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Elections au Pakistan : une femme candidate dans les zones tribales

Pour la première fois, une femme est candidate aux élections pakistanaises dans les zones tribales du nord. A 55 ans, Badam Zari, analphabète, se bat pour rendre l'éducation accessible aux filles dans une région où les talibans font régner la terreur. Fixé au 11 mai prochain, ce scrutin législatif est considéré comme crucial pour la stabilisation démocratique au Pakistan.
Article rédigé par Dominique Cettour-Rose
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Badam Zari (à droite),  première femme pakistanaise candidate aux élections législatives dans les zones tribales. (AFP/STR)

Son combat rappelle celui de Malala, jeune miraculée d’un attentat des talibans en 2012. «L'éducation me manque et c'est pourquoi je suis candidate aux élections, pour promouvoir l'éducation des filles, des femmes et des hommes aussi», affirme Badam Zari, recouverte d'un voile de couleur ne laissant apparaître que ses yeux.

«Le district de Bajaur manque de tout, d'écoles pour les femmes, d'hôpitaux, d'électricité et de routes», ajoute la candidate qui n'a pas eu accès à l'éducation. «Je n'ai pas vraiment d'éducation, j'ai fréquenté l'école du village pendant un an ou deux, puis ma famille a fait pression afin que je quitte les bancs de l'école», explique Mme Zari qui s'exprime en pachto, langue des Pachtounes, pratiquée dans le nord du Pakistan et au sud de l'Afghanistan.


«Badam peut écrire son nom, mais elle ne peut pas lire les journaux. Toutefois nous parlons énormément de politique... la semaine dernière elle m'a donc demandé si elle pouvait participer aux élections et je lui ai répondu "oui"», raconte son époux, Mohammad Sultan.

«Elle ébranle un tabou»
Lors de la dernière élection générale, en 2008, les candidats devaient prouver qu'ils avaient un diplôme universitaire, une règle qui n'est plus en vigueur et qui a permis à cette femme au foyer de se présenter.

«Symboliquement, elle ébranle un tabou sans toutefois le détruire. Juste le fait qu'une femme se lève pour dire qu'elle peut représenter la population mieux que des hommes et d'autres femmes est un gros changement», estime Ijaz Khan, professeur à l'Université de Peshawar, ville du nord-ouest pakistanais à la porte des zones tribales.

Sur 1,7 million d'électeurs dans ces zones reculées, seulement 600.000 sont des femmes, soit le tiers des inscrits, le taux le plus faible du pays. Pire, les zones tribales ne comptent aucun des 60 sièges réservés aux femmes à l'Assemblée nationale.

«Donner une autre image»
A Khar, la capitale de Bajaur, un des sept districts tribaux semi-autonomes du nord-ouest, cette première candidature féminine est bien accueillie. Elle «va permettre de donner une autre image, modérée, de notre région. Car depuis des années, nous sommes associés à tort aux insurgés, aux terroristes et aux attentats, cela va permettre de montrer au reste du pays que nous ne sommes pas comme ça», estime Bahadur Khan, 48 ans.

«Les parlementaires de Bajaur n'ont pas réussi à résoudre nos problèmes, peut-être qu'une femme y parviendra», espère quant à lui Sultan Zeb, commerçant dans un bazar local.

«Personne ne m'a menacée»
 Le taux d'alphabétisme au Pakistan s'élève à 46%, tandis que seulement 26% des filles savent lire et écrire. L’écart entre le taux d’alphabétisme des femmes et celui des hommes est élevé. L'Unesco précise qu'entre 1995 et 2004, il était de 77% pour les hommes âgés de 15 à 24 ans et de 53% pour les femmes de la même tranche d’âge.

Ces dernières semaines, les talibans, opposés à l'éducation laïque, ont attaqué des centaines d'écoles dans le nord-ouest, principalement des établissements pour filles. «Personne ne m'a menacée», assure Mme Zari qui, faute de moyens financiers, privilégie le «porte-à-porte» aux rassemblements.

Le scrutin du 11 mai 2013, qui doit élire ses députés au parlement national et aux assemblées provinciales, devrait se dérouler sous haute tension. Le pays est touché depuis 2007 par une vague d’attentats sans précédent menée par les rebelles islamistes. Alliés à al-Qaïda, ces derniers visent notamment le gouvernement et ses forces de sécurité ainsi que les minorités, au premier rang desquelles les chiites.

Pour tenter de sécuriser les zones tribales en vue des éléctions, l’armée pakistanaise a intensifié ces dernières semaines ses opérations autour de la ville stratégique de Peshawar.

PPP et PML-N, partis traditionnels
Le résultat des législatives devrait se jouer entre les deux grands partis traditionnels pakistanais : le Parti du peuple pakistanais (PPP) du président Zardari et la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) de Nawas Sharif. Chacun des deux mouvements aura besoin de l'appui de partis tiers pour espérer former le gouvernement, estiment nombre d'analystes. Et selon des sondages locaux, le Mouvement pour la justice (PTI), le parti de l'ancienne star du cricket Imran Khan, pourrait gagner des sièges.

Le PPP avait remporté les dernières élections générales en 2008. Mais son bilan au pouvoir est entaché par des accusations de fraude, la montée en puissance des talibans et l'aggravation de la crise énergétique qui plombe le secteur industriel et affecte la vie de millions de gens au quotidien.

Le retour de Musharraf
Rentré le 24 mars 2013 d'exil à Dubaï pour participer aux élections, le général à la retraite Pervez Musharraf, à la tête du Pakistan de 1999 à 2008, espère capitaliser sur la nostalgie de son régime et le désenchantement face au gouvernement civil sortant. Mais M.Musharraf n'a pas été en mesure d'organiser de grands rassemblements depuis son retour au Pakistan et les analystes doutent de sa capacité à rebondir lors de ce scrutin. 


A un mois du vote, une étude du British Council, réalisée auprès de 5.271 personnes âgées entre 18 et 29 ans, indique que les jeunes préfèrent la charia ou la dictature à la démocratie. Quand il s’agit de choisir le meilleur type de régime pour le pays, 38% favorisent un pouvoir fondé sur l’application de la loi islamique, un tiers préfère un gouvernement militaire et seulement 29% opte pour la démocratie. Dans ce pays musulman, plus de la moitié de la population est âgée de moins de 25 ans.

Malgré ce climat pessimiste, ces élections sont considérées comme cruciales pour la stabilisation démocratique au Pakistan. Car pour la première fois depuis 1947, dans un pays en proie aux coup d'Etats militaires à répétition, un gouvernement civil élu vient de terminer un mandat complet de cinq ans.


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