Attaque à Toronto : on vous explique qui sont les Incels, ces célibataires misogynes dont se revendique le suspect
Dans un message posté sur Facebook juste avant son attaque, Alek Minassian faisait référence aux Incels, une communauté se définissant comme "célibataires involontaires". Il a fait 10 morts et 14 blessés, majoritairement des femmes.
Une camionnette qui fonce sur des passants dans une artère très fréquentée : par beaucoup d'aspects, le mode opératoire de l'attaque de Toronto, qui a fait 10 morts et 14 blessés lundi 23 avril, rappelait celui des attentats terroristes de Nice, Londres ou Barcelone, inspirés par le groupe terroriste Etat islamique. Pourtant, les premiers éléments de l'enquête suggèrent un tout autre scénario.
Le chauffeur du véhicule, Alek Minassian, arrêté sur place et inculpé mardi, n'était pas connu des services de renseignement. Son acte "ne semble aucunement lié à la sécurité nationale", expliquait mardi le ministre de la Sécurité publique canadien, écartant la piste terroriste. Les premiers éléments de l'enquête, et notamment la découverte d'un "message énigmatique" posté par le suspect sur Facebook, suggèrent une autre explication : la rancœur envers les femmes, nourrie par une communauté de célibataires aux idées radicales. Franceinfo vous explique pourquoi cette piste est prise au sérieux.
Quels éléments laissent penser que l'attaque visait des femmes ?
Cette piste est née de la découverte d'un message posté, quelques minutes avant l'attaque, sur la page Facebook d'Alek Minassian. Si la police canadienne s'est contentée d'évoquée "un message énigmatique", Facebook – qui a effacé le profil du suspect – a confirmé qu'il faisait référence à une "rébellion des Incels". Une référence à un mouvement, né sur internet, d'hommes jugeant les femmes responsables de leur célibat prolongé.
Lors d'une conférence de presse, mardi, l'enquêteur Graham Gibson a assuré n'avoir aucune preuve formelle que le tueur visait les femmes. Mais il a reconnu que cette hypothèse "ferait partie de l'enquête", révélant que les victimes de l'attaque étaient "majoritairement des femmes", dont l'âge va "de la mi-vingtaine à environ 80 ans". La possible misogynie du tueur n'est pas pour autant la seule piste. Alek Minassian est décrit par ses anciens camarades de classe comme un solitaire "socialement mal à l'aise" et souffrant de trouble obsessionnel compulsif.
En quoi consiste le mouvement des Incels, auquel appartient le suspect ?
Le message posté par Alek Minassian sur Facebook – et capturé par plusieurs médias américains dont Buzzfeed – reprend tout un vocabulaire obscur pour les non-initiés. "La rébellion des Incels a déjà commencé !", écrit le jeune homme de 25 ans. "Nous renverserons tous les Chads et les Stacys !" Ce qui le désigne comme un membre de la sous-communauté des Incels, contraction en anglais de "célibataire involontaire".
Un terme qui illustre bien l'idée directrice de ce mouvement informel de jeunes hommes hétérosexuels, né sur des sites comme Reddit ou 4chan : que leur célibat prolongé est une souffrance, dont les femmes sont les uniques responsables. Dans leurs espaces de discussion, elles sont souvent décrites comme des "salopes", et uniformément comme des êtres hostiles et superficiels, ne s'intéressant qu'au physique des hommes. Une misogynie qui dépasse la simple question du couple : "les femmes ne devraient pas avoir le droit d'occuper des positions de pouvoir" et "protégeriez-vous une femme victime de viol ?" font partie des sujets les plus consultés sur Insels.me, un forum dédié à cette communauté.
Comparant la "discrimination" fondée sur le physique au racisme, les Incels se définissent en opposition aux "Chads" (un prénom populaire aux Etats-Unis), les hommes qu'ils considèrent comme injustement populaires et bien dans leur peau, et détestent les "Stacys", les femmes en couple avec les "Chads". Deux catégories explicitement visées par Alek Minassian dans son message.
Leurs idées ont-elles déjà inspiré des actes violents ?
La haine profonde des femmes exprimée par les internautes se revendiquant comme Incels bascule parfois dans l'apologie de la violence. "Les médias et les normies [les non-Incels] nous rendent responsables de l'attaque alors qu'ils devraient blâmer toutes les femmes qui ont ignoré Alek", écrit un membre influent de Incels.me, un forum dédié à cette communauté. Celle-ci se retrouve aussi sur le site communautaire Reddit, qui a fermé, l'an dernier, le principal forum d'Incels qu'il abritait en vertu de l'interdiction des contenus appelant à la violence. Mais, reformé sous un autre nom, il continue d'être actif. Depuis l'attaque, on y trouvait aussi bien des messages blâmant les femmes que d'autres appelant à ne pas faire d'amalgame entre le suspect et la communauté dont il se revendiquait.
Sur Incels.me, certains membres s'approprient les actes d'auteurs de tueries de masse – "vous ne voyez JAMAIS de beaux garçons ouvrir le feu dans des écoles" – ou de meurtres de jeunes femmes et de jeunes hommes qu'ils assimilent à des "Stacys" et des "Chads". Mais cette idéologie avait surtout été mise en lumière après une autre tuerie, commise par Elliot Rodger à Isla Vista, en Californie, en 2014. Il avait poignardé à mort trois colocataires, puis tué par balles trois femmes depuis sa voiture, avant de se suicider. Avant son passage à l'acte, il avait mis en ligne une vidéo dans laquelle il racontait son amertume d'être vierge à 22 ans et sa haine des femmes : "Je massacrerai jusqu'à la dernière blonde gâtée pourrie et prétentieuse que je verrai, lançait-il. Toutes ces filles que j'ai tant désirées, elles m'ont toutes rejeté et regardé de haut comme si j'étais un sous-homme."
Le meurtrier, dont le nom est banni de certains forums d'Incels, reste adulé par une partie de la communauté sous le nom de Saint Elliot. "Gloire au gentilhomme suprême Elliot Rodger", concluait Alek Minassian dans son message Facebook, lundi, quelques minutes avant de foncer dans la foule.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.