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Document franceinfo De retour de Pyongyang, notre envoyée spéciale décrit une semaine historique pour la Corée du Nord

C'est un témoignage exceptionnel. Une journaliste de franceinfo a pu se rendre en Corée du Nord à l'occasion du sommet entre les deux Corées. De retour, elle raconte le quotidien des habitants du pays le plus fermé du monde.

Article rédigé par Elise Delève
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La plupart des bâtiments sont démesurément grands. (ELISE DELEVE / RADIO FRANCE)

Cinq jours après le sommet intercoréen historique de Panmunjom, village de la Zone démilitarisée entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, l'envoyée spéciale de franceinfo, de retour en France, raconte son séjour au Nord. Élise Delève est l'une des rares journalistes à avoir pu se rendre dans ce pays, l'un des plus fermés au monde. Première étape de ce récit : les coulisses d'un voyage très encadré et sans moyen de communication, mais aussi le regard que les Nord-Coréens rencontrés posent sur le sommet de vendredi.


Pyongyang, fin avril 2018. Imaginez des bâtiments démesurément grands. Comme m'a expliqué un architecte, là-bas, ce qui est grand est beau. Partout dans la capitale, on tombe sur des portraits géants - toujours la même image - des deux dirigeants passés, Kim Il-sung et Kim Jong-il (respectivement le grand-père et le père de l'actuel dirigeant Kim Jong-un) souriant et regardant dans la même direction.

Il n'y a pas de publicité à Pyongyang, mais des affiches du Parti des travailleurs, le parti unique de Corée du Nord. Ce sont toujours des dessins de couleurs vives sur lesquelles on peut voir des ouvriers, le poing levé, et les inscriptions "Travaillons tous à l'application des décisions du 7e Congrès du parti", ou encore "La vie heureuse de notre pays se développe".

Les Nord-Coréens ont des téléphones portables, qui ne permettent d'appeler qu'en Corée du Nord.

Les réseaux internationaux ne fonctionnent pas. Je n'ai ni téléphone ni internet. La population, elle, a accès à internet, mais pas celui que l'on connaît, c'est un internet local où les sites (nord-coréens) et les infos sont validés par l'agence officielle du régime.

À la télévision, les quatre chaînes appartiennent à l'État et ne diffusent que quelques heures par jour. Très souvent, ce sont des rediffusions de concerts à la gloire du pays et des trois Kim, à la tête du pays depuis 1945. Le week-end, les Nord-Coréens ont accès à des programmes plus internationaux. Là encore, le temps s'écoule différemment : j'ai vu une rediffusion du championnat de football anglais datant de... 2015.

Interdiction de sortir seule

C'est à bord d'un minibus que j'ai pu découvrir Pyongyang cette semaine-là. Il roule sur d'immenses avenues à trois fois deux voies la plupart du temps. Contrairement à ce que l'on imagine, il y a pas mal de circulation. J'ai pu visiter de nombreux endroits de la capitale, mais jamais seule. Je n'avais pas le droit de sortir de l'hôtel et de me balader dans les rues seule. En Corée du Nord, même les habitants doivent avoir un justificatif s'ils veulent bouger.

J'étais accompagnée par deux Nord-Coréens : un traducteur et son chef.

Dans les rues de la capitale nord-coréenne Pyongyang en avril 2018. (ÉLISE DELÈVE / FRANCEINFO)

Même mon interprète et son supérieur avaient besoin de montrer des justificatifs lorsque nous nous rendions quelque part, comme une usine, une ferme ou une école.

C'est assez rare, mais j'avais l'autorisation de faire des "micros-trottoirs", c'est-à-dire d'interroger les gens directement. Mais, si j'avais le droit de choisir mon interlocuteur, il fallait que ce soit le bon moment : en Corée du Nord, on ne s'arrête pas dans la rue pour discuter. Par exemple, j'ai tenté ma chance avec deux "pêcheurs du dimanche" assis au bord du fleuve Tédong. "Je peux aller leur parler", ai-je demandé à mon traducteur. "Non ils pêchent", a-t-il répondu. "Justement, ils sont tranquilles, ils ne font rien", ai-je répondu. Réponse : "Si : ils pêchent, donc ils font quelque chose". Il est donc difficile de prendre le pouls de la société, d'aller en profondeur dans les discussions. Bien entendu, quand c'était le bon moment de poser une question, je ne devais pas parler de politique (sous-entendu ne pas parler des Kim).

Le sommet vu du Nord

Les Nord-Coréens ont vécu le sommet intercoréen en décalé. Par exemple, ils n'ont appris que le lendemain qu'il y avait eu une déclaration de paix. La nouvelle a suscité beaucoup de joie. Au moment de l'annonce, samedi 28 avril à 20 heures, certains ont arrêté de manger en écoutant les informations.

Le lendemain, j'ai rencontré Riu Myong-hui, une Nord-Coréenne qui déambulait place Kim Il-sung, cet immense espace où se déroulent d'habitude les défilés militaires. Elle a accepté de s'arrêter pour me répondre. "J'étais tellement heureuse que j'en ai perdu mes mots, confie la passante. Quand notre suprême leader Kim Jong-un a traversé la frontière, j'ai eu l'impression que la réunification de notre patrie avait débuté à ce moment-là. J'étais très contente." Cette joie est partagée par tous les Nord-Coréens avec qui j'ai parlé. 

La réunification fait partie de l'idéologie nord-coréenne.

Depuis la création du régime, la réunification est le but ultime du pays. Sur les affiches de propagande du parti, la Corée est entière, dessinée en bleu. C'est le même pays, la même langue, la même nourriture donc, pour la population, il est naturel que la péninsule soit réunie.

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