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Chine. Le Parti communiste, un parti pas si unique

Le Parti communiste chinois, réunit en Congrès depuis jeudi 8 novembre pour désigner ses nouveaux dirigeants, est un parti divisé entre différents clans et intérêts.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Le président sortant, Hu Jintao (à g.), et son prédécesseur, Jiang Zemin (à dr.), ici à Pékin en 2008, sont à la tête de deux factions rivales du Parti communiste chinois. (FREDERIC J. BROWN / AFP)

ASIE-PACIFIQUE – Même costume noir, même chemise blanche, même cravate rouge, mêmes cheveux impeccablement teints… Jusque dans l'uniforme de ses dirigeants, le régime communiste chinois affiche son unité. Pourtant, dans les couloirs du palais du Palais de l'Assemblée du peuple où se réunit le 18e Congrès du Parti depuis jeudi 8 novembre qui va porter au pouvoir une nouvelle génération de dirigeants, débats politiques et luttes de pouvoir sont parfois vifs entre les dirigeants chinois.

Le phénomène n'est pas nouveau. Les luttes de pouvoir internes étaient nombreuses et violentes sous Mao Zedong et Deng Xiaoping. Mais le passage progressif d'un pouvoir solitaire à un leadership collectif depuis le début des années 1990 a changé la donne : le  numéro un n'a plus les moyens d'imposer sa ligne et doit composer avec les différentes sensibilités du parti, représentées au sein du comité permanent du bureau politique, le saint des saints du pouvoir.

Un parti, deux coalitions

Sous les mandats de Jiang Zemin (1989-2002) et de Hu Jintao (2002-2012), "le leadership du Parti communiste s'est de plus en plus structuré autour de deux coalitions ou factions informelles", fondées sur des intérêts socioéconomiques et géographiques divergents, écrit Cheng Li, chercheur de la Brookings institution (article en anglais), un think tank américain.

D'un côté, ceux que le chercheur nomme "les populistes" ou "faction de la Ligue de jeunesse". Emmenée par le président Hu Jintao et le Premier ministre Wen Jiabao, cette faction, jugée moins allergique à la réforme, représente les intérêts des classes populaires et des provinces pauvres de Chine. Ses représentants sont généralement issus de familles modestes et ont passé l'essentiel de leur carrière dans les provinces du centre du pays, moins développées que les côtes. Beaucoup, comme Hu Jintao, ont fait leurs classes au sein de la Ligue de jeunesse communiste.

De l'autre, "les élitistes" ou "faction de Shanghai". Formée autour de l'ancien numéro un Jiang Zemin, cette coalition, conservatrice, défend les intérêts des élites économiques chinoises et des riches provinces côtières. Ses membres sont souvent les fils et filles de grands dirigeants révolutionnaires, les fameux "princes rouges", et ont fait leurs armes sur les côtes, dans les régions les plus développées de Chine, comme Shanghai. Si Jiang n'exerce plus aucune fonction depuis 2004, il continue à jouer un rôle politique et possède quelques alliés au sein du comité permanent sortant comme les numéros 2 et 4, Wu Bangguo et Jia Qinglin.

Des relations parfois violentes

Concrètement, ces deux coalitions ont une politique de développement différente. "Hu Jintao et Wen Jiabao ont mené un combat en faveur de politiques sociales pour favoriser la consommation intérieure alors que les poulains de Jiang Zemin poussaient les exportations", résume Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au Centre d'études des relations internationales (Ceri) de Sciences-Po. Le tandem Hu-Wen a par exemple supprimé les taxes agricoles qui pesaient lourdement sur les paysans chinois et fait du développement des villes du centre du pays une priorité, afin qu'elles rattrapent leur retard sur les côtes.

L'ancien numéro un de Shanghai, Chen Liangyu, lors de son procès en 2008 pour corruption. (CCTV / CHINESE TV/FILES)

En 2007, lorsque vient le moment de préparer la succession de Hu Jintao, qui doit se retirer en 2012, chacune des factions soutient son candidat. C'est finalement Xi Jinping, fils d'un ancien vice-Premier ministre, qui l'a emporté sur Li Keqiang, le protégé de Hu. Ce dernier devra se contenter de la place de Premier ministre.

Si les deux camps travaillent souvent en bonne intelligence, les débats peuvent parfois mal tourner. L'ancien numéro un de Shanghai Chen Liangyu peut en témoigner. Lorsque, soucieux d'éviter une surchauffe de l'économie chinoise, le Premier ministre Wen Jiabao annonce un resserrement du crédit en 2004, Chen manifeste vivement son désaccord lors d'une réunion du bureau politique.

"En s'en prenant à Wen si ouvertement, Chen a transformé un désaccord sur la politique économique en une dangereuse dispute politique", écrit l'ancien correspondant du Financial Times en Chine, Richard McGregor, dans son livre The Party. Deux ans plus tard, au terme d'une longue enquête, Chen Liangyu est démis de ses fonctions pour corruption, un moyen commode de se débarrasser d'un ennemi politique. Il sera condamné à 18 ans de prison en mars 2008. Cette année, la chute de Bo Xilai, dont l'activisme politique déplaisait fortement au tandem Hu-Wen, a également ses motivations politiques.

