Centrafrique : une élection en attendant la réconciliation
Il y a des fruits, des piles de vêtements, de l’agitation... Tout est là, et pourtant rien n’est comme avant. C’est ce que dit Igor, en descendant de sa moto. Comme beaucoup de chrétiens, il a fui les affrontements en 2013. Parmi ses proches, 20 personnes sont mortes.
Igor a longtemps hésité avant de revenir faire ses courses ici, au PK5, quartier populaire de Bangui où vit une importante communauté musulmane. Igor revient pour la première fois depuis 2 ans : "C'est le plus grand marché de Bangui et même de toute la Centrafrique. Bon l’ambiance n’est plus la même, il y a encore une certaine méfiance, raconte-t-il. Je connais pratiquement tous les commerçants musulmans qui sont là, mais moi je me méfiais, toutes nos maisons ont été brulées. Mais les gens vont se réconcilier, parce qu’on est condamné à vivre ensemble."
Ne pas parler des sujets qui fâchent
Pour l’instant, les communautés vivent surtout les unes à côté les unes des autres. "C’est chez lui que j’achète mes mèches pour mes cheveux. On cause, on discute on parle de tout et de rien… ", dit cette cliente. Et on n’évoque surtout pas les affrontements, témoigne Moussa, le marchand. "Quand les clients viennent, on ne parle pas de ça. Du côté musulman comme du côté chrétien, il y a eu des morts, c’était la guerre, mais les gens qui ont perdu leurs proches se taisent ." Car les règlements de compte continuent et les groupes armés sont toujours là. A l’entrée du quartier PK5, quelques jeunes assis surveillent le périmètre. Ibrahim Abdel Fatha est musulman, sa maison a brûlé. Pour lui, pas question de déposer les armes. Pas question non plus de sortir de l’enclave musulmane : "C'est trop dangereux, parce que il y a trop de bandits. Ma mère est morte, mon père est mort, tout… Est ce qu’il y a vraiment une réconciliation possible ? Non, il n'y a pas de réconciliation possible ."
Et si Ibrahim, comme 95% de la population, s’est inscrit sur les listes électorales, c'est parce qu’il veut voter pour un candidat musulman. Pourtant, les autorités religieuses continuent d'espérer que l'élection présidentielle va changer la donne. L’archevêque de Bangui a organisé une marche pour la paix, les prêtres et les imams appellent à aller voter. Abderhamane Saoudi est porte-parole de la communauté musulmane de Bangui : "C’est les élections présidentielles. Après, le désarmement va se faire, ça va désarmer les cœurs. L’autorité de l’Etat a cessé de fonctionner, donc on a besoin d’un Etat légitime, d'une élection. Ce n'est pas totalement fini, la crise. Tant qu’il y aura des gens armés, on ne va pas dire que c’est fini... "
La sécurité, défi prioritaire
Les milices chrétiennes anti-balaka et les bataillons combattants de la Seleka se sont divisés en une multitude de petits groupes qui, dans l’ensemble du pays, coupent les routes, rackettent les conducteurs, pillent les maisons, et organisent des trafics de café ou de diamants. Quel que soit le vainqueur de l’élection, le premier défi du président, ce sera d’assurer la sécurité, dans un pays ou le système judiciaire est quasiment inexistant, avec des magistrats sans budgets et une police sans moyens.
Jonathan Pednault, expert d’Amnesty International en Centrafrique, explique : "On s’est retrouvé en septembre dernier avec plus de 600 prisonniers qui se sont échappés de la principale prison du pays. Si on leur donne un signal très clair [qu'ils iront] devant les tribunaux, peut-être qu’on aura des groupes armés plus raisonnables. Ce sera maintenant une question de voir si le nouveau gouvernement les considèrera comme tel ou s'il préfèrera prendre la voie plus facile : la négociation avec ces groupes armés, qui permettrait une impunité pour tous ces graves crimes commis sur le territoire centrafricain ."
L’autre inconnue, c’est le rôle que va jouer la communauté internationale. En attendant le résultat des élections présidentielles et législatives, les programmes d’aides humanitaires et de développement ont été en grande partie suspendus.
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