétences sur l'histoire des civilisations précolombiennes. "Les résultats de William devront être publiés dans une revue reconnue" et validés par une expédition de terrain, affirme Daniel de Lisle. "D’ici là, tout n’est que spéculation."

Aucune des personnes citées par Le Journal de Montréal en appui de William Gadoury n'est un historien ou un archéologue travaillant sur les Mayas. Dans le premier article, les "scientifiques unanimes" cités sont Daniel de Lisle, de l'ASC, et Armand LaRocque, "un spécialiste en télédétection". C'est lui qui a analysé les images satellite et y voit "des formes qui peuvent difficilement être attribuées à des phénomènes naturels". La liste de ses publications universitaires montre qu'il est bien un expert de l'interprétation de vues satellite, mais qu'il n'a jamais travaillé sur les Mayas. Dans un autre article, le journaliste cite "l'archéologue et spécialiste de la région Victor Pimentel", mais ses études concernent le Pérou, loin du territoire des Mayas. Un hydrogéologue est aussi convoqué pour expliquer que la démarche "paraît rigoureuse". Sans toutefois qu'il ne confirme la découverte.

Une histoire enjolivée par "Le Journal de Montréal" ?

Le journal cite également "deux archéologues mexicains" qui auraient consulté les travaux du jeune homme, et "promis à William de l’emmener lors de leurs fouilles". Mais curieusement, ils sont les seuls dont le nom n'apparaît pas. Enfin, d'un entretien avec Eric Taladoire, le journaliste retient des citations plutôt positives – "La nouvelle m’a amusé et après tout elle repose peut-être sur un fond de vérité" – alors que, contacté par francetv info, le chercheur estime que les affirmations de William Gadoury "ne reposent sur rien".

Par ailleurs, les articles du Journal de Montréal sur cette découverte contiennent de nombreuses imprécisions. Le quotidien prétend notamment que "des experts de l’Agence spatiale canadienne" ont confirmé la présence de structures humaines sur les images satellite, alors que l'ASC assure avoir simplement fourni ces images. Pire, sur la carte initialement publiée par le journal, l'emplacement présumé de la cité maya était situé dans le mauvais pays, au Bélize plutôt qu'au Mexique, explique Eric Taladoire, qui explique avoir signalé l'erreur, corrigée depuis.

Des imprécisions qui s'expliquent peut-être par le profil de Michel Harnois, l'auteur de ces révélations : il n'est pas journaliste scientifique et écrit sur des sujets locaux autour de la ville de Joliette, où étudie William Gadoury. Fin avril, l'archéologue en herbe était devenu la fierté de son école en étant sélectionné pour représenter le Québec dans une exposition de jeunes scientifiques au Brésil. Le journaliste a-t-il manqué d'objectivité et enjolivé cette histoire qui n'en avait pas besoin ? L'engouement médiatique a, en tout cas, permis à William Gadoury de financer son voyage au Brésil, et peut-être une expédition au Mexique, grâce à un appel au don inclus dans l'article. Contacté par francetv info, Michel Harnois n'a pour l'instant pas répondu à nos sollicitations.

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