: Enquête Birmanie : comment la junte militaire met le pays à feu et à sang
Depuis son coup d'Etat, il y a un an, la junte militaire tente d'écraser toute tentative de rétablir le système démocratique. Destruction de villages, massacre de civils, bombardements… Les Révélateurs de francetv ont enquêté sur cette escalade de la violence.
Quand la junte a pris le pouvoir par la force en Birmanie, le 1er février 2021, arguant des "irrégularités" lors les élections législatives remportées par le parti d'Aung San Suu Kyi, elle a immédiatement fait face à une vague de contestation. Des centaines de milliers de Birmans sont descendus dans les rues, quelques jours plus tard. Le mouvement de contestation a cependant laissé la place à un violent conflit armé entre rebelles et junte militaire.
Un an après cette prise de pouvoir par les militaires, le constat documenté par l'opposition, les médias locaux et des experts est accablant : des dizaines de villages brûlés*, 1 500 morts* et plus de 300 raids aériens* depuis le mois de mars 2021 en Birmanie. Ces exactions se déroulent à l'abri des regards, dans les zones reculées d'un pays déjà difficile d'accès pour les journalistes étrangers et les ONG.
Grâce aux images amateur filmées dans les villages et sur les lignes de front, la rédaction des Révélateurs de francetv a pu analyser les méthodes de la junte. D'autres organismes comme Myanmar Witness, un observatoire financé par le gouvernement britannique, participent à la collecte de photos et de vidéos. Une fois authentifiées, elles permettent de documenter les premiers mois d'une guerre civile qui semble sans issue.
"David contre Goliath"
Cette guerre civile oppose la junte à une constellation de groupes rebelles constitués de guérilleros aguerris, mais aussi de jeunes manifestants inexpérimentés. Nouvellement unifiée autour des démocrates en exil et leur Gouvernement d'unité nationale (NUG), elle prend racine dans des groupes anciens issus de minorités ethniques, rompus aux techniques de guérilla. Parmi eux, les forces de l'Armée pour l'indépendance kachin (KIA), l'Armée karen de libération nationale (KNLA), l'Armée nationale chin (CNA) ou encore l'Armée de l'Arakan, consituée par la minorité musulmane des Rohingyas.
Ces groupes actifs depuis plusieurs dizaines d'années se sont alliés à la structure militaire mise en place le 5 mai 2021 par le gouvernement en exil, les Forces de défense du peuple (PDF). L'objectif est de rassembler toutes les forces opposées à la junte pour affronter la Tatmadaw, la 11e plus grande armée au monde, dotée d'équipements bien plus sophistiqués.
"La junte est une armée plutôt moderne et dispose de quantités significatives d'artillerie, de blindés, de moyens de transport et d'une force de frappe aérienne avec des avions de chasse, des bombardiers et des hélicoptères, c'est donc David contre Goliath", détaille l'expert en défense Anthony Davis auprès du média Radio Free Asia*. Selon ses estimations, l'armée birmane disposerait de 350 000 hommes, contre 75 000 environ pour la rébellion. Cet avantage matériel et humain ne lui a pas encore assuré d'écraser la résistance. Elle mobilise donc au fil des semaines des équipements de plus en plus destructeurs.
Stratégie de la terre brûlée
Dans le cadre de cette guerre civile, l'armée birmane mène des "opérations militaires de nettoyage", dont l'objectif est de terroriser les populations jugées proches de rebelles, en incendiant des villages ou en les bombardant, voire en tuant des civils.
Cette méthode violente n'est pas nouvelle. Elle avait été largement documentée dans le cadre des persécutions subies par la minorité musulmane des Rohingyas, avec 619 localités incendiées* dans leur région, l'Etat du Rakhine, entre 2017 et 2020.
Le 24 décembre 2021, 35 civils ont ainsi été tués par la junte dans le village de Moso (Etat de Kayah, est) et leurs corps brûlés. Ce massacre, documenté par de nombreuses images diffusées sur les réseaux sociaux, a suscité une vague de réactions de la communauté internationale.
