Centrafrique : au cœur d'une tragédie, les civils témoignent de la barbarie
Femmes et enfants ne sont pas épargnées. Entre les exactions menées par les miliciens chrétiens et celles des anciens rebelles musulmans, les civils payent le plus lourd tribut : viols, exécutions, et fuite éperdue dans la brousse. Témoignages.
D'un côté, les ex-rebelles Séléka, intégrés dans les nouvelles forces de sécurité centrafricaines, musulmans. De l'autre, les anti-balakas ("anti-machettes"), paysans et chrétiens. Au milieu, les populations civiles payent le plus lourd tribut dans cette série d'accrochages et de représailles qui secouent la Centrafrique ces dernières semaines.
Dernière attaque en date, celle de jeudi 5 décembre, à Bangui, la capitale. Un nouvel épisode d'une tragédie que racontent les habitants de ce pays à feu et à sang, victimes d'une administration inexistante, d'une misère chronique et d'une criminalité endémique.
Les chrétiens subissent la terreur des ex-Séléka
Début octobre, un religieux catholique centrafricain constatait déjà : "Nous sommes le pays le plus pauvre du monde, nous connaissons la violence et la dictature depuis des décennies. Mais là, on dépasse toutes les limites dans la souffrance", disait-il à Paris Match. A Bossangoa, dans le nord-est du pays, une jeune femme et son bébé ont été blessés par des tirs de kalachnikov. Un homme a eu le poignet traversé par une balle. Pélagie, 25 ans, raconte à l'hebdomadaire : "Certaines femmes ont été violées par tout un groupe de rebelles, devant leur mari et leurs enfants. (...)Si le mari dit un seul mot, les Séléka l'exécutent."
Deux mois plus tard, à plus de 300 kilomètres de là, un jeune homme en fuite lance à l'AFP : "Les gens de la Séléka tuent n'importe comment." De Damara, il a prévu de marcher vers la capitale, Bangui, encore distante d'une cinquantaine de kilomètres. Les villes et villages chrétiens désertés portent les stigmates des atrocités commises en leur sein, comme à N'Zéré, où France 3 a filmé 300 cases brûlées et pillées. Les humanitaires de la Croix-Rouge ramassent des cadavres, fusillés, noyés... Rufin Danwe confirme : des hommes de la Séléka l'ont emmené en pick-up avec d'autres personnes sur le pont de Katenga, leur ont cogné la tête contre le parapet avant de leur attacher les pieds et les mains et de les jeter à l'eau.
Face à ces exactions, des milices paysannes se sont formées dès septembre. Elles portent ce nom : anti-balakas, pour "anti-machettes". Mais leurs membres s'adonnent, en représailles, à des violences comparables à celles de leurs ennemis.
Les anti-balakas tuent des musulmans
"Vous voyez là, c'est ma petite fille de 4 ans avec toutes ces blessures. Ce sont des anti-balakas qui lui ont fait ça. Ils lui ont même coupé trois doigts..." Mahmoud, un éleveur musulman de Boali, à 80 km au nord de Bangui, raconte à France Info l'attaque survenue dans la nuit de lundi à mardi. La cible : la communauté peule. Treize personnes de sa famille ont été tuées cette nuit-là, raconte-t-il depuis le centre pédiatrique de Bangui, où des enfants "traumatisés" reçoivent des soins intensifs. Toujours à France Info, un autre père, Boubakar, raconte comment sa femme, enceinte, a accouché prématurément après avoir reçu une balle dans la jambe. Dans un village proche, une autre femme enceinte n'a pas eu cette chance : les miliciens l'ont éventrée, a confirmé un militaire à l'AFP.
"Près de 350 musulmans ont été tués dans des actions de représailles depuis septembre", estime Peter Brouckaert, de l'ONG Human Rights Watch, cité jeudi par Libération. Comme les populations civiles chrétiennes, ils appellent à ce que les soldats "arrêtent les sauvages qui nous ont fait ça". Comme les villageois du camp d'en face, ils fuient les violences.
Les civils, en fuite, cachés dans la brousse
Après cette nouvelle flambée de violences début décembre, dans la région de Damara, "des petits groupes, familles, paquetage sur la tête, effets personnels dans une charrette à bras", ont pris la route, direction Bangui, raconte l'AFP. "On a trop peur ici, on part", poursuit une mère, veuve, qui passe dans un pick-up. Ces réfugiés taisent tous leur nom, "par peur", écrit l'agence. Par peur aussi, "tous les hommes se cachent dans la brousse. [Les militaires] les cherchent", témoigne une femme.
"Avec ma fille, on a dû marcher trois jours dans la brousse pour arriver à Bossangoa", explique pour sa part Aïcha aux journalistes d'Arte. Avec son enfant, blessée à la tête par un coup de machette et depuis incapable de se lever, "on a quitté le village dans la précipitation, sans rien prendre, seuls les habits qu'on portait". Derrière elles, elles ont laissé deux corps : le mari d'Aïcha et son bébé de 3 mois.
"Dès qu’on sort de la brousse, on est en danger de mort", affirmait en octobre, à Paris Match, Edmond Bagnot, un des chefs du village de Gbadengue. Le reportage décrit des villageois "en guenilles, [qui] dorment dans les clairières". "On collecte les racines de yam sauvage, c’est tout ce qu’il nous reste à manger", poursuit le chef de village. "Quelqu'un qui a laissé sa maison pour aller habiter en brousse, c'est un animal", lance Nestor Mbako, un habitant de N'Zéré. Il énumère : "Pas de maison, pas d'eau à boire, pas de savon", etc. En octobre, la Centrafrique comptait déjà plus de 1,5 million de déplacés et de réfugiés.
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