Sivens : "Et dire que quelqu'un est mort pour ce barrage à la con"
Deux jours après la mort de Rémi Fraisse lors d'affrontements avec les CRS, les opposants au barrage de Sivens campent toujours sur le site de ce projet contesté. Reportage.
Une nuit noire, l'odeur des feux de bois, les étoiles. Quelques jours après la mort de Rémi Fraisse lors d'affrontements avec la police, la zone du Testet (Tarn) a retrouvé de son calme, lundi 27 octobre au soir. Un peu. Quelque part vers l'entrée du site, une dizaine d'opposants au projet du barrage de Sivens finissent d'avaler des pommes de terre et du miel, la rage au ventre. "Et dire que quelqu'un est mort pour ce barrage de Sivens à la con", se désole l'un d'entre eux. Un autre n'en revient toujours pas : "Aujourd'hui, la République se permet de tuer des jeunes, dit-il. Moi, ça me fait penser au Chili de Pinochet."
"J'ai presque un sentiment de culpabilité"
"Nous sommes sous le choc, ça aurait pu être n'importe lequel d'entre nous", explique un opposant, installé depuis trois mois sur les lieux. Comme de nombreux jeunes de la région, Rémi était venu assister à un grand rassemblement de soutien organisé ce week-end, avec des concerts au programme. Au micro de France 3, son père a précisé que son fils était "engagé dans l'environnement et déterminé". Mais Rémi Fraisse ne faisait pas partie des occupants historiques de la ZAD ("zone à défendre"). "Peu de nous l'ont déjà vu", confirme un opposant, autour du feu. "J'ai presque un sentiment de culpabilité", explique un autre. "Ce n'est pas comme nous, lui c'était la première fois qu'il venait."
"Il y avait Malik Oussekine [victime d'une bavure policière en 1986], maintenant il y a Rémi", résumait plus tôt le participant d'un rassemblement à Albi, des fleurs à la main et le visage masqué. Mais tous les opposants ne sont pas d'accord pour ériger le jeune homme en martyr. "Quelque part, on espère que sa mort sera utile, mais vraiment, on aurait préféré éviter d'en arriver là", lâche Mathieu*, tandis qu'un talkie-walkie grésille quelques mots incompréhensibles. "Aujourd'hui, sa famille a passé deux heures sur les lieux du drame, assise, les yeux dans le vide. Sans comprendre. Nous non plus d'ailleurs, nous n'avons toujours pas réalisé."
Les opposants convaincus de la culpabilité policière
Rémi Fraisse a été tué par une explosion dont on ignore l'origine, selon les conclusions de l'autopsie présentées par le procureur. La plaie la plus importante est située en haut du dos. Son origine n'a pas été déterminée mais les opposants sont convaincus qu'une grenade assourdissante de la police, lancée en cloche et vraisemblablement tombée dans sa capuche, est en cause. Julien, un bonnet sur la tête, fouille la tente et revient avec le "cadavre" d'un de ces engins, en plastique gris, utilisés par les forces de l'ordre pour se défendre. "Il s'en tire des centaines. Le souci, c'est qu'on les voit partir, mais qu'on ne sait pas où elles tombent. Et elles n'explosent jamais au même moment."
Et si l'engin explosif n'avait pas été lancé par la police mais par les manifestants ? L'un d'eux reconnaît que "nos armes, ce sont bien les cocktails Molotov". Mais si un tel engin a percuté Rémi Fraisse, pourquoi personne n'a vu le corps du jeune s'embraser dans la nuit ? Les opposants rappellent ensuite qu'une distance respectable sépare les opposants des CRS, compte tenu des engins utilisés de part et d'autre. Alors que les grenades assourdissantes doivent être tirées selon une inclinaison de 30 à 45 degrés, comme il est écrit dessus, des traces de sang ont été trouvées tout près de la ligne des CRS. A-t-il été traîné jusqu'ici ? Ou une grenade a-t-elle directement frappé le jeune homme à faible distance ? Le procureur a annoncé des analyses complémentaires afin d'éclairer ces questions. Pour le moment, rien n'écarte encore la piste d'un projectile des occupants de la ZAD.
Des rangs qui grossissent et des risques de dérives
La médiatisation du drame pourrait grossir les rangs des "zadistes", bien que l'hiver s'annonce. "Je voulais venir depuis longtemps, mais ce qui s'est passé m'a mis un coup de pied au cul", explique une jeune fille blonde, la larme à l'œil, arrivée la veille sur le site. "Des appels internationaux ont été lancés", glisse Julien. "J'ai quand même peur que ça devienne un défouloir pour certains, loin de la lutte initiale contre le barrage." Sous-entendu : que cela chauffe encore davantage dans les prochains mois. Tous les "zadistes" ne s'entendent pas sur le recours à la violence, mais certains ont pris goût aux joutes avec les forces de l'ordre. Dans la nuit de lundi à mardi, plusieurs manifestations ont d'ailleurs dégénérées.
"Je réclame la justice, la vérité et la morale", reprend un autre. "Tant que tu dis que c'est dangereux mais qu'il n'y a pas de mort, personne ne te croit." Et même si le barrage de Sivens fait aujourd'hui la une de l'actualité, aucun des occupants de la ZAD présents ne se risque à prédire l'issue du bras de fer. En attendant, ils commentent les informations à leur manière. "Quoi ? Attends, je le dis aux potes", s'écrit l'un d'eux, fourré dans sa tente. "Aujourd'hui, Christophe de Margerie a été enterré avec les honneurs nationaux ! Y avait Manuel Valls, François Hollande... Il a même eu la légion d'honneur à titre posthume !" Le petit groupe rit jaune. "Rémi, lui, il aurait dû l'avoir."
(*) Les prénoms ont été modifiés
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