A ces exactions s'ajoutent des raids aériens de plus en plus nombreux dans des zones parfois densément peuplées. Il y en aurait eu "au moins 300" depuis mars 2021, selon un décompte de l'opposition et du média birman (éxilé en Thaïlande) The Irrawaddy*.
Des images amateur analysées par les Révélateurs de francetv montrent des bombardements sur la ville de Loikaw les 8 et 11 janvier. Environ 40 000 des quelque 50 000 habitants de cette localité de l'Etat de Kayah ont dû prendre la fuite, selon l'ONG Karenni Human Rights Group, citée par un The Irrawaddy*. A moins de 200 km au sud de Loikaw, c'est un hôpital géré par la rébellion* qui a été visé par des bombardements le 12 janvier.
Des rebelles armés avec les moyens du bord
Cette "utilisation manifeste de la force aérienne et le ciblage des villages montre bien qu'ils [les militaires de la junte] ne peuvent plus gagner au sol", analyse la spécialiste américaine Miemie Winn Byrd, citée par The Irrawaddy*. Selon elle, ce déploiement est par ailleurs révélateur d'une forme de désespoir puisque qu'il coûte très cher à la junte, alors qu'elle est à court de moyens du fait des sanctions internationales et du boycott des entreprises qui lui sont liées en Birmanie.
Face à la junte, des dizaines de milliers de rebelles tentent de gagner du terrain avec les moyens du bord. Dans un effort de mise en scène et de communication, des combattants s'affichent sur les réseaux sociaux avec des drones* ou des armes fabriquées à l'imprimante 3D. Mais ces équipements sont loin d'être courants. L'essentiel de l'arsenal que la rédaction des Révélateurs de francetv a pu répertorier est constitué de fusils de chasse et d'armes artisanales. A de plus rares occasions, les rebelles s'affichent avec de véritables armes de guerre : fusils M-16 et AK-47, lance-roquettes voire fusils anti-matériel.
Ces armes, quand elles n'ont pas été volées à la junte grâce à des avancées sur le terrain, leur coûtent très cher. L'AFP rapporte ainsi que les prix ont doublé depuis le printemps 2021. Un fusil M-16 s'échangeait en décembre 2021 contre 4 400 dollars, une AK-47 contre 5 400 dollars. Pour remporter la bataille, la rébellion compte donc sur les dons et le soutien de la population, mais aussi sur sa capacité à rallier les soldats de la junte à sa cause. En septembre 2021, l'opposition assurait avoir été rejointe par environ 1 000 policiers et 1 500 soldats déserteurs*.
La stratégie comporte aussi un volet économique : appeler au boycott des entreprises dont la junte dépend financièrement, couper les axes de communication ou les antennes téléphoniques.
Chine et Russie, soutiens de la junte
Face à cette escalade de la violence et ces attaques contre les civils, la communauté internationale multiplie les déclarations mais peine à prendre des mesures concrètes, comme un boycott international des ventes d'armes à la Birmanie, voire un embargo plus large.
Mais la junte peut s'en prémunir grâce à de puissants alliés. "Les Etats-Unis, l'Union européenne et le Royaume-Uni ont mis en place des sanctions unilatérales contre la Birmanie. Mais personne n'a présenté de projet de résolution au Conseil de sécurité. Pourquoi ? Par peur d'un véto de la Chine et de la Russie", s'indigne l'ONG Human Rights Watch*, dans un texte publié le 25 janvier.
La Chine et la Russie sont en effet les deux principaux fournisseurs d'armes de la Birmanie, comme le montrent les données ci-dessous, représentant ses achats d'armes auprès de pays étrangers entre 2017 et 2020.
Si les données publiques sur ces achats en 2021 ne sont pas disponibles, les transferts d'armes continuent depuis le coup d'Etat. Le 24 décembre 2021, la Chine a transféré un sous-marin militaire* de type 035 à la junte et un mois plus tard, le 24 janvier, un navire russe a été repéré dans le port de Rangoun (Yangon) avec à son bord des véhicules de reconnaissance blindés de type BRDM-2. Difficile d'imaginer, dans ces conditions, une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU en faveur d'un boycott des ventes d'armes à la Birmanie.
* Les liens suivis d'un astérisque conduisent vers des contenus en anglais.
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