Boeing disparu : "On n'a pas tiré les leçons du passé", selon les familles des victimes du vol Rio-Paris
Presque cinq ans après le crash de l'AF447 dans l'Atlantique, les familles des victimes françaises revivent le traumatisme à travers la disparition de l'avion de la Malaysia Airlines. Elles pointent du doigt des dysfonctionnements.
Un avion disparu sans raison apparente, des centaines de secouristes mobilisés et des dizaines de familles dans l'angoisse. Les familles du vol d'Air France Rio-Paris, qui s'est écrasé dans l'Atlantique le 1er juin 2009 avec 228 personnes à bord (dont 72 Français) ont la sensation de revivre leur traumatisme au travers de la disparition du Boeing 777 de la Malaysia Airlines, survenu le 8 mars. Regroupés au sein d'une association, ces familles ont activement participé à la recherche de la vérité sur l'accident du vol AF447. Et selon elles, la catastrophe aurait dû servir à modifier les règlementations et les pratiques.
Danièle Lamy, qui a perdu son fils Eric dans l'accident, est aujourd'hui présidente d'Entraide et solidarité AF447, une association dont son deuxième fils, Laurent, est également membre. Ensemble, ils reviennent pour francetv info sur cette douloureuse expérience que traversent actuellement les familles des passagers du Boeing malaisien.
Francetv info : Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris la disparition du Boeing de la Malaysia Airlines ?
Danièle Lamy : Ça nous a replongés dans le traumatisme. On s'est revus, cinq ans en arrière, à se poser la même question : "Comment un avion, comme l'Airbus AF447 ou comme ce Boeing malaisien, des avions très récents et bardés d'électronique, peuvent-ils se crasher ?" Les situations et les explications sont sûrement très différentes, mais un avion qui disparaît, ce n'est pas normal.
Laurent Lamy : Ça nous rappelle évidemment de très mauvais souvenirs. Notamment le fait que personne n'arrive à comprendre ce qui est arrivé à l'avion. Comme c'est le cas pour cet avion malaisien, on évoque beaucoup de thèses, dont certaines très farfelues. Nous aussi, on nous avait parlés de la foudre, ou encore d'un missile. Et le pire, c'est qu'on s'était raccrochés à ça, à ces thèses qu'on trouvait dans la presse, parce qu'on voulait des réponses. Car tant qu'on n'a pas retrouvé les corps, c'est très dur à gérer. Pour ma part, ce n'est qu'après l'enterrement que j'ai compris que mon frère ne reviendrait pas.
Dans un communiqué publié sur votre site internet, vous estimez que l'expérience de l'AF447 aurait dû permettre de localiser plus rapidement cet avion de la Malaysia Airlines...
Danièle Lamy : Après le crash du Rio-Paris, on a mis six jours à trouver les premiers débris, puis deux ans pour localiser l'épave, parce que la zone de recherche était immense. C'est pour cela que, dans son rapport final (en PDF), le Bureau enquête et analyse (BEA) a recommandé aux autorités aériennes d'obliger les avions à transmettre leur position de façon plus fréquente.
En quoi cette modification de la règlementation aurait-elle changé les choses ?
Laurent Lamy : Actuellement, un avion de ligne transmet sa position géographique par satellite toutes les 10 minutes (comme l'explique Le Point). Or, le 1er juin 2009, l'Airbus AF447 a transmis sa position pour la dernière fois à 2 h 10, alors que l'accident a eu lieu à 2 h 12. Mais il a fallu étendre la zone de recherche à la distance parcourue entre 2 h 10 et 2 h 20. Si la transmission de la position s'était faite une fois par minute, on aurait localisé l'épave beaucoup plus rapidement, et non pas deux ans plus tard. Ça aurait évité beaucoup de souffrance aux familles, qui sont restées dans l'incertitude pendant tout ce temps. On n'a pas tiré les leçons du passé.
D'ailleurs, les causes du crash de l'Airbus sont liées à un manque d'anticipation. Des incidents liés à des sondes Pitot AA (qui sont mises en cause par le rapport du BEA) ont été officiellement signalés en septembre 2008. Air France ne les a finalement remplacées par des sondes BA qu'à la mi-juin 2009, juste après l'accident. C'est aberrant d'avoir attendu un crash pour finalement prendre cette décision. C'est incompréhensible.
A l'époque, comment avez-vous vécu les premiers jours qui ont suivi le crash du Rio-Paris ?
Danièle Lamy : On s'est sentis très seuls. A l'aéroport, monsieur Gourgeon (l'ex-PDG d'Air France) nous a dit de "ne rien attendre". Alors on nous a renvoyés chez nous, en nous disant que Nicolas Sarkozy allait nous recevoir. Ce qui n'est jamais arrivé. Lors de la cérémonie organisée à Notre-Dame deux jours plus tard, il n'est même pas venu saluer les familles. Globalement, l'Etat n'a rien fait pour nous. C'est pour ça qu'on a très rapidement monté une association, un mois après l'accident.
Il n'y a pas eu de prise en charge, de soutien psychologique ?
Laurent Lamy : Si, le ministère des Transports a mis en place une aide psychologique. Dès le lendemain de l'accident, j'ai appelé le numéro vert transmis par les médias. Et le surlendemain, j'avais un rendez-vous individuel avec un psy.
Danièle Lamy : Le ministre des Transports nous a quand même reçus, la DGAC (Direction de l'aviation civile) et le BEA aussi. Air France a aussi fait des gestes. Une fois par an, la compagnie réunit les familles pour préparer l'hommage rendu chaque 1er juin à Paris. Et en novembre 2009, elle nous a permis de participer à la cérémonie organisée à Rio. En revanche, Airbus s'en moque et n'a absolument rien fait. Mais ceux qui nous ont le plus aidés, par leur soutien et leurs conseils, ce sont les gens de la Fenvac, l'association d'aide aux victimes d'accidents collectifs.
Comment étiez-vous informés de l'avancée des recherches ?
Danièle Lamy : La plupart du temps, c'était à nous de les solliciter, d'appeler les autorités. Et quand on voulait être reçus, il fallait faire une demande écrite. Mais on apprenait la plupart des avancées par les médias. Le pire restant le jour où ils ont retrouvé l'épave, le 4 avril 2011. C'est Nathalie Kosciusko-Morizet (alors ministre des Transports) qui l'a annoncé sur France Info en précisant que "des corps avaient été retrouvés" et que "des identifications étaient possibles". On ne nous avait pas prévenus avant. La ministre voulait faire un coup. Beaucoup de familles étaient choquées.
Presque cinq ans plus tard, que conseillez-vous aux familles des victimes de l'avion malaisien ?
Avec le recul, on se dit que, sans l'association, sans la pression qu'on a mise sur les autorités, on n'aurait jamais retrouvé l'épave. Mais on aurait eu besoin de davantage de soutien, de davantage d'information. Pour les familles des passagers du Boeing malaisien, ça doit être tout aussi dur aujourd'hui. Alors on pense à eux. Et s'ils le veulent, on les rencontrera, et on les aidera.
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