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L'abandon contraint d'enfants une pratique toujours en cours en Grande-Bretagne

Au siècle dernier, arracher des enfants à leur famille et les expédier le plus loin possible était assez répandu. Au prétexte de les civiliser, de les convertir, de les protéger, on se servait d'eux comme main d'œuvre d'appoint, comme agents de peuplement, comme variable d'ajustement, peu importe leur histoire.
Article rédigé par Frédérique Harrus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Drapeaux australien, britannique et canadien (ARTUR WIDAK / NURPHOTO)

Pensionnats autochtones
Le Canada n'en finit pas de régler ses comptes avec les pensionnats autochtones. Ces institutions dans lesquelles les enfants indiens étaient systématiquement envoyés au prétexte de les «civiliser» dès leur plus jeune âge, coupés de leur famille pendant de longues années, étaient franchement peu accueillantes. Les enfants y étaient maltraités, souvent mal nourris, abusés sexuellement, dans des conditions de vie très rudes.

Au programme, évangélisation et assimilation de ces premiers occupants. Dans un déni absolu d'une culture propre et préexistante, l'intention était de leur faire embrasser définitivement les fondamentaux culturels anglo-saxons et cultuels chrétiens, forcément les seuls qui vaillent.

Générations volées
L'Australie n'a pas fait mieux avec son peuple premier, les aborigènes. Pendant un siècle, de 1869 à 1969, les colons blancs de l'île-continent, visent l'extinction par absorption des premiers occupants. Plutôt que de s'attaquer directement aux aborigènes, ils ciblent les enfants métis, généralement issus d'une mère aborigène et d'un homme blanc.

Ceux-ci sont retirés manu militari à leur famille et sont ensuite déportés vers d’autres Etats, placés dans des institutions religieuses ou confiés à des parents adoptifs blancs, sans recours possible des familles. On estime à plus de 100.000 ces enfants ayant subi cet arrachement. Ils sont désormais qualifiés de «générations volées». Cette politique s’est achevée seulement à la fin des années 60 et a occasionné un traumatisme massif.

La fille d'un de ces enfants enlevés en a fait un livre qui a connu un immense succès en Austalie et dont a été tiré un film

Le point commun entre ces deux pays, outre cette politique de retrait brutal des enfants, c'est le conquérant initial: la Grande-Bretagne. Or, à y regarder d'un peu plus près, on retrouve là-bas aussi, deux périodes qui rappellent furieusement les faits précédemment (d)énoncés.

En Grande-Bretagne même
Le Royaume-Uni a ainsi, lui-même, entre 1920 et 1967, envoyé 150.000 jeunes Britanniques au Canada, en Afrique du Sud ou en Australie. Agés de 3 à 14 ans, issus de milieux défavorisés, ces enfants furent ramassés dans des orphelinats, ou enlevés à leurs parents, et envoyés par bateau au-delà des mers. Aux parents, on ne donnait guère d'explications, aux enfants, on disait qu'ils étaient orphelins. Derrière la manœuvre brutale, un programme d'Etat, le Migrant Children, dont le but était de créer, grâce à ces enfants volés aux familles britanniques pauvres ou monoparentales, «une bonne souche blanche», en Australie notamment. Ces enfants seuls ou fratries éclatées fournissaient également une main d'œuvre bon marché dans les fermes et grands domaines des colonies, avec force maltraitance et abus divers à la clef.

C'est d'ailleurs cette même logique qui a prévalu en France quand les autorités se sont mises à transplanter en métropole des enfants réunionnais, pas forcément orphelins, de 1963 à 1981. Et on a pu constater les mêmes conséquences et les mêmes dégâts que sur les autres enfants ainsi déracinés. 

On peut ajouter à cela les retraits et dons à l'adoption systématiques, par l'église catholique anglaise, d'un demi million de bébés, issus d'adolescentes et de (jeunes) femmes non mariées.

Il est toujours possible d'arguer autres temps, autres mœurs, tous ces actes de retrait forcé d'enfants se passant au début du XXe siècle. Et de rajouter que des actes de contrition et des excuses d'Etat ont été (plus ou moins) formulés dans les pays concernés, y compris au Royaume-Uni.

Retrait et chape de plomb
Là où les choses se compliquent sérieusement, c'est quand on se rend compte que la Grande-Bretagne continue de nos jours à retirer des enfants à leurs parents. Deux documentaires, un télévisuel français et l'autre radiophonique belge, s'en sont fait l'écho. Ils mettent au jour la pratique du retrait brutal d'enfants à leur famille, ou même directement à l'accouchement, pour se prémunir de toute affaire d'enfants battus voire pour satisfaire les quotas d'adoption. Les services sociaux n'invoquent plus la misère matérielle, mais une maltraitance physique ou psychologique, supposée, voire à venir, pour justifier le retrait des enfants.

Là encore, des familles ravagées et sans recours, là encore des retraits pratiquement pas ou peu motivés, là encore des fratries dispersées, comme l'expliquent les auteurs du documentaire français. Des centaines de femmes (ou de familles) sont ainsi accusées de «future négligence» ou «futur dommage émotionnel» sur leur enfant, dès les premiers jours de la grossesse… On leur enlève le nourrisson à la naissance et on leur retirera ainsi chaque nouveau bébé, sur la seule foi d’un psychiatre payé par les services sociaux, ou sur un simple soupçon. L'enfant est ensuite donné à l'adoption de manière définitive et irréversible.

De plus, ces actions sont assorties d'une interdiction totale d'en parler, sous peine d'emprisonnement en cas de non-respect, presse comprise. L'ordre de se taire (gag order), aussi appelé «l'ordre de baillonnement» est une injonction au silence et ne peut être levée au nom de la liberté d'expression, qui s'éteint de facto.

Il devient impossible de vérifier le nombre de personnes touchées, le nombre d'enfants retirés, sachant que chaque comté touche de l'argent par enfant retiré... Le Royaume-Uni peut ainsi répondre à la demande d'adoption, mais dans quelles conditions! Des jeunes femmes enceintes se sentant sur le point de tomber sous le coup d'arrêt d'un juge ou des services sociaux se résolvent à quitter le pays pour pouvoir avoir leur bébé en toute sécurité et être sûres de le garder. Il existe même plusieurs cas de familles étrangères résidant en Angleterre qui se sont vues retirer leurs enfants. 

La seule chose impossible à prédire est quand le prochain scandale des enfants britanniques arrachés à leurs parents pourra éclater... 

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