Présidentielle au Brésil : ce qu'il faut retenir de la courte victoire de Lula face à Jair Bolsonaro
L'ancien président a prôné "la paix et l'union" après sa victoire contre son rival d'extrême droite. Ce dernier n'a toujours pas réagi, faisant craindre une transition démocratique compliquée.
C'est un come-back historique. Au Brésil, l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva a remporté le second tour de l'élection présidentielle, dimanche 30 octobre, devançant son rival Jair Bolsonaro de 1,8 point. La figure de la gauche brésilienne a recueilli 50,9% des voix, tandis que le président sortant d'extrême droite a récolté 49,1% des suffrages, d'après les résultats définitifs du Tribunal supérieur électoral*.
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Les résultats, très serrés, peignent le portrait d'un Brésil plus polarisé que jamais. Acclamé par une impressionnante marée rouge de centaines de milliers de partisans à Sao Paulo, Lula a prôné la "paix et l'unité". Il s'est toutefois dit "inquiet" du silence de son adversaire, qui n'a toujours pas reconnu sa défaite. Voici ce qu'il faut retenir des résultats du second tour, où plus de 156 millions d'électeurs étaient appelés aux urnes.
Des résultats serrés
La courte avance de Lula était prévue par les sondages, mais elle a tenu en haleine les soutiens du président élu toute la soirée. A 77 ans, l'ancien chef de l'Etat est de retour au pouvoir, notamment grâce à sa victoire dans l'Etat-clé du Minas Gerais, situé dans le sud du pays, avec 50,1% des voix. Les résultats définitifs, publiés peu avant minuit (heure de Paris), ont provoqué une vague de soulagement chez les partisans de Lula, réunis dans les rues des grandes villes, particulièrement à Rio et à Sao Paulo.
Finalement, l'écart est le plus serré entre deux finalistes de la présidentielle depuis le retour à la démocratie après la dictature militaire en 1985. "C'était vraiment le scénario redouté, commente Christophe Ventura, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste du sujet. Les deux candidats terminent au coude-à-coude, avec seulement deux millions de voix d'écart. Cela montre à quel point le pays est fracturé."
Des électeurs "retardés"
Si aucun incident violent n'est venu entacher le scrutin, le second tour a été marqué par une polémique autour de barrages filtrants de la Police routière fédérale qui ont retenu les électeurs. Des soutiens du Parti des travailleurs (PT) de Lula ont dénoncé dans la journée des contrôles effectués dans les zones rurales du nord-est du pays, fief de l'ancien président de gauche. Selon le quotidien Folha de Sao Paulo*, plus de 500 barrages filtrants visant à contrôler des autocars avaient été enregistrés à la mi-journée dans tout le pays, 70% de plus qu'au premier tour.
L'ONG Human Rights Watch avait fait part dans un communiqué de sa "grande inquiétude", alors que le hashtag #Deixeonordestevotar (#Laissezlenordestvoter) est devenu viral sur les réseaux sociaux. Le président du Tribunal supérieur électoral, saisi de la question, a finalement annoncé la levée des opérations en fin de journée, expliquant que les opérations "avaient retardé l'arrivée des électeurs", tout en refusant de décaler l'heure de fermeture des bureaux de votes.
Un discours rassembleur de Lula
Lula a prôné "la paix et l'union" lors de son discours de victoire prononcé depuis un hôtel de Sao Paulo. "Il n'y a pas deux Brésil, nous sommes un seul peuple, une seule nation", a affirmé le vainqueur de la présidentielle, qui a expliqué vouloir gouverner pour les "215 millions de Brésiliens et Brésiliennes, pas seulement ceux qui ont voté pour moi". Un discours rassembleur, alors que le pays est particulièrement divisé après une campagne violente et quatre années de remarques populistes et d'invectives de la part de Jair Bolsonaro.
"C'était important qu'il prenne la parole sur ce ton, pour ne pas polariser plus les choses", explique Frédéric Louault, codirecteur du Centre d'étude des Amériques à l'Université libre de Bruxelles.
"C'était aussi un discours dirigé vers ses opposants, avec qui il va devoir négocier."
Frédéric Louault, spécialiste du Brésilà franceinfo
Il faut dire que Lula ne dispose pas de majorité au Congrès. "Le paysage politique est très morcelé, une vingtaine de partis se partagent les sièges, ce qui va rendre les négociations complexes", ajoute Christophe Ventura. Un exercice que connaît le président élu, qui "a été soutenu par un panel très large, y compris des politiques de centre droit".
Après avoir affirmé que le Brésil était "de retour" sur la scène internationale, Lula a également évoqué l'environnement, alors que la déforestation et les incendies ont fortement augmenté sous le mandat de Jair Bolsonaro. "Le Brésil est prêt à jouer à nouveau les premiers rôles dans la lutte contre le changement climatique. Le Brésil et la planète ont besoin d'une Amazonie en vie", a-t-il lancé.
Le silence pesant de Jair Bolsonaro
Si plusieurs des alliés du président sortant ont reconnu la victoire de Lula, Jair Bolsonaro est pour l'instant resté silencieux. Les lumières du Palais de l'Alvorada se sont éteintes tôt dimanche soir et selon le quotidien O Globo*, le président défait aurait refusé toute visite après le résultat et serait allé se coucher. Le leader de 67 ans avait laissé entendre pendant la campagne qu'il pourrait ne pas respecter les résultats du scrutin, faisant craindre aux observateurs une situation similaire à la prise du Capitole de Washington aux Etats-Unis. Il avait même, comme le rappelle le New York Times*, affirmé qu'il n'envisageait que trois issues à cette élection présidentielle : "gagner, être tué ou être arrêté".
Seul président sortant à être battu dans les urnes depuis l'instauration de la République en 1985, Jair Bolsonaro peut cependant se targuer de voir son mouvement s'enraciner. "Il vient de perdre la présidentielle, mais le bolsonarisme n'a jamais été aussi fort dans ce pays, souligne Christophe Ventura. Il contrôle désormais 14 Etats contre 13 pour Lula et il a fait élire de nombreux députés au Congrès." Les alliés de Jair Bolsonaro ont aussi remporté des élections de gouverneurs qui se tenaient ce dimanche. C'est notamment le cas de Tarcisio de Freitas dans l'Etat de Sao Paulo, le plus peuplé et riche du pays.
En quatre ans, "il a structuré son mouvement politique, qui a déporté tout le débat de la campagne vers la droite et a largement contrôlé l'agenda électoral, forçant Lula a modérer ses positions", ajoute Frédéric Louault. Au centre du jeu politique, Jair Bolsonaro doit désormais "faire un choix entre contester les élections ou capitaliser et devenir le principal opposant de Lula", selon Christophe Ventura.
* Les liens signalés par un astérisque renvoient vers des articles en anglais.
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