Quand Pékin surveille les minorités chinoises en France
Ils sont Ouighours, Tibétains, Hongkongais, vivent en France, et se disent observés directement par la Chine. Harcèlement téléphonique, surveillance, chantage aux visas font partie des méthodes utilisées par les autorités chinoises. Leur objectif est de faire taire toute velléité de contestation.
Subhi est Ouïghour. Il vit en France. Les soucis commencent pour lui à l’été 2018. Il participe alors à des manifestations à Paris pour défendre son peuple. Quelques semaines plus tard, il reçoit une lettre de ses parents, rédigée en langue chinoise. Mais si son père et sa mère parlent le chinois, ils ne savent pas l’écrire. Ils utilisent habituellement la langue ouïghoure. Pour Subhi, le message est clair : ce courrier n’aurait pas été écrit par sa famille mais par des "officiels chinois" qui souhaiteraient lui signifier que ses faits et gestes en France peuvent avoir des conséquences sur ses proches dans son pays d’origine.
Qui sont les minorités concernées ?
Les Ouïghours, turcophones et musulmans sunnites, vivent à l’ouest de la Chine, dans le Turkestan oriental, devenu le Xinjiang. En France, ils représentent une petite communauté d’un millier de personnes. Les Tibétains, bouddhistes, sont un peu plus nombreux sur le territoire français. On estime leur communauté à plus de 6 500 personnes. Parmi eux, on compte des étudiants et des réfugiés politiques. Mais quelles que soient les minorités, Ouighours, Tibétains, et même Hongkongais, les méthodes d’intimidation utilisées par les autorités chinoises seraient les mêmes.
Quelles sont les méthodes utilisées par la Chine ?
1Le colis
Le scénario est un classique. Cela commence par un coup de téléphone. Une personne vous invite à passer à l’ambassade de Chine afin de récupérer un colis. Problème, l’ambassade n’est pas connue comme étant un bureau de poste officiel. Si l’on en croit les opposants interrogés, il s’agirait avant tout d’un piège des autorités qui aurait pour but de les faire se déplacer dans les locaux chinois. L’objectif serait de les prendre en photo, mais aussi de leur poser une multitude de questions sur leurs activités sur le sol français.
2Les manifestations
Les militants, qu’ils soient Hongkongais, Tibétains ou Ouïghours, racontent qu’à l’occasion des manifestations qu’ils organisent pour défendre l’indépendance du Tibet, les libertés du peuple ouïghour, ou encore la démocratie à Hong Kong, des inconnus se mêlent à la foule. Ces hommes ou ces femmes seraient équipés d’appareils photos et prendraient des clichés des manifestants avant de disparaître.
3Le recours à la technologie et aux réseaux sociaux
"Je suis très prudent par rapport à la façon dont j’utilise mon téléphone", raconte Tenam, Tibétain réfugié en France. Il se refuse à utiliser les applications WeChat ou TikTok. WeChat est une application de messagerie comparable à WhatsApp, et TikTok est une application permettant de partager des vidéos, à la manière de Facebook. Or, WeChat et TikTok ont été développées par des entreprises chinoises, respectivement Tencent Holdings et ByteDance. Selon Tenam, avoir recours à ces applications pourrait avoir des conséquences graves : "Je connais plein d’exemples de Tibétains qui, après avoir utilisé WeChat pour envoyer des photos du Dalaï Lama par exemple, se trouvent aujourd’hui en prison."
Des Français dans le radar chinois ?
Marie Holzman est sinologue et présidente de l’association Solidarité avec la Chine, créée en 1989 au lendemain du massacre de Tiananmen dans le but de conserver la mémoire des événements et des victimes des forces chinoises. Elle explique avoir subi, en son absence, une visite insolite à son domicile. "La personne qui a pénétré chez moi a délibérément allumé toutes les lumières, ouvert des tiroirs, mais elle n’a rien volé, raconte-t-elle. Comme si elle avait voulu montrer qu’on m’avait à l’œil."
D’autres chercheurs ou personnalités qui critiqueraient trop ouvertement le régime chinois sont victimes d’une mesure de rétorsion très simple : la non-obtention de visas. Or, ces visas sont indispensables pour leur travail de terrain ou pour conduire leurs activités en Chine.
La Chine, colosse aux pieds d’argile
Pourquoi la Chine se comporte-t-elle ainsi ? Comment expliquer que les propos de ces différentes minorités, exilées si loin de leur pays d’origine, puissent susciter une telle réaction ? On parle en effet de quelques milliers d'expatriés ou réfugiés, face à un milliard de Chinois dont 100 millions de membres du Parti communiste qui se trouvent à des milliers de kilomètres.
Selon Marie Holzman, "il faut prendre conscience que jamais un président chinois n’a été aussi puissant que Xi Jinping". L’étendue de son pouvoir dépasserait celui de Mao Zedong. Or, son obsession, maintenant qu’il détient à vie un pouvoir sans partage en Chine, est que l’on puisse critiquer son système alors qu’il entend partir à la conquête du monde.
L’autre explication possible est proposée par Dilnur Reyhan. Cette sociologue d'origine ouïghoure est enseignante à l'Inalco, l’Institut national des langues et civilisations orientales. Pour elle, le fait que la Chine soit autant sur ses gardes est plutôt le signe d’une grande faiblesse. "Le pays craint que certains expatriés deviennent activistes, analyse-t-elle. C’est la peur d’un avenir menaçant pour le régime", comme si le régime communiste craignait de perdre le pouvoir.
L’ambassade de Chine ne souhaite pas s’exprimer
L’ambassade de Chine en France a été invitée à répondre aux différentes questions soulevées par cette enquête. Dans un courrier, l’ambassadeur, Lu Shaye, rappelle qu’il est "absurde" d’imaginer que la Chine cherche à effectuer un contrôle sur les expatriés d’origine chinoise en France.
Lu Shaye explique également que l’égalité et l’unité de toutes les ethnies constituent la politique fondamentale du pays et que le rôle de l’ambassade est de protéger les droits et intérêts légitimes de tous les Chinois y compris les minorités.
L’ambassadeur nous a par ailleurs demandé de parler de la Chine avec "le plus d’objectivité et de neutralité possible". Il nous a suggéré de renoncer à notre enquête au nom des relations diplomatiques sino-françaises qui sont, selon lui, au beau fixe.
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