Reportage En Mongolie, la détresse des éleveurs nomades à cause des changements climatiques

Les steppes mongoles sont frappées de plus en plus souvent par un phénomène typique à la Mongolie, le dzud, qui se traduit par des étés très secs et des hivers très rigoureux. Le bétail ne résiste pas : près de sept millions d’animaux ont été perdus cette année, victimes du froid et de la neige.
Article rédigé par Sébastien Berriot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Sukhbaatar, éléveur mongol, a perdu près de la moitié de ses bêtes à cause des conditions climatiques. (SEBASTIEN BERRIOT / RADIO FRANCE)

Les nomades mongols ont une tradition d'accueil légendaire. C'est avec un large sourire que Sukhbaatar, 44 ans, nous accueille dans sa yourte, perdue au milieu de la steppe. Mais un sourire qui masque les pires difficultés que cet homme a jamais connu après 30 ans d'élevage. L'hiver a été dramatique, avec des températures à -45°C et des hauteurs de neige jusqu'à deux mètres.

"Cet hiver a été dur, avec un froid extrême et des chutes de neige fréquentes. Ça a duré quatre à cinq mois. Sur les 1 500 animaux que je possédais, j'en ai perdu 700, essentiellement des vaches, des moutons et des chèvres", raconte Sukhbataar. "Ils sont morts de faim, parce que l'herbe était recouverte par la neige et la glace, et nous n'avions plus de fourrage à leur donner. C'est une catastrophe naturelle. Qu'est-ce que nous pouvons faire ?", s'interroge l'éleveur.

Une inquiétude qui s'est amplifiée ces dernières années, alors que les steppes mongoles sont frappées de plus en plus régulièrement par un phénomène typique à la Mongolie, le dzud. Ce dernier se traduit par des étés très secs et des hivers de plus en plus rigoureux.

"J'ai été choquée de voir nos animaux morts"

Auparavant, de tels épisodes de dzud survenaient tous les dix ans. Désormais, c'est presque chaque année. Il a tellement neigé à la fin de l'automne, qu'en une seule nuit, une partie du troupeau de Sukhbaatar a été entièrement ensevelie par la neige. "Dès le mois de novembre, on a compris qu'on allait avoir un dzud difficile", confie sa femme Gandolgor. "Ça a été très soudain. Après une première nuit de tempête, on ne pouvait déjà pas ouvrir la porte de la yourte. J'ai été choquée de voir nos animaux morts. Vraiment, je ne connais pas les raisons de tout cela. Peut-être parce que les gens traitent mal la nature", poursuit-elle.

Dans la steppe, le spectacle est terrifiant. Notre chauffeur Tumur, lui aussi nomade, a du mal à cacher son émotion : "Ce dzud a été comme un boucher. Tous les champs sont couverts d'animaux morts. Les gens sont choqués, il y a eu beaucoup de larmes versées". Beaucoup de cadavres de chevaux et de moutons notamment, ce qui fait courir un risque sanitaire. Mais les éleveurs ont du mal à faire face.

"Le gouvernement a envoyé des moyens pour enlever tous les cadavres d'animaux, mais il y en a encore beaucoup dans les pâturages parce qu'au fur et à mesure que la neige fond, de nouveaux cadavres apparaissent, se lamente Munkhbat, un éleveur. C'est très difficile de gérer ça nous-mêmes. Les chevaux par exemple, on ne peut pas les enlever seuls. On a besoin de plusieurs personnes pour nous aider."

Munkhbat explique les difficultés que rencontrent les éleveurs face aux cadavres d'animaux. (SEBASTIEN BERRIOT / RADIO FRANCE)

"C'est un scénario tragique pour les éleveurs"

À une dizaine de kilomètres de la yourte de Munkhbat, on tombe sur le village principal du district où l'administration mongole fait ce qu'elle peut pour venir en aide aux nomades. Mais les moyens manquent. Les stocks de fourrage n'ont pas été suffisants cet hiver. Delgertsetseg, la représentante du comité local de citoyens, en est réduite à un triste constat. "Ici, nous n'avons pas de tsunami, les tremblements de terre n'arrivent pas souvent, mais nous avons le dzud. Imaginez, il a neigé 16 fois. C'est un scénario tragique pour les éleveurs, déplore-t-elle. La neige se transforme en une couche de glace très dure. Les bêtes n'ont pas la possibilité de la briser. Même avec des machines, c'est difficile."

"Les animaux ne peuvent pas accéder à l'herbe en dessous et ils meurent de faim ou bien congelés. Dans ce secteur de Kharaat, nous avons perdu 31 338 têtes de bétail. Ça représente 44,5% des élevages."

Delgertsetseg, représentante du comité local de citoyens

à franceinfo

Avec l'arrivée du printemps, le drame continue pour les éleveurs mongols. Il y a même en ce moment un pic de mortalité. "Maintenant, c'est le printemps, et la nouvelle herbe commence à repousser. Les animaux les plus petits comme les moutons peuvent recommencer à se nourrir après l'hiver. Mais, avec moins d'un centimètre d'herbe, les gros comme les chevaux ont encore du mal à brouter et ils continuent de mourir", explique Bazarsad, le conseiller agricole du village.

Dans les steppes mongoles, il y a notamment beaucoup de cadavres de chevaux et de moutons ce qui fait courir un risque sanitaire. (SEBASTIEN BERRIOT / RADIO FRANCE)

L'élevage nomade en sursis ?

Cette évolution du climat remet en cause l'élevage nomade, activité pourtant ancestrale en Mongolie. En effet, après cet hiver meurtrier, beaucoup d'éleveurs se retrouvent démunis. Enkhtuvshin a perdu 250 animaux sur un élevage de 350. "Ça va prendre au moins trois ou quatre ans pour reconstituer notre cheptel et arriver à nouveau à 350 bêtes. C'est un énorme choc financier pour nous. Nous manquons maintenant de tout. Nous n'avons plus de chèvres à peigner pour la vente de cachemire. Nous n'avons plus d'argent. L'État essaie de nous aider, mais ce n'est pas suffisant. Nous n'allons pas pouvoir survivre en tant qu'éleveurs", confie l'éleveur, désemparé.

Avec ces dzuds à répétition, certains nomades préfèrent abandonner, même si cela fait très mal. C'est le cas de Bat-Ochir, 50 ans, aujourd'hui sans emploi. "Le métier d'éleveur devenait de plus en plus difficile à cause du climat. Alors j'ai décidé de céder mes bêtes à mon jeune frère, mais ma vie d'éleveur me manque. J'avais des liens avec mes bêtes. J'essaye d'aller voir mon frère le plus souvent", témoigne-t-il.

Bat-Ochir est resté au village, mais d'autres nomades qui abandonnent l'élevage décident eux de partir pour la ville et viennent  grossir les bidonvilles de la capitale mongole Oulan-Bator. "La nature, ici, est devenue l'ennemi des éleveurs ! C'est comme ça", nous confie amèrement l'un d'entre eux.

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