Birmanie: l'armée lâche du lest, pas le pouvoir
Indépendante depuis 1948, la Birmanie n’a jamais vraiment vécu apaisée. L’année précédente, le général Aung San, père de Aung San Suu Kyi et héros de l’indépendance, avait été assassiné. Et dès 1962, l’armée, dirigée par le général Ne Win, s’empare d’un pouvoir qu’elle n’a pas quitté depuis.
En 1988, la répression d’un soulèvement démocratique fait des centaines de morts. Ne Win est remplacé à la tête de la junte par Saw Maung. Rentrée de Grande-Bretagne, Aung San Suu Kyi s’investit dans l’opposition et fonde la Ligue nationale pour la démocratie (LND). Elle est assignée à résidence. En 1990, le LND gagne les élections législatives. Les généraux refusent de reconnaître sa victoire.
Totalement isolée du reste du monde, la Birmanie est devenue un Etat paria. En 1991, le prix Nobel de la paix est attribué à Aung San Suu Kyi, qui ne sera libérée qu’en 1995. Sur le plan politique, le général Than Shwe remplace Saw Maung. Mais la pression de la dictature se resserre : Aung San Suu Kyi est à nouveau mise en résidence surveillée.
En 2007, d’imposantes manifestations, là encore réprimées dans le sang, éclatent contre l’augmentation des prix des transports et de l’essence. Certaines images parviennent à l’étranger grâce à internet. L’année suivante, les militaires annoncent un projet de nouvelle Constitution prévoyant des élections en 2010.
"Au cœur de la répression birmane"
un reportage diffusé sur France 24 le 28 octobre 2007
« Une transition interne au régime »
Un scrutin est effectivement organisé en novembre 2010. Le Parti pour le développement et la solidarité de l’Union (USDP), spécialement créé par la dictature, obtient la grande majorité des sièges. Une petite place est faite à certains opposants qui ont accepté de jouer le jeu. Les Occidentaux crient à la «mascarade». «Ce n’est pas une mascarade», pense Renaud Egreteau, chercheur à l’université de Hong Kong, dans une interview à RFI. Selon lui, une «véritable transition» est en cours : «c’est une transition interne au régime ; ce n’est pas démocratique mais c’est une transition politique».
De fait, Aung San Suu Kyi est libérée dans la foulée du scrutin, ce qui lui permet de revenir dans le centre du jeu politique. Et depuis un an, le pays a entrepris une mue spectaculaire. Les manifestations ont été légalisées, la censure partiellement levée. Le LND, qui avait appelé au boycott du scrutin, est légalisé. Des accords de paix sont signés avec quelques-unes des minorités ethniques en rébellion. En mars, la junte est officiellement dissoute et a laissé la place à un gouvernement "civil". Mais Than Shwe reste président… La visite de la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, en décembre, apporte une reconnaissance internationale à ce mouvement sans précédent.
La visite d'Hillary Clinton en décembre 2011, la première d'un responsable américain à ce niveau depuis 1955.
Reste à expliquer cette évolution. A écouter Renaud Egreteau (articles dans Le Monde et Le Monde Diplomatique), une nouvelle société civile tourne autour de l’USDP composée évidemment de militaires «mais aussi d’hommes d’affaires, d’avocats, et de notables locaux», dont les intérêts ne coïncident pas «forcément avec ceux de l’armée en place». Si celle-ci reste «l’institution primordiale du pays», elle n’a «plus l’exclusivité de la décision». Mais ses membres ne sont pas forcément perdants pour autant.
«Relancées en février 2010, les privatisations d’entreprises d’Etat» ont offert «aux officiers "retraités" ou à leurs familles des occasions d’enrichissement compensatoires» dans des secteurs très profitables : pétrole, banques, transports... Résultat : les militaires sont «désormais plus préoccupés par la gestion de leur patrimoine que par le pouvoir politique», analyse le chercheur. Et de conclure : «la trop lente démocratisation du pays ne doit rien au hasard». La Birmanie va-t-elle enfin trouver la paix ?
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