L'étrange disparition du nouveau propriétaire chinois de l'aéroport de Toulouse-Blagnac
Soupçonné de corruption en Chine, l'homme d'affaires Mike Poon a soudainement disparu et démissionné de certaines de ses fonctions. A Toulouse, l'affaire intrigue et inquiète.
Où se cache Mike Poon ? Et pourquoi a-t-il soudainement disparu des écrans radars ? Depuis un mois et demi, le jeune milliardaire chinois est introuvable. Sa disparition soudaine à la mi-mai, sur fond d'enquête pour corruption, intrigue d'autant plus que l'homme d'affaires aux multiples casquettes est un personnage-clé du consortium chinois entré au capital de l'aéroport de Toulouse-Blagnac.
Des soupçons de corruption derrière la disparition
Mike Poon – alias Poon Ho Man de son nom chinois – ne s'est pas contenté de disparaître. Le 17 juin, il a aussi démissionné d'une de ses nombreuses fonctions. Il a quitté son poste de président-directeur général de la toute-puissante Calc, la China Aircraft Leasing Company, une entreprise de location d'avions détenue par l'Etat chinois et cotée en bourse à Hong Kong, premier client chinois d'Airbus. Le groupe a reconnu le lendemain qu'il était incapable de joindre son PDG. Son directeur financier a également claqué la porte.
Or, selon le South China Morning Post, quotidien de référence publié à Hong Kong et qui cite des sources connaissant bien le groupe, le nom de Mike Poon serait cité dans une enquête pour corruption visant l'une des clientes de Calc, la China Southern Airlines, la plus importante compagnie aérienne chinoise.
Mike Poon tente-t-il de fuir la justice, au moment où le président chinois, Xi Jinping, fait campagne contre la corruption des dirigeants des entreprises publiques ? Les rumeurs vont bon train.
"Mike Poon va bien", assure un proche contacté par Le Monde. "Il a préféré faire montre de réserve", explique cette source anonyme. "Mike Poon est parfaitement libre de ses mouvements", assure-t-elle, ajoutant qu'il "est en contact régulier" avec ses entreprises.
Car l'introuvable Mike Poon reste PDG du fonds d'investissement hongkongais Friedmann Pacific AM (FPAM), membre essentiel du consortium Symbiose qui a racheté pour 308 millions d'euros 49,99% des parts de l'Etat français dans la société de gestion Aéroport Toulouse-Blagnac (ATB). Et il préside également toujours Casil Europe, la société de droit français créée par le consortium Symbiose pour l'opération de rachat. A ce titre, il est encore l'un des six représentants des intérêts chinois au conseil de surveillance de l'aéroport.
Du pain bénit pour les opposants à la privatisation
Les opposants à la privatisation de la société de gestion ATB, qui demandent au gouvernement français d'annuler la vente, n'ont pas manqué de réagir à ce scandale naissant. "Les suspicions de corruption doivent amener le gouvernement à (...) renoncer à la vente, sans attendre le recours au Conseil d'Etat que nous avons déposé", affirme dans un communiqué le Collectif contre la privatisation de la gestion de l'aéroport Toulouse-Blagnac, qui défend les riverains de l'aéroport redoutant un accroissement des nuisances après la privatisation.
"Nous jugeons que Monsieur Poon a un rôle très important dans la vente. Les soupçons de corruption qui le visent nous interpellent, alors que nous pensions déjà que cette opération sentait le soufre", déclare sa présidente, Chantal Beer-Demander. L'avocat toulousain du collectif, Christophe Lèguevaques, joint par Reuters, pointe un dossier qu'il juge "suspect depuis le début". "Depuis les premiers jours, nous nous interrogeons sur l'intégrité de l'offre des Chinois, deux fois supérieure à celle des autres candidats", souligne-t-il
Le collectif ironise sur sa page Facebook. Il publie "un avis de recherche", promettant "un euro" symbolique de récompense à ceux qui retrouveront Mike Poon, et détourne un dessin des célèbres livres-jeux Où est Charlie ?
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Posted by Collectif contre la privatisation de la gestion de l'aéroport Toulouse on samedi 27 juin 2015
Des actionnaires français rassurants
A la mi-avril, Mike Poon avait donné une interview au quotidien régional La Dépêche du Midi, à Toulouse, dans laquelle il évoquait ses ambitions pour l'aéroport. Il assurait vouloir "favoriser le développement de vols internationaux et en particulier en provenance de l'Asie et de la Chine" et investir 1,4 milliard d'euros d'ici à 2020. Il ambitionnait de se spécialiser avec Casil Europe dans les infrastructures aéroportuaires en France et en Europe et comptait sur Toulouse pour démontrer son savoir-faire. Plusieurs sources proches du dossier font valoir que sa disparition risque de nuire à ces projets de développement.
Les actionnaires toulousains de l'aéroport prennent désormais leurs distances avec l'homme d'affaires chinois aux abonnés absents. "La démission de Monsieur Poon ne concerne pas directement l'aéroport de Toulouse", assure un porte-parole de l'aéroport. Pour Anne-Marie Idrac, ancienne secrétaire d'Etat aux Transports et présidente du conseil de surveillance de l'aéroport, sa démission de Calc n'a "aucun impact sur la gestion et l'activité de l'aéroport toulousain". "Nous n'avons aucune relation d'affaires avec Calc", insiste-t-elle, jointe par Reuters.
Le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, fait observer que Mike Poon "n'est pas actionnaire à titre personnel", mais que "c'est une personne morale qui est actionnaire", le consortium chinois. L'élu des Républicains préside également Toulouse Métropole, qui détient 5% du capital de la société d'exploitation. Alain Di Crescenzo, le président de la Chambre de commerce et d'industrie de Toulouse, deuxième actionnaire à hauteur de 25% de l'aéroport, assure à Reuters que "la transaction a été faite, les équipes et la gouvernance sont en place et les opérations, dans lesquelles n'intervient pas Mike Poon, sont lancées."
Le Premier ministre chinois, Li Keqiang, achèvera sa tournée en France jeudi prochain à Toulouse, au siège de l'avionneur européen Airbus, où il retrouvera son homologue, Manuel Valls. La disparition de Mike Poon s'y invitera-t-elle ? Voilà encore un autre mystère.
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