#AlertePollution : des poussières rouges s'échappent toujours de l'usine de Gardanne, contrairement à ce qu'assurait le gouvernement
Dans le cadre de notre enquête participative #AlertePollution, de nombreux habitants de Gardanne et Bouc-Bel-Air, dans les Bouches-du-Rhône, ont signalé des poussières qui s'envolent de l'usine locale. Pourtant, en mai dernier, la secrétaire d'Etat Brune Poirson assurait que "cela n'était plus possible" car des travaux avaient été réalisés.
#AlertePollution
Rivières ou sols contaminés, déchets industriels abandonnés… Vous vivez à proximité d’un site pollué ?
Une couche rouge sur les maisons, des traces au sol et des bourrasques de poussière qui s'envolent dans les airs… Dans les communes de Bouc-Bel-Air et Gardanne (Bouches-du-Rhône), les résidus de bauxite de l'usine d'aluminium Alteo – plus connus sous le nom de "boues rouges" – continuent de polluer la vie des habitants, après avoir empoisonné les fonds marins pendant un demi-siècle. Face à ce scandale environnemental, la société avait été contrainte, en 2015, d'arrêter de les rejeter tels quels en Méditerranée et à les stocker, secs, entre les deux communes. Affaire classée ? En avril dernier, un nuage rouge impressionnant avait pourtant recouvert les bâtiments, comme le relate France 2.
Les autorités avaient à nouveau sommé Alteo de "supprimer (…) les conséquences et les nuisances" de ces retombées pour les riverains. Mission accomplie, avait assuré la secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, Brune Poirson, le 25 mai dernier, sur France Bleu Provence.
Les services de l'Etat ont inspecté le site et les travaux ont été faits. Cela n'est donc plus possible que les particules de bauxite circulent dans l'air.
Brune Poirsonle 25 mai 2018
Vraiment ? En lisant les signalements envoyés par le biais de notre enquête participative #AlertePollution, certains témoignages nous ont interpellés. "Envol de poussière il y a moins d'une semaine", "ça s'infiltre dans nos maisons", ça "s'étend dans la forêt", nous écrivent des habitants du secteur. Au total, trente personnes nous ont contactés pour décrire des scènes de ce type.
"Ça s'envole encore"
"Brune Poirson n'est visiblement pas venue sur le site. Ça s'envole encore et on le constate au quotidien, insiste au téléphone Thierry Gauvin, le président de l'association Bouc-Bel-Air Environnement. Les habitants contactés sont formels : ils n'ont remarqué aucune amélioration sur le terrain depuis mai. Une riveraine assure à franceinfo, photo à l'appui, avoir retrouvé des dépôts rouges dans sa piscine en juin, soit un mois après la mise en conformité annoncée.
"On n'a pas eu de gros coups de vent comme en avril, donc on n'a pas eu d'épisode de même ampleur, mais au niveau des retombées, il n'y a pas grand-chose qui a changé", décrit encore Marie*, qui vit à 1 km à vol d'oiseau de la décharge industrielle de Mange-Garri, où Alteo stocke ses résidus de bauxite. "On n'a pas moins de poussière, non !" martèle cette riveraine dont la maison longe la forêt qui abrite l'usine.
Chez moi, c'est toujours poussiéreux. Ça se voit. Quand je passe un chiffon sur le rebord de mes fenêtres, il devient rouge.
Marie, riveraine de l'usine Alteoà franceinfo
Dorothée Pinoncely, qui vit à Bouc-Bel-Air depuis une vingtaine d'années, a un moyen simple de vérifier si l'air est rempli de poussière : "Dans mon jardin, j'ai un bocal que je vide régulièrement. L'eau de pluie récoltée ces derniers temps est rosée et, à sa surface, il y a une couche rouge", explique-t-elle, joignant un cliché à son témoignage. Et les signalements que nous avons reçus s'étendent sur l'ensemble du territoire des deux communes. "Quand on fait un footing dans le bois communal, on rentre avec des semelles rouges", raconte Stéphane Moll, un autre habitant. Et "en VTT, quand je rentre des collines, les pneus sont rouges", ajoute un autre, Jean-Luc Chirade.
"Une forme de lassitude"
"Alteo a engagé un plan d’actions important pour réduire les envolements de poussières de résidus de bauxite", assure pourtant l'entreprise sur son site (document en PDF). La société explique avoir planté des végétaux autour des zones de stockage, qui sont également arrosées et recouvertes "d'une fine couche de gel" pour "figer les poussières au sol". Contactée à plusieurs reprises par franceinfo, Alteo n'a pas souhaité répondre à nos questions, tout comme le ministère de la Transition écologique. La préfecture des Bouches-du-Rhône assure n'avoir reçu "aucune nouvelle plainte depuis" le printemps dernier.
"On leur dit, lors des comités de suivi, que les problèmes persistent, mais rien n’est fait", rétorque Thierry Gauvin. D'après le président de l'association locale, il y a "une forme de lassitude" parmi les habitants confrontés à cette situation qui n'avance pas malgré les travaux mis en œuvre. "Aux endroits qui ont été végétalisés, les plantes crèvent", décrit le riverain. Et "dès que les poussières sont manipulées, qu'un tractopelle passe, ça s'envole", ajoute-t-il.
Pour la Gardannaise Aline Frosini, le problème se pose aussi quand les résidus sont transportés, soit de l'usine vers le site de stockage, soit vers des acheteurs – une partie des déchets est commercialisée sous le nom de Bauxaline pour la construction ou pour faire du remblai. Aline Frosini décrit des traînées de poussière le long des routes et des voies de chemin de fer. "Les wagons ne sont pas bâchés, on peut les suivre à la trace."
Les habitants craignent pour leur santé
Et cette dispersion des poussières inquiète toujours autant la population vivant aux abords de l'usine. Après l'épisode d'avril, l'association Bouc-Bel-Air Environnement a ainsi déposé une main courante à la gendarmerie. "Les enfants ont un système pulmonaire moins mature que le nôtre. Quels impacts ont ces poussières ?" s'interroge Marie, mère de deux enfants en bas âge.
J’aimerais qu'on ait des analyses des conséquences sur la santé. Les gens veulent savoir.
Marie, riveraine de l'usine Alteoà franceinfo
Une étude a bien été réalisée, fin 2015 et début 2016, par l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Le document (en PDF) indique que des traces d'arsenic inorganique, d'aluminium ou de plomb ont été détectées dans les résidus solides. "Les résultats (...) ne permettent pas d’exclure un risque sanitaire au niveau local", écrit l'Anses, précisant cependant qu'"il n'est pas possible de discriminer la contribution spécifique, historique ou actuelle, de l'exploitation industrielle du site de stockage de Mange-Garri."
Ces conclusions laissent perplexes les habitants, qui ont en tête la contamination des fonds marins (document en PDF) provoquée par les résidus de bauxite rejetés au large des calanques. "On a beau dire qu'il n'y a pas d'impact sur la santé, on se dit que tout ça, ça ne peut pas être neutre", s'inquiète Xavier Decramer, habitant de Bouc-Bel-Air. Tous réclament des études supplémentaires. Mais l'attente est longue : "Ça fait vingt-trois ans que je vis ici, raconte Dorothée Pinoncely. Aujourd'hui, je me dis qu'on s'est gouré d'endroit…"
* A la demande de la personne interrogée, nous avons changé son prénom
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