Reportage "On se cogne au mur de l'Église" : à Chypre, les religions entravent le processus de paix entre les deux parties de l'île, séparées depuis 50 ans

L'île est divisée depuis 1974 entre sa partie grecque, reconnue à l'international, et sa partie turque au nord, que seule Ankara reconnaît. La réconciliation n'est pas à l'horizon, en partie à cause du poids des religions.
Article rédigé par Marie-Pierre Vérot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
La capitale chypriote, Nicosie, est toujours divisée en deux entre le nord turc et le sud grec. Des checkpoints sont mis en place. (MARIE-PIERRE VEROT / RADIOFRANCE)

L'île de Chypre reste divisée cinquante ans après... Le 15 juillet 1974, un coup d’Etat de la junte des colonels grecs a entraîné l’intervention militaire de la Turquie qui occupe depuis la partie nord de l’île, une République turque de Chypre nord que seule Ankara reconnaît. Le sud, grec, a lui rejoint l’Union européenne. Cette séparation mine la société civile chypriote. Des initiatives se multiplient pour créer des ponts entre les deux communautés par-delà la frontière, mais les querelles politiques et le poids des religions entravent tout processus de paix.  

Une place importante laissée à l'Église 

Dans sa maison de Nicosie, Anna Marangou œuvre inlassablement à la réconciliation entre les deux parties du pays. Cette archéologue se heurte notamment à l’église orthodoxe grecque, au sud, qui s'y oppose. "Le poids de l'église est énorme et pas naturel. On est un pays laïc, mais il faut dire que les archevêques étaient tous contre la Fédération. On ne peut pas continuer comme ça, martèle l'archéologue. Il nous faut une fédération parce que les Chypriotes turcs doivent avoir aussi quelque chose qui leur appartient. Ils en ont le droit. Ils sont là depuis le XVIème siècle : des générations ont été élevées depuis… Mais c'est difficile à faire passer quand on se cogne au mur de l'église, de l'éducation, de tout."

L'archéologue Anna Marangou souhaite que les deux parties de l'île de Chypre se réconcilient. (MARIE-PIERRE VEROT / RADIOFRANCE)

L’éducation, la religion sont des terrains de combats, d'influence. Dans le nord de Chypre, Selma Eylem, enseignante et syndicaliste, lutte contre les menées du régime d'Ankara. "Depuis ces dernières années avec l’arrivée de l’AKP (parti religieux soutenu par la Turquie, ndlr) au pouvoir le système éducatif du nord régresse et devient de plus en plus conservateur. On impose des cours de Coran, on ouvre des collèges religieuxC’est un tournant et cela va de plus en plus vite, constate l'enseignante. Ils veulent faire ici la même chose qu’ils ont fait en Turquie."

Quel modèle de société cela va-t-il créer ? Un modèle de société raciste, nationaliste, basé sur une seule religion, une nation qui obéit sans poser de question.

Selma Eylem, enseignante et syndicaliste dans la partie turque de l'île

à franceinfo

"Nous pouvons vivre ensemble"

Une "buffer zone", surveillée par les casques bleus de l'ONU, sépare les deux parties de l'île Chypre depuis 1974. Chaque mercredi, Imge rassemble des enfants chypriotes grecs et turcs dans cette zone tampon. "Avec le temps, à force de venir, ils ont commencé à jouer pendant les pauses. C'est l'objectif de ces répétitions : leur faire comprendre qu'en fait ils sont semblables, insiste-t-elle. Ils partagent la même culture. C'est donc une excellente occasion pour un enfant de comprendre avec son cœur que nous pouvons vivre ensemble. Nous avons déjà vécu ensemble, donc on pourra de nouveau le faire à l'avenir."

Pour l’heure, les pourparlers de paix sont au point mort. La frontière continue de couper l'île en deux, de séparer les peuples. Imge rêve que cette nouvelle génération de Chypriotes marque le début d'une nouvelle ère. 

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