Il n'y a pas "deux lignes, comme dans les années 1980"

Pourtant, ces différences politiques ne doivent pas être surestimées. "On ne voit pas se dessiner deux lignes, comme dans les années 1980", relativise Jean-Philippe Béja, chercheur au CNRS et au Ceri. A l'époque, le Parti communiste comptait de vrais réformateurs, comme Hu Yaobang, secrétaire général du PCC de 1981 à 1987, ou Zhao Ziyang, son successeur de 1987 à 1989.

La mort du premier, partisan d'une réduction du rôle du parti au sein de l'Etat et d'une plus grande transparence dans l'exercice du pouvoir, avait déclenché le mouvement prodémocratique de Tiananmen en 1989. Opposé à l'intervention de l'armée, le second avait été démis de ses fonctions par les durs du parti et remplacé par Jiang Zemin.

Des Hongkongais rendent hommage, le 15 janvier 2006, aux deux dirigeants réformateurs du Parti communiste chinois victimes de purges dans les années 1980, Zhao Ziyang (à gauche) et Hu Yaobang (à droite). (LO SAI HUNG / AP / SIPA)

Depuis Tiananmen, les dirigeants chinois sont d'accord sur l'essentiel, le rôle du parti, et les divisions sont davantage personnelles que politiques. "Individuellement, ils ont leurs amis proches, leurs mentors et ils s'aident mutuellement, même s'ils ont des opinions politiques différentes", développe Bo Zhiyue, chercheur à l'université de Singapour.

"Ils n'utilisent pas ces étiquettes factionnelles pour eux-mêmes ou pour les autres, ils sont donc flexibles, capables de changer leur identité en fonction de celle du numéro un, poursuit-il. Si celui-ci est issu de la Ligue de jeunesse, ils vont souligner leur collaboration passée avec cette organisation. Si c'est un 'prince rouge', ils vont tout faire pour trouver un lien avec ces grandes familles chinoises. Ils sont opportunistes."

Que pensent les futurs dirigeants ?

Dans un pays où le développement des réseaux sociaux permet, malgré la censure, de prendre la température de l'opinion publique, il est en revanche difficile de savoir ce que pense la nouvelle génération de dirigeants qui prend le pouvoir cette année. "On ne sait pas ce que pense Xi Jinping, parce que son intérêt, c'est surtout de ne pas le dire. S'il l'avait dit, il aurait été déboulonné il y a bien longtemps", regrette Stéphanie Balme, chercheuse au Ceri, de retour d'une mission de dix ans en Chine.

Le passé de Li Keqiang, le Premier ministre pressenti de Xi, qui a côtoyé des leaders du mouvement de Tiananmen à l'université, fait figure de maigre lueur d'espoir pour les partisans d'une réforme politique du régime. "Li Keqiang, c'est quelqu'un qui, dans sa vie, a eu des idées progressistes. Est-ce que trente ans au sein de l'appareil l'ont changé ? C'est la question", résume Jean-Philippe Béja. Il y a dix ans, le parcours de Hu Jintao et Wen Jiabao, collaborateurs respectivement de Hu Yaobang et Zhao Ziyang dans les années 1980, avait suscité les mêmes espoirs, largement déçus depuis.

Le 19 mai 1989, Zhao Ziyang, qui vient d'être désavoué par les durs du parti, se rend sur la place Tiananmen où les étudiants manifestent, pour s'excuser d'arriver "trop tard" et leur demander de mettre un terme à leur grève de la faim. A sa droite, on peut apercevoir Wen Jiabao, l'actuel Premier ministre (sous l'appareil photo, au début).

"La gestion de la Chine est infiniment plus compliquée"

Dans tous les cas, la marge de manœuvre est étroite pour un numéro un moins expérimenté que le précédent (Hu Jintao a servi dix ans au sein du comité permanent, contre cinq pour Xi Jinping). "La politique économique est fixée jusqu'en 2015 par le douzième plan quinquennal. S'il y a des changements, ils auront lieu après et seront basés sur un consensus entre les différents éléments du parti", rappelle Kerry Brown, directeur du Centre d’études chinoises de l’université de Sydney et auteur d'une biographie du numéro un chinois, Hu Jintao: China’s Silent Ruler (Hu Jintao : le dirigeant silencieux de la Chine). L'équipe sortante devrait continuer de peser, surtout si, comme Jiang Zemin en 2002, Hu Jintao prolonge son mandat à la tête de la Commission militaire centrale de deux ans.

Pour ne rien arranger, les défis qui attendent le nouveau pouvoir sont considérables. "La gestion de la Chine est infiniment plus compliquée qu'il y a trente ans, juge Stéphanie Balme. Les gens aspirent à autre chose et les réseaux sociaux sont très mobilisés. Il ne s'agit plus de faire du quantitatif, mais du qualitatif.""Les enjeux sociaux sont de plus en plus forts, alors que le leadership est de plus en plus faible, complète Bo Zhiyue. Il y a comme un décalage…" Le plus dur commence pour Xi Jinping.